A l’heure où l’Europe lance Galileo, son système de positionnement par satellites (ou GNSS – Global Navigation Satellite System), nous allons revenir sur les deux GNSS les plus anciens encore en activité, le NAVSTAR - GPS (Navigation System Time and Ranging – Global Positioning System) et le GLONASS (Global Navigation Satellite System). Ces systèmes ont un potentiel mondial très important car ils allient pour la première fois des qualités exceptionnelles : couverture quasi mondiale et quasi permanente, précision de localisation, nombre d’utilisateurs illimité et coût très faible du service. Bien qu’ils semblent similaires sur la forme, ces deux systèmes diffèrent énormément sur le fonctionnement mais aussi sur l’utilisation qui en est faite.
Outre la navigation en temps réel, les GNSS possèdent bien d’autres applications, qu’elles soient civiles ou militaires. Des essais de guidage de missiles ont par exemple été effectués, avec des résultats très concluants, et le GPS est désormais utilisé pour certains missiles (1). Les GNSS permettent aussi de positionner certains satellites de moyennes et basses altitudes. On comprend assez vite pourquoi de plus en plus de pays développent leur propre système, afin d’éviter d’utiliser la technologie d’un seul pays, comme l’Inde et la Chine qui coopèrent au système européen GALILEO (2).
1. NAVSTAR
Initié en 1973 afin de standardiser les systèmes de navigation par satellite de l’armée américaine, le projet NAVSTAR a pour vocation de remplacer le système TRANSIT/NNS (3). Il est entièrement financé et contrôlé par les militaires du Department of Defense, plus précisément par ceux de l’US Air Force, qui n’hésitent pas à s’en servir pour protéger les intérêts de la nation. A ce jour, il est constitué d’une constellation de 30 satellites. Il faut savoir qu’un minimum de 24 satellites est nécessaire pour avoir une couverture mondiale, le surplus servant à améliorer la précision du système.
Ce système émet sur deux fréquences, l’une libre pour les différentes applications commerciales, l’autre cryptée pour les applications militaires des Américains et de leurs plus proches alliés. Ces deux fréquences possèdent des caractéristiques différentes au niveau de la précision du positionnement, la fréquence publique ayant été dégradé volontairement à 100m de 1995 à 2000, jusqu’à ce que Bill Clinton lève cette restriction, tandis que la précision privée est de quelques mètres seulement.
Les Etats Unis ont pleine puissance sur le système, ils peuvent à tout moment décider de couper l’accès à des utilisateurs ou sur des zones données. Lors de la guerre du Golfe par exemple, les Etats Unis auraient coupé l’accès des Israéliens au GPS (4), empêchant les avions de Tsahal de se substituer à ceux de l’US Air Force, permettant à Washington de rester maître des opérations.
De plus, l’application militaire de la technologie GPS dépend directement de l’ITAR (5), qui permet aux Etats Unis de contrôler directement les exportations de la technologie GPS dans le domaine militaire, lui permettant d’associer politique étrangère et sécurité. En effet, la technologie GPS se retrouve dans beaucoup de technologies militaires actuelles, comme les missiles à guidage inertiel, dont la précision est améliorée par l’adjonction d’un GPS, afin de recaler la position de ceux-ci (6). On trouve aussi ce que l’on appelle la limite CoCom/ITAR, réduisant l’utilisation du GPS à une altitude inférieure à 18km d’altitude et une vitesse inférieure à 1900km/h, empêchant le positionnement de satellites au-delà de cette altitude pour les pays « ennemis » des Etats-Unis ou l’utilisation de missiles balistiques intercontinentaux (7).
2. GLONASS
Décidé en 1976 pour contrer le projet américain NAVSTAR, le système atteint un stade opérationnel en 1995 avant de le perdre en 1996, suite au manque de financement lié à la chute de l’URSS. Relancé au début des années 2000 par Poutine, la galaxie GLONASS est quasiment complète et des récepteurs à usage civil sont déjà en fonctionnement, avec des systèmes mixtes, GPS et GLONASS, comme l’Iphone 4S par exemple (8).
Outre le fait d’augmenter le nombre de satellites des constellations et donc la zone de couverture, l’utilisation de cette dualité permet d’assurer le positionnement par satellites des nombreux utilisateurs civils de ces constellations. En effet, comme on a pu le voir, les Américains peuvent couper à tout instant le signal NAVSTAR, ce qui peut être dangereux pour certains secteurs comme l’aéronautique ou les activités maritimes (9). L’utilisation d’un récepteur GLONASS permettrait alors de garantir la sécurité des utilisateurs civils d’une part, et permettrait d’autre part de fournir la technologie à des armées ennemies de l’Amérique.
A l’heure actuelle, le système GLONASS couvre la quasi-totalité du globe, grâce à 23 satellites opérationnels, d’autres étant au stade de mise en service (10). Il a cependant subi un retard (11) d’une année du fait de la perte de 3 satellites en décembre 2010, dû à une erreur de procédure de remplissage de l’un des réservoirs (12).
C’est ici aussi un système pensé et réalisé entièrement par les militaires à la base, mais qui est géré maintenant par un système public/privé. En effet, GLONASS est géré par la société NIS GLONASS (13), détenu par AFK Sistema (14) à 51% et Russian Space System (15) à 49%. Bien que la main mise de l’Etat russe, et donc de ces armées, sur le GLONASS ne semble pas réel, on constate que de nombreuses personnalités des conseils d’administration de ces entreprises ont servi ou servent encore le gouvernement de plus ou moins loin.
Un des avantages du GLONASS est qu’il bénéficie d’une meilleure répartition des fréquences, ce qui empêche de brouiller ses signaux (16). Tandis que les Américains disposent d’un interrupteur direct sur leur système, les Russes n’ont aucun moyen de limiter l’utilisation de leurs satellites, mis à part en coupant toutes les 15 fréquences d’utilisation (il n’y en a que deux sur NAVSTAR, l’une publique et l’autre militaire).
GLONASS possède cependant un inconvénient, il est freiné par la faiblesse de la microélectronique russe (17). Celle-ci devra rattraper son retard si le système ne veut pas se faire distancer par ses concurrents, qu’ils soient américains, européens ou même chinois ou indien. Les Russes ont déjà eu du mal à relancer le GLONASS, il serait dommage qu’il se laisse à nouveau distancer dans l’espace.
Conclusion
GLONASS et NAVSTAR sont donc actuellement les deux systèmes prédominants pour le moment, avec des avantages et des inconvénients pour chacun, mais l’Europe et certains pays (l’Inde avec l’IRNSS et la Chine avec Beidou) sont en train ou vont acquérir une indépendance dans le domaine du positionnement par satellite. Cette indépendance est contestée par les Etats Unis dans le cas de GALILEO (le GNSS européen).
En effet, la constellation européenne permettra une précision de positionnement de 1 m (à comparer aux 3 mètres du signal non brouillé de NAVSTAR), ce qui concurrencera directement le GPS américain et qui permettra, du fait de la libre utilisation de GALILEO de donner une arme de précision à des puissances vues comme des ennemis par les USA.
Par leur GPS, les Etats-Unis se sont assuré une suprématie mondiale. En effet, tout personnel civil ou militaire souhaitant un positionnement par satellite est de près ou de loin sous contrôle du ministère de la défense américain. La précision au mètre près du système européen remettrait en cause leur hégémonie, menace qu’ils prennent très au sérieux, à voir tous les efforts qu’ils ont mis en œuvre pour déstabiliser le projet.
Même si les Européens lanceront leurs satellites, les Etats-Unis ont remporté une victoire à ce niveau, retardant le lancement d’une part, leur donnant le temps de développer un GPS-III beaucoup plus précis, et plaçant certains composants d’origine américaine dans les satellites d’autre part mais surtout obtenant le droit de brouillage de GALILEO en cas de situation « hostile ». L’inverse serait également possible selon Heinz Hilbrech (18), directeur de la sécurité des marchés de l’approvisionnement et de l’énergie au sein de la commission européenne, le Pentagone ayant donné son accord. Mais qu’en sera-t-il vraiment ?
http://www.evac-fr.net/docs/Evac/Evac_Guidage_missiles.pdf
(2) http://info-aviation.com/?p=7985
(3) http://www.deguibert.com/gps.htm
(4) Déclin ou renaissance de la France, article de C. Harbulot, 2003.
(5) http://www.fas.org/spp/starwars/offdocs/itar/p121.htm
(6) http://fr.wikipedia.org/wiki/Guidage_inertiel
(7) http://ravtrack.com/GPStracking/cocom-gps-tracking-limits/469/
(8) http://www.linformaticien.com/actualites/id/21890/l-iphone-4s-compatible-avec-glonass-concurrent-russe-du-gps-americain.aspx
(9) http://michel.kasser.free.fr/GPS-MK-T2I.pdf
(10) http://french.ruvr.ru/2011/11/05/59898969.html
(11) http://fr.rian.ru/science/20111103/191797883.html
(12) http://spaceflightnow.com/news/n1012/10protonrtf/
(13) http://nis-glonass.ru/en/about_eng/
(14) http://www.sistema.com/company/governance/directors
(15) http://www.spacecorp.ru/en/about/directors/board_of_directors/
(16) http://www-adele.imag.fr/~donsez/ujf/easrr0405/.../geolocation.doc
(17) http://fr.rian.ru/russia/20090217/120178614.html
(18) http://www.aeroplans.fr/Europespace/amerique-guerre-galileo.html