Les effets d’annonce américains autour de l’arme laser sont-ils crédibles ?

Une arme laser vient d’être installée sur l’avion présidentiel d’Obama, Air Force One. Cet évènement symbolique relance la curiosité sur la progression de cette technologie dans l’armement militaire. Knowckers a mis à la fin de cet article une série de liens qui portent sur des vidéos en ligne et qui sont commentées par l’auteur de ce billet qui est un scientifique français préférant garder l’anonymat pour commenter.

« Je reste sceptique sur la capacité de construire à court terme des armes exploitables contre des ICBM, comme c'était l'objectif initialement affiché. D'autres usages semblent crédibles mais pas pour autant opérationnels sur le terrain ou économiquement viables. Mon sentiment est que ces publications et vidéos servent surtout à justifier les budgets considérables investis dans ces questions depuis 30 ans mais que s'il y a des développements opérationnels réels ils ne risquent pas de se retrouver sur youtube...
Pour éclairer ce point de vue, un petit rappel sur les lasers :
•    l'intérêt d'un laser est de produire une forte densité de puissance : la concentration d'énergie sur une faible surface permet d'atteindre de très hautes températures et donc de brûler ou percer le matériau de la cible. Ceci impose de rester positionné sur le même point suffisamment longtemps pour parvenir à une température assez élevée : cela va vite avec du bois ou du plastique, c'est plus long avec du métal ou de l'acier (sans parler de la réflexion potentielle du faisceau). C'est d'autant plus difficile à longue distance et sur une cible en mouvement.

•    La lumière se propage en ligne droite, elle est sujette à de l'absorption par des poussières et par les molécules de l'air, ainsi qu'à un problème optique de décohérence du faisceau dû à la turbulence atmosphérique. L'air agit comme un écran déformant qui à longue distance "floute" les rayons lumineux quels qu'ils soient (voir par une journée d'été comment l'air est troublé au dessus d'une surface très chaude, genre route). Dans ces conditions, il est très difficile de garder le rayon à la fois cohérent et positionné sur un même point de la cible, et le problème est multiplié par la distance. Ceci dit, la difficulté s'atténue avec la raréfaction de l'atmosphère à haute altitude, voir le quasi-vide au delà de quelques centaines de km (un ICBM monte à plus de 1000km, à comparer à l'ISS qui se trouve entre 300 et 400km).

•    Le rendement d'un laser est en général très faible : si l'on atteint 30 à 40% pour les diodes laser, celles-ci n'ont de loin pas la puissance suffisante pour les applications considérées ici. Les rendements sont inférieurs à 10% pour les lasers à gaz de forte puissance ; il semble que les lasers chimiques utilisés dans les tests ci-dessous aient un rendement intermédiaire, mais il n'en reste pas moins qu'il faut énormément d'énergie électrique pour alimenter un laser. Évidemment, la puissance non convertie en lumière est dissipée sous forme de chaleur, qu'il faut bien réussir à évacuer.

En résumé, les principales contraintes à concilier sont :
- disposer d'une source de puissance suffisante et transportable : on parle ici de quelques centaines de kW à quelques MW.
- entretenir un laser de puissance dans des conditions opérationnelles: ce sont des instruments très délicats, dont les optiques se dégradent rapidement à forte puissance. Les lasers chimiques semblent consommer des produits chers et peu "sympathiques" (= corrosifs et toxiques) à manipuler.
- positionner le spot laser sur une cible en mouvement et la suivre, à longue distance (plusieurs dizaines de km pour un missile conventionnel, plusieurs centaines ou milliers pour un missile balistique, avec la question de la courbure de la Terre), avec une précision de l'ordre (j'imagine) du mm.
- éviter l'absorption et la dispersion atmosphérique, et à longue distance dans l'atmosphère ça parait impossible.

Chacun de ces points et sans doute bien d'autres, représente des défis techniques considérables. Encore une fois, je ne suis pas spécialiste, mais je doute que l'état de l'art permette de concilier toutes ces contraintes en même temps et à des coût raisonnables. Pour les ICBM, il semble que leur période de vulnérabilité se situe pendant la phase de propulsion, c'est à dire les 3 première mn d'un vol qui en dure une trentaine. Ça veut dire être suffisamment proche des pas de tir pour être efficaces (puissance limité, absorption, courbure de la Terre), ce qui me semble contradictoire dans le principe même des frappes stratégiques. Une installation fixe pourrait avoir une puissance suffisante, mais pas sûr qu'elle ait un intérêt : cette approche voudrait dire toucher des têtes nucléaires pendant leur phase de ré-entrée, ce qui n'évite pas la dispersion de produits nucléaires sur le territoire.
L'autre utilisation d'un laser fixe serait le tir sur des satellites : là c'est sans doute envisageable, mais ça ne risque pas d'être publié : trop sensible et politiquement incorrect. Encore moins pour des tirs depuis un satellite (et là les questions d'énergie, d'entretien, sont encore pires) ou depuis une station spatiale (tiens, au fait, les chinois ont annoncé leur volonté d'en construire une : il y a peut être d'autre objectifs que de prestige...).
A courte portée cependant, les vidéos sur le HEL et le LaWS semblent montrer que cela peut fonctionner, mais d'une part la portée semble courte (quelques centaines de m ou quelques km dirait-on, mais ce n'est jamais précisé ce qui est sans doute le signe d'un point dur), et d'autre part la plupart des cibles sont des drones ou autres engins assez peu blindés. On peut imaginer si le système se développe une escalade entre épaisseur des blindages et montée en puissance des lasers : je ne suis pas sûr qu'elle tournerait à l'avantage de ces derniers.
D'autres modes d'utilisation de laser pourraient être envisagés : chauffer ou éblouir des capteurs, par exemple. Je n'ai rien vu dans ici qui aille dans ce sens, sauf peut-être la première vidéo israélienne, mais on n'a aucun détail.

Ceci étant, voici mes commentaires sur les différentes sources :

Liens High energy laser
http://www.ausairpower.net/APA-DEW-HEL-Analysis.html
De loin la meilleure source de toute la liste : c'est une revue des différentes technologies et problématiques. Pas très encourageant pour les utilisations mobiles.

http://nation.foxnews.com/culture/2011/02/19/navy-breaks-world-record-futuristic-laser
<-- la marine américaine test un laser qui traverse 20 feet (6 mètres) d'acier par seconde Le laser en question est un "laser à électrons libres" ou FEL (free electrons laser) généré par un synchrotron (disons un type d'accélérateur de particules). Bref, c'est en général une très grosse installation (cherchez "synchrotron Soleil" sur google map, ça donne une idée de la taille et les FEL sont censés être plus gros encore) et je doute qu'elle puisse être rendue compacte aux niveaux de puissance requis. Ce sont des instruments de recherche fondamentale, bien loin de toute utilisation opérationnelle.

http://www.as.northropgrumman.com/products/thel/index.html
Installation fixe à White Sands. Apparemment la même techno que la première vidéo israélienne. Pas de détail technique.

http://www.airborne-laser.com/news/airborne-laser-shoots-down-scud-missile.html
C'est un article sur le YAL-1.

http://www.ucsusa.org/nuclear_weapons_and_global_security/space_weapons/technical_issues/anti-satellite-asat.html
Article ancien (2002) mais intéressant de l'Union of Concerned Scientists, groupe de pression écologiste et pacifiste. Traite des armes anti-satellites, crédibles selon eux, alors que "technologies being developed for long-range missile defenses may not prove very effective at defending against ballistic missiles".

Dernières actualités
http://boeing.mediaroom.com/index.php?s=43&item=1819
Communiqué de presse de Boeing sur le système de White Sands (identique à celui ci-dessus, on dirait). Toujours pas de détail technique.

http://nextbigfuture.com/2011/06/darpa-high-energy-laser-update.html
Communiqué de presse sur les programmes de la Darpa : voir ci-dessous.

http://www.darpa.mil/Our_Work/STO/Programs/High_Energy_Liquid_Laser_Area_Defense_System_(HELLADS).aspx
Site officiel de la Darpa : liste les différentes composantes du programme, sans fournir de détail. L'objectif est de fabriquer un laser de puissance en associant des diodes de faible ou moyenne puissance. Ils visent 150kW : pour l'instant ils font 3kW max. C'est sans doute une piste prometteuse (meilleur rendement, entretien plusfacile) : à suivre.

Boeing YAL-1
http://en.wikipedia.org/wiki/Boeing_YAL-1
Un démonstrateur embarqué, qui a montré la faisabilité du concept, mais apparemment à faible distance (non précisée par cette source). Le verdict de l'ancien Secretary of Defense R. Gates est sans appel "nobody [...] believes that this is a workable concept" : en gros, trop cher et pas assez puissant.
Manifestement, le tir laser vise les réservoirs de carburant des missiles et n'est efficace que pendant la phase de propulsion, pas pendant la phase balistique qui est la plus longue du vol. Cette technique suppose des avions en attente stationnaire à proximité des zones de lancement : pas tellement réaliste.

http://www.reuters.com/article/2010/02/12/usa-arms-laser-idUSN1111660620100212?type=marketsNews
Communiqué de presse décrivant les premiers tests du YAL-1. Moins intéressant que la source ci-dessus.

Videos
http://www.youtube.com/watch?v=cCBwLJjzDJQ <--- derniers test rendus publics en 2008, les test datent de 2004 de defense laser de ballistique moyenne-courte portée (obus, artillerie en tir continu et missiles)
Le système tire le faisceau laser au travers d'un télescope : il est précisé que ce sont des infrarouges, mais sans autre détail. Difficile de voir le mode d'action exact, s'il y a focalisation sur la cible ou chauffage intense qui la déstabilise ou déclenche l'explosion. Toutes les cibles montrent des tirs à courte portée, ce qui serait plutôt un facteur de crédibilité.
Maintenant, si les israéliens disposent vraiment de ce genre d'équipements depuis 2008, on peut se demander pourquoi leurs colonies sont toujours victimes de tirs des roquettes. Au passage, on remarque dans les images infrarouge (autour de t=1mn) un intense dégagement de chaleur sur la gauche de l'installation : c'est peut être là l'explication, l'installation est un démonstrateur impossible à généraliser pour des raisons de puissance.

http://www.youtube.com/watch?v=8dbp0hAKKKM <-- première destruction d'un avion par un un laser embarqué dans une frégate (2010) Aucun indice ou détail technique sur la cause de la destruction de ce drone : peut être lié à la vidéo suivante.

http://www.youtube.com/watch?v=vqLkpcHavZE <-- tests de la naval américaine avec des laser et des AA rails guns automatiques Sans aucun doute la plus crédible de ces vidéos avec la première. A noter la remarque sur le "cooling system" nécessaire au fonctionnement du laser et la courte portée apparente du système. De plus, les cibles sont des drone, sans doute faiblement blindés.

http://www.youtube.com/watch?v=9uLaxZD9s6Q <-- un laser descend un hélicoptère Chinook dans un test Là, pour moi, c'est une maquette d'hélico dans un salon et un mini laser... mais je ne suis pas  spécialiste.

http://www.youtube.com/watch?v=_1T0nMkHUAE <-- destruction d'un moteur d'une embarcation rapide La vidéo est crédible, mais on ne sait pas à quelle distance se trouve la source laser et l'embarcation n'est pas en déplacement rapide. Elle bouge du fait des vagues, et c'est déjà un résultat techniquement remarquable que de parvenir à conserver un laser focalisé sur un même point avec de tels mouvements, mais on est loin de conditions opérationnelles. En tout cas il semble bien que c'est un faisceau laser qui perce le couvercle du moteur.

http://www.youtube.com/watch?v=mq7ieXNoyVw&feature=relmfu <-- YAL-1 en test en 2010 http://www.youtube.com/watch?v=nY6nm-6eCzM <-- destruction d'un missile visant une frégate grâce à un gattling gun automatique (pas de laser cette fois) Sans rapport avec les armes à énergie. »