Si la France n’a plus les moyens de sa puissance, l’Inde si ! Jamais l’équation géostratégique, industrielle et technologique n’a été aussi favorable à l’exportation du Rafale que dans le cas du marché indien.
Le déplacement du centre de gravité du monde vers l’Asie conduit l’Inde, l’une des deux grandes puissances économiques du continent, à « émerger » aussi sur le plan stratégique. Son environnement régional est fragile car marqué par le conflit avec le Pakistan et la rivalité avec la Chine. Face à l’Empire du Milieu, plus puissant économiquement, politiquement et militairement, l’Inde s’emploie à rester dans la course à l’influence en Asie et à contrer l’axe sino-pakistanais. Mais l’Inde du XXIème siècle a également de nouvelles ambitions : elle entend profiter des opportunités générées par la crise mondiale pour accroître son statut sur la scène internationale. La « préférence instinctive » de l’Inde pour un monde multipolaire l’amène à gérer ses relations avec un ensemble de puissances plus diverses avec une flexibilité accrue. Même le rapprochement spectaculaire avec les Etats-Unis -qui lui a permis de bénéficier d’un statut exceptionnel en matière nucléaire- ne signifie pas alliance : New Delhi n’a pas l’intention d’être instrumentalisé par Washington dans une politique d’endiguement de la Chine et a refusé certaines propositions de coopération militaires américaines. Israël, mais aussi la Russie, avec laquelle l’Inde est en partenariat pour le Raptor, avion de combat de 5ème génération restent des fournisseurs importants en matière d’armements. L’Europe est considérée comme un partenaire utile sur le plan commercial.
Ce nouvel environnement géostratégique a amené l’Inde à réviser sa politique de défense et à passer d’une tradition non-interventionniste, au-delà de sa sphère d’influence directe, à une doctrine plus offensive, laquelle ne doit pas être limitée par des questions capacitaires. Pour preuves, un budget de la défense en augmentation constante, surtout depuis les attentats de Bombay en 2008, et une libéralisation de l’industrie de défense par souci de qualité et de performance. D’ici une dizaine d’années, des importations d’armement à hauteur de 50M$ placeront le pays au rang de premier importateur mondial.
Le renouvèlement des avions de l’armée de l’air indienne
C’est dans ce contexte que l’Inde a lancé en 2007 le vaste appel d’offre M-MRCA (MediumMultiRoleCombatAircraft) pour renouveler une flotte aérienne vieillissante composée en grande partie d’avions de chasse de conception soviétique : Su-30, MIG-29 et Mi-35.Ce contrat gigantesque porte sur l’acquisition de 126 avions de combat pour un montant de 12M$ , dont 108 seront réalisés au niveau local en partenariat avec des entreprises indiennes. En effet, la condition essentielle de l’appel d’offre est le transfert de technologies-les compensations s’élevant à 50% de la valeur du contrat- afin de permettre à l’Inde de développer sa propre industrie aéronautique militaire et de constituer une armée de l’air moderne et indépendante. Les Américains ont proposé le F-16 de Lockheed Martin et le F/A-18E/F de Boeing, les Européens l’Eurofighter Typhoon d’EADS ( développé par le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne), la France, le Rafale et la Suède, le Gripen. Enfin, les Russes ont tenté de nouveau leur chance avec le MIG-29K et le MIG-35.En avril New Delhi annonce que seuls le Rafale et l’Eurofighter restent en compétition. Il faut noter la spécificité de l’appel d’offre indien : pour des raisons de politique intérieure, la lutte contre la corruption, il est séquencé en deux étapes clairement dissociées, la première exclusivement technique et la seconde portant sur l’offre globale. Ce découplage, d’ailleurs critiqué par certains experts indiens, fait que seul le choix de l’IAF a prévalu. Pour preuve de la non implication du politique à ce stade, les États-Unis ont été informés de leur infortune par leur attaché militaire à New Delhi, lui-même prévenu par les militaires indiens.
Avion de combat omnirole de 4ème génération, sa polyvalence est son atout majeur et correspond parfaitement aux besoins opérationnels de l’Armée de l’Air indienne, compte tenu de l’immensité de l’espace aérien indien. Apte à remplir tous les rôles dévolus à un avion de combat en une seule mission, il peut assurer la sécurité de l’espace aérien national et effectuer des missions à l’extérieur. Un atout maître qui pourrait se révéler décisif lorsque le retrait des forces occidentales d’Afghanistan permettra au Pakistan de récupérer la profondeur stratégique dont il rêve face à son grand rival. D’autre part, prévu dès sa conception pour opérer aussi à bord de porte-avions, il permettra à l’Inde de franchir un saut qualitatif dans la sécurisation de ses espaces maritimes, devenus vitaux pour l’approvisionnement en matières premières d’une économie frôlant la croissance à deux chiffres. Succès technologique unique, il peut embarquer une gamme complète d’armements avancés, jusqu’à la frappe nucléaire stratégique grâce au standard F3.Enfin, ses capacités d’évolution sont inégalées pour répondre au défi de la réduction des écarts technologiques avec des adversaires potentiels.
Du reste, le Rafale a presque toujours été classé 1er sur les plans technique et opérationnel dans les appels d’offre précédents ; cependant, il n’était pas encore « combat proven », label gagné par ses engagements en Afghanistan et en Libye, opération de surcroît plus médiatisée. D’autre part, la coopération avec Dassault est ancienne : avec l’achat de 80 Mirage 2000 dès les années 80, l’Inde a été le 1er client export du M 2000 et la modernisation de cette flotte par l’industriel vient d’être finalisée entre les deux gouvernements. La durée de vie d’un avion comme le Rafale étant de 40 ans, New Delhi aura la même sécurité de modernisation que pour le Mirage, ce qui est moins garanti avec l’Eurofighter, le dernier business plan d’EADS présageant un retrait à moyen terme des avions de combat.
L’Inde à la croisée des chemins
Enfin, les relations bilatérales entre la France et l’Inde sont excellentes : le partenariat stratégique conclu dès 1998 a été réaffirmé lors de la visite d’Alain Juppé en octobre. La France a appuyé avec constance les aspirations de l’Inde à un siège au Conseil de sécurité de l’ONU et à une meilleure participation aux forums internationaux G8, G20…
Compte tenu de ces différents atouts, le dénigrement du Rafale, au moment crucial où se joue la négociation commerciale globale, est proprement hallucinant. S’appuyant sur ses échecs passés à l’exportation, il alimente des critiques aussi stériles qu’injustifiées. L’image d’une France d’un orgueil gaullien anachronique, produisant des technologies tellement sophistiquées que personne n’en veut, et de préférence dans un cadre national, pour être sûre que ce soit encore plus cher, est totalement erronée. La France n’a pas construit le Rafale dans un cadre européen car ses besoins opérationnels, en particulier d’un avion pour porte-avions, étaient différents ; elle avait une guerre d’avance. L’Eurofighter a été un gouffre financier ; il vient d’être épinglé par la Cour des Comptes britannique pour une augmentation de 75% de son coût unitaire. Il est actuellement plus cher que le Rafale ! Pour des pays comme la Corée ou Singapour, la France ne pouvait pas lutter contre la protection militaire que leur assurait la puissance des États-Unis. L’influence anglo-saxonne a été prégnante pour l’Arabie saoudite qui a remplacé les Tornado par l’Eurofighter.
Espérons que les Indiens comprendront par eux-mêmes le bénéfice politique important au niveau de l’image de la puissance de leur pays que symboliserait le Rafale.
Laurence Buge
Le déplacement du centre de gravité du monde vers l’Asie conduit l’Inde, l’une des deux grandes puissances économiques du continent, à « émerger » aussi sur le plan stratégique. Son environnement régional est fragile car marqué par le conflit avec le Pakistan et la rivalité avec la Chine. Face à l’Empire du Milieu, plus puissant économiquement, politiquement et militairement, l’Inde s’emploie à rester dans la course à l’influence en Asie et à contrer l’axe sino-pakistanais. Mais l’Inde du XXIème siècle a également de nouvelles ambitions : elle entend profiter des opportunités générées par la crise mondiale pour accroître son statut sur la scène internationale. La « préférence instinctive » de l’Inde pour un monde multipolaire l’amène à gérer ses relations avec un ensemble de puissances plus diverses avec une flexibilité accrue. Même le rapprochement spectaculaire avec les Etats-Unis -qui lui a permis de bénéficier d’un statut exceptionnel en matière nucléaire- ne signifie pas alliance : New Delhi n’a pas l’intention d’être instrumentalisé par Washington dans une politique d’endiguement de la Chine et a refusé certaines propositions de coopération militaires américaines. Israël, mais aussi la Russie, avec laquelle l’Inde est en partenariat pour le Raptor, avion de combat de 5ème génération restent des fournisseurs importants en matière d’armements. L’Europe est considérée comme un partenaire utile sur le plan commercial.
Ce nouvel environnement géostratégique a amené l’Inde à réviser sa politique de défense et à passer d’une tradition non-interventionniste, au-delà de sa sphère d’influence directe, à une doctrine plus offensive, laquelle ne doit pas être limitée par des questions capacitaires. Pour preuves, un budget de la défense en augmentation constante, surtout depuis les attentats de Bombay en 2008, et une libéralisation de l’industrie de défense par souci de qualité et de performance. D’ici une dizaine d’années, des importations d’armement à hauteur de 50M$ placeront le pays au rang de premier importateur mondial.
Le renouvèlement des avions de l’armée de l’air indienne
C’est dans ce contexte que l’Inde a lancé en 2007 le vaste appel d’offre M-MRCA (MediumMultiRoleCombatAircraft) pour renouveler une flotte aérienne vieillissante composée en grande partie d’avions de chasse de conception soviétique : Su-30, MIG-29 et Mi-35.Ce contrat gigantesque porte sur l’acquisition de 126 avions de combat pour un montant de 12M$ , dont 108 seront réalisés au niveau local en partenariat avec des entreprises indiennes. En effet, la condition essentielle de l’appel d’offre est le transfert de technologies-les compensations s’élevant à 50% de la valeur du contrat- afin de permettre à l’Inde de développer sa propre industrie aéronautique militaire et de constituer une armée de l’air moderne et indépendante. Les Américains ont proposé le F-16 de Lockheed Martin et le F/A-18E/F de Boeing, les Européens l’Eurofighter Typhoon d’EADS ( développé par le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne), la France, le Rafale et la Suède, le Gripen. Enfin, les Russes ont tenté de nouveau leur chance avec le MIG-29K et le MIG-35.En avril New Delhi annonce que seuls le Rafale et l’Eurofighter restent en compétition. Il faut noter la spécificité de l’appel d’offre indien : pour des raisons de politique intérieure, la lutte contre la corruption, il est séquencé en deux étapes clairement dissociées, la première exclusivement technique et la seconde portant sur l’offre globale. Ce découplage, d’ailleurs critiqué par certains experts indiens, fait que seul le choix de l’IAF a prévalu. Pour preuve de la non implication du politique à ce stade, les États-Unis ont été informés de leur infortune par leur attaché militaire à New Delhi, lui-même prévenu par les militaires indiens.
Avion de combat omnirole de 4ème génération, sa polyvalence est son atout majeur et correspond parfaitement aux besoins opérationnels de l’Armée de l’Air indienne, compte tenu de l’immensité de l’espace aérien indien. Apte à remplir tous les rôles dévolus à un avion de combat en une seule mission, il peut assurer la sécurité de l’espace aérien national et effectuer des missions à l’extérieur. Un atout maître qui pourrait se révéler décisif lorsque le retrait des forces occidentales d’Afghanistan permettra au Pakistan de récupérer la profondeur stratégique dont il rêve face à son grand rival. D’autre part, prévu dès sa conception pour opérer aussi à bord de porte-avions, il permettra à l’Inde de franchir un saut qualitatif dans la sécurisation de ses espaces maritimes, devenus vitaux pour l’approvisionnement en matières premières d’une économie frôlant la croissance à deux chiffres. Succès technologique unique, il peut embarquer une gamme complète d’armements avancés, jusqu’à la frappe nucléaire stratégique grâce au standard F3.Enfin, ses capacités d’évolution sont inégalées pour répondre au défi de la réduction des écarts technologiques avec des adversaires potentiels.
Du reste, le Rafale a presque toujours été classé 1er sur les plans technique et opérationnel dans les appels d’offre précédents ; cependant, il n’était pas encore « combat proven », label gagné par ses engagements en Afghanistan et en Libye, opération de surcroît plus médiatisée. D’autre part, la coopération avec Dassault est ancienne : avec l’achat de 80 Mirage 2000 dès les années 80, l’Inde a été le 1er client export du M 2000 et la modernisation de cette flotte par l’industriel vient d’être finalisée entre les deux gouvernements. La durée de vie d’un avion comme le Rafale étant de 40 ans, New Delhi aura la même sécurité de modernisation que pour le Mirage, ce qui est moins garanti avec l’Eurofighter, le dernier business plan d’EADS présageant un retrait à moyen terme des avions de combat.
L’Inde à la croisée des chemins
Enfin, les relations bilatérales entre la France et l’Inde sont excellentes : le partenariat stratégique conclu dès 1998 a été réaffirmé lors de la visite d’Alain Juppé en octobre. La France a appuyé avec constance les aspirations de l’Inde à un siège au Conseil de sécurité de l’ONU et à une meilleure participation aux forums internationaux G8, G20…
Compte tenu de ces différents atouts, le dénigrement du Rafale, au moment crucial où se joue la négociation commerciale globale, est proprement hallucinant. S’appuyant sur ses échecs passés à l’exportation, il alimente des critiques aussi stériles qu’injustifiées. L’image d’une France d’un orgueil gaullien anachronique, produisant des technologies tellement sophistiquées que personne n’en veut, et de préférence dans un cadre national, pour être sûre que ce soit encore plus cher, est totalement erronée. La France n’a pas construit le Rafale dans un cadre européen car ses besoins opérationnels, en particulier d’un avion pour porte-avions, étaient différents ; elle avait une guerre d’avance. L’Eurofighter a été un gouffre financier ; il vient d’être épinglé par la Cour des Comptes britannique pour une augmentation de 75% de son coût unitaire. Il est actuellement plus cher que le Rafale ! Pour des pays comme la Corée ou Singapour, la France ne pouvait pas lutter contre la protection militaire que leur assurait la puissance des États-Unis. L’influence anglo-saxonne a été prégnante pour l’Arabie saoudite qui a remplacé les Tornado par l’Eurofighter.
Espérons que les Indiens comprendront par eux-mêmes le bénéfice politique important au niveau de l’image de la puissance de leur pays que symboliserait le Rafale.
Laurence Buge