Au sortir de la Deuxième Guerre Mondiale, l’Italie compte 4 millions de chômeurs et est affaiblie sur le plan international. Les mouvements antifascistes libéraux et socialistes se sont enfuis sous le régime de Mussolini et ont rompu tout contact avec l’Italie. Quant aux partis communistes et catholiques, ils sont restés en Italie, tentant de créer une contre-société que Mussolini n’a jamais réussi à supprimer. Au sortir de la guerre, le défi est d’adopter un nouveau compromis afin de créer un Etat uni.
Alcide de Gasperi est l’acteur majeur de ce rassemblement sous l’égide du parti Démocrate Chrétien. Son but premier n’est pas tant de construire un Etat catholique mais de reconstruire un pays capable d’être uni vers un même objectif. De Gasperi, originaire de la région du Trentin, a été député en Autriche-Hongrie et a donc hérité des valeurs du pluralisme austro-hongrois.
Il se fixe comme objectif de faire de l’Italie une puissance respectable. Pour ce faire, Alcide de Gasperi fait le choix d’asseoir son pouvoir au niveau national et de se rapprocher du bloc occidental. L’Italie a besoin d’un protecteur, d’être modernisée, de sécurité et de reconnaissance sur le plan international. De Gasperi fait le choix des Etats-Unis et de l’Europe pour mener à bien son projet.
L'adhésion de l'Italie aux puissances occidentales. A quel prix ?
Les connivences de la Démocratie Chrétienne et la répression communiste sous les gouvernements de Gasperi.
En Janvier 1947, Alcide de Gasperi, alors ministre des Affaires Etrangères et Président du Conseil, entreprend un voyage aux Etats-Unis. Il s’agit pour lui d’obtenir un prêt financier de la part des Etats-Unis, d’interpeller sur le « danger communiste » en Italie et de faire reconnaître la position du pays sur le plan international.
Cette visite a eu un fort retentissement en Italie malgré la faiblesse du prêt accordé au pays (100 millions de dollars) par rapport à ces voisins européens. De retour des Etats-Unis, De Gasperi se débarrasse des communistes (PCI) et des socialistes (PSI) du gouvernement. Carlo Sforza, qui a émigré aux Etats-Unis pendant la période fasciste, est élu ministre des Affaires Etrangères. La coalition, avec laquelle la Démocratie Chrétienne (DC) gouverne, est reconduite jusqu’aux élections d’avril 1948 que le parti Démocrate Chrétien remporte.
Les élections de 1948 sont conduites avec le soutien du Saint Siège à la DC. En effet, lors de la seconde guerre mondiale, Alcide de Gasperi, alors réfugié au Vatican rencontre Mgr Montini, le substitut de la Secrétairerie d’Etat et le futur Paul VI, qui le soutiendra dans sa politique. Ils sont tous deux d’accord sur la nécessité de créer un parti démocratique capable d’éduquer les Italiens à la démocratie en s’appuyant sur le Saint Siège d’une part et sur les Etats-Unis d’autre part. Le Saint-Siège est fort d’une organisation tentaculaire dans la société italienne et soutient la campagne de la DC notamment à travers la mobilisation de l’Action Catholique. De leur côté les Etats-Unis soutiennent aussi De Gasperi et menacent même de cesser l’aide financière accordée à l’Italie en cas de victoire du Front démocratique populaire (Discours du 20 mars 1948 du secrétaire d’Etat Marshall). La victoire de la DC est aussi un soulagement pour les puissances européennes qui s’inquiétaient, après le coup de Prague, d’une vague communiste dans le pays.
Afin de rassurer le bloc occidental et de se rapprocher de ses rangs, Mario Scelba, le ministre de l’Intérieur, entreprend après les élections une véritable répression politique envers les communistes. Il n’hésite pas à utiliser les outils de répression fasciste comme le Casellario Politico Centrale qui était utilisé pour ficher les opposants à Mussolini et qui recense les militants jugés dangereux. Entre 1948 et 1950, 15 249 communistes sont condamnés pour affichage sauvage de tracts et d’affiches ou pour des propos communistes tenus lors de réunions publiques. Une série de lois destinées à affaiblir l’influence communiste est votée : les lois d’exception. L’Etat se réserve le droit, en cas d’état déclaré de « danger public » d’arrêter et de détenir toute personne sans cadre judiciaire. L’accès à des postes à responsabilités est fermé pour les personnes suspectées de communisme et enfin des mesures sont prises contre les associations suspectées d’atteinte à la constitution.
De surcroit, en décembre 1949, Albert Tarchiani, l’ambassadeur d’Italie aux Etats-Unis, est convoqué à Washington par le secrétaire d’Etat Dean Acheson. Il lui reproche de faire naître en Italie méridionale un climat favorable à l’influence communiste et de mal utiliser l’aide du plan Marshall. De Gasperi fait alors voter une réforme agraire qui aide les paysans à devenir propriétaires dans le but d’enrayer l’influence communiste dans les campagnes. Il s’ensuit un démantèlement des regroupements et coopérations de paysans et donc, la destruction de l’électorat communiste.
Si De Gasperi lutte avec tant de ferveur contre « l’ennemi communiste » ce n’est pas tant par haine viscérale des communistes que par opportunisme politique. C’est le prix à payer pour se racheter une conduite auprès des puissances occidentales et d’asseoir son pouvoir en Europe.
Devenir une puissance respectable : la promesse européenne
Prise dans le jeu politique de la Guerre Froide, l’Italie, d’une part n’a pas les capacités financières pour rester neutre et d’autre part ne souhaite pas devenir le « terrain de jeu » de l’URSS et des Etats-Unis. L’alliance avec les Etats-Unis à travers l’adhésion, le 4 mars 1949, au pacte Atlantique, est donc pour le pays un mouvement stratégique. Il en tire des bénéfices non négligeables : une stature sur le plan international et une possibilité de cautionner l’anti-communisme de la DC qui est cher au Vatican.
En revanche, adhérer au pacte Atlantique fait du pays un « subordonné » des Etats-Unis et entre 1949 et 1953, l’ingérence américaine dans la politique intérieure italienne est grandissante. C’est pour l’Italie un « moindre mal » dans la mesure où elle choisit une dépendance au détriment d’une autre beaucoup plus lourde : être dépendante du contexte de la Guerre Froide et donc considérée comme un pion sur l’échiquier international.
Le choix de l’Europe se pose donc à Alcide de Gasperi comme un choix stratégique. Choisir l’Europe c’est non seulement avaliser le choix des Etats-Unis qui sont moteurs de la construction européenne mais c’est aussi donner un but commun à l’Italie, en pleine quête d’un nouveau destin. De plus, le choix de l’Europe représente d’une part le choix des Catholiques, dans laquelle ils retrouvent l’héritage du catholicisme européen à son apogée et d’autre part le choix des démocrates du Risorgimento, affiliés aux théories mazziniennes prônant l’unité européenne des peuples. Alcide de Gasperi choisit donc l’Europe non pas par ambition humaniste mais par opportunisme politique dans le but de hisser son pays au rang des grandes puissances d’alors. Cette adhésion à l’Europe se fait dans le but de consolider l’unité du pays et d’unir le peuple vers un but commun.
Fort du soutien retrouvé des pays européens grâce à la politique, notamment anticommuniste, menée par Alcide de Gasperi, l’Italie se trouve au premier rang de la construction Européenne. Le 5 mai 1949, le Conseil de l’Europe est formé. Le 18 avril 1951, Carlo Sforza signe le plan Schuman qui marque l’entrée de l’Italie dans la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier.
Le choix de l’Europe est totalement contingent avec l’alliance avec les Etats-Unis. Ainsi, le couple politique Sforza et de Gasperi n’est, au début, pas favorable au projet de la Communauté Européenne de Défense, pensant les Etats-Unis défavorables à la question et craignant une alliance franco-allemande trop envahissante. En effet, ils craignent un affaiblissement de l’alliance avec les Etats-Unis si la CED venait à se substituer à l’OTAN. Le projet est finalement rejeté par la France mais il montre bien la volonté de l’Italie menée par De Gasperi de s’assurer continuellement de la sécurité de ses alliances. L’Europe selon de Gasperi est une opportunité pour son pays et non une ambition humaniste. Il voit en cette union la suite logique de l’alliance avec les Etats-Unis et une occasion que l’Italie soit enfin considérée comme une puissance. Pour ce faire, il n’hésitera pas à chasser les communistes où bien à s’allier au Vatican sans jamais créer d’Etat catholique. Il est, selon Sergio Romano, « un Giolitti catholique », c'est-à-dire un fin politicien, prêt à toutes les manœuvres politiques pour défendre sa cause et celle de son pays. De fait en moins de 5 ans, il réussira le challenge de faire de l’Italie l’un des pays fondateur de l’Union Européenne alors qu’elle est à peine unifiée et à peine remise de la Seconde Guerre Mondiale.
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