Agences de notation et économie mondiale : les liaisons dangereuses
Un sondage récent montre que 65,66% des sondés ne font pas confiance aux agences de notation, contre 34,34%. Il est vrai que l’on entend tout et son contraire sur les agences de notation ; « elles font leur métier et tiennent un langage de vérité », « pompiers pyromanes », « un pouvoir exorbitant » ou « ne pas trop croire ce qu’elles disent » (DSK)… jusqu’au complot anglo-saxon.
« Mais qui sont ces gens ? ».
Le renseignement financier est l’ancêtre de la notation. La classification des débiteurs en fonction de leur capacité à honorer leur dette a toujours fait l’objet d’une analyse interne à chaque établissement de crédit. En revanche, la publication d’opinions externes, n’émanant ni des banquiers ni des investisseurs mais destinées à les guider sur le risque de crédit d’un individu, d’une entreprise ou d’un Etat, remonte au début du XIXème siècle. En France, Eugène- François Vidocq, bagnard devenu agent secret sous les ordres du Préfet de police à la fin du Premier Empire et sous la Restauration, crée en 1833 le « Bureau des Renseignement universels pour le commerce et l’industrie ». L’essor du capitalisme favorisera l’expansion du marché de l’information financière.
En 1909, John Moody eut l’intelligence de comprendre qu’il serait de plus en plus délicat pour les investisseurs de discriminer efficacement les nombreux titres de dette et créa la notation financière. Constitué de vénérables institutions privées, le marché du « rating » est un quasi-oligopole anglo-saxon depuis les années 40 : Moody’s Investors, Standard and Poors et Fitch Ratings contrôlent à elles seules 94% du marché mondial de la notation : 80% pour le duo Standard - Moody’s et 14% pour Fitch appartenant à la holding française Fimalac, présidée par Marc Ladreit de Lacharrière.
Des changements radicaux sont survenus depuis un siècle dans le mode de rémunération des agences. Pendant plus de 60 ans, les profits des agences provenaient de leurs publications ; mais les années 70 marquent un tournant majeur : elles vont désormais facturer leurs services aux émetteurs de dette obligataire. Leurs profits progresseront de manière spectaculaire pour atteindre à la veille de la crise de 2007-2008, 1400 millions de dollars pour S&P,- 1200 pour Moody’s et 200 pour Fitch. Le marché des produits structurés, particulièrement rémunérateur, représentait alors 50% de leur chiffre d’affaires.
Des soupçons justifiés ?
Pas si évident…La forte concentration du secteur, l’opacité de leurs méthodes de notation, le fait que leurs revenus proviennent pour l’essentiel des émetteurs de dette qu’elles notent, font douter de leur objectivité. Néanmoins, leur légitimité n’est pas contestable. Avec le décloisonnement des différents marchés de capitaux dans les années 90, elles ont représenté un dispositif clé dans le mécanisme du marché financier, en offrant aux émetteurs la possibilité d’emprunter le moins cher possible, en informant les investisseurs sur les risques de crédit des titres qu’ils détenaient et, enfin, en apaisant les autorités monétaires soucieuses de l’ordre qui doit régner sur les marchés.
Par ailleurs, l’internationalisation de l’activité des agences avec l’accroissement du nombre d’émetteurs européens et asiatiques met à mal l’image caricaturale d’une industrie dominée par des agences américaines qui notent des sociétés américaines pour des investisseurs américains. Enfin, le développement d’un marché de la dette obligataire spéculative a renouvelé et légitimé le marché de la notation.
Si les agences ne sont pas contestables dans leur mode de fonctionnement et si elles sont dans leur rôle comme acteur du marché financier, leurs fortes imbrications avec celui-ci posent le problème d’être à la fois juges et parties.
Des reproches justifiés ?
Oui, assurément, mais que dire des autres acteurs - banques, gouvernements, institutions internationales, instances de régulation- ? Les agences de notation n’ont pas vu venir le krach asiatique de 1997, ni prévu la faillite de l’Argentine en 2001, pas plus qu’elles n’avaient anticipé les difficultés de la Grèce, du Portugal et de l’Espagne. Enron a été dégradé 3 jours avant sa faillite fin 2001.Quelques semaines avant la crise des subprimes, elles attribuaient un triple A à AIG et Lehman Brothers, deux des institutions financières les plus gavées de produits toxiques. Elles sont accusées d’être partiellement responsables de l’euphorie des subprimes, faute d’avoir su résoudre les problèmes de conflits d’intérêt inhérents à leur activité. Or, l’étendue même des dégâts révèle que les torts sont très largement partagés. Le boom de l’immobilier aux USA, le montant faramineux des dettes contractées par les banques et la très grande sophistication des produits financiers ont résulté de pratiques bancaires dévoyées et de politiques publiques déficientes, qui ont encouragé de concert un endettement irréfléchi, même si les agences ont très bien noté les produits qui nous ont menés à la catastrophe.
Seules quelques voix s’élevaient à l’époque contre la titrisation débridée : l’économiste Nouriel Rioubini de l’université de New York prévoyait une crise économique majeure provoquée par les produits dérivés et structurés, que l’homme d’affaires américain Warren Buffett qualifiait « d’armes financières de destruction massive ».Qui les a écoutés et relayés ?
Les agences et leur pouvoir politique sur les Etats
Ce krach des subprimes, qui a dégénéré en crise financière mondiale, provoquant une récession sans précédent depuis la 2ème guerre mondiale,a aggravé dans des proportions catastrophiques l’endettement des Etats, qui ont recapitalisé les banques et touchent moins de recettes, compte tenu de la faiblesse de la croissance. Le fait que les agences surréagissent aux mauvaises nouvelles entraîne le pays en difficulté dans une spirale mortelle, chaque dégradation faisant monter ses taux d’emprunt, ce qui accroît ses difficultés et justifie une nouvelle dégradation.
C’est ce pouvoir « politique » des agences qu’il faut casser car elles n’ont aucune légitimité dans ce domaine ; on le voit dans le cercle vicieux dans lequel se débat la Grèce, mais également dans le « timing » de la dégradation de la note des Etats- Unis juste avant la tenue d’un G20 comme la mise sous surveillance de la France deux jours avant un sommet européen crucial.
Ne serait-il pas opportun et urgent de créer une instance mi-publique, mi-privée dépendant d’une institution internationale comme le FMI par exemple, pour l’appréciation des dettes souveraines et des situations macro-économiques ?