Mihaïl ROCO, conseiller en nanotechnologies auprès de la Maison-Blanche
- Une ambition de puissance retrouvée
L’ère ELTSINE a connu une ouverture sauvage du marché russe au libéralisme économique. Déstabilisée, l’économie russe s’est trouvée sans vision à long terme et avec une main mise de l’oligarchie sur les richesses du pays.
Cette période d’affaiblissement post-URSS semble s’être stabilisée avec l’arrivée de V. POUTINE en 2000. POUTINE, personnalisation d’une politique de puissance, a refait du contrôle de l’Etat dans certains secteurs une forme d’affirmation des ambitions nationales.
Avec 80% de ces exportations, les secteurs des hydrocarbures et des mines ont permis d’exercer une forme de contrôle sur la productivité des autres pays. Le point d’appui que constituent les matières premières, rend la Russie trop dépendante et vulnérable aux fluctuations des cours. Loin du modèle d’un « Pétro-Etat », la Russie veut se trouver un autre modèle d’influence, basé sur la technologie.
Aujourd’hui, sous l’impulsion du couple MEDVEDEV/POUTINE, cette stratégie se fonde sur le développement par la science, la technologie et l’industrie. L’objectif étant de sortir d’une économie de rente, il lui faut diversifier son économie par la réindustrialisation.
- La réindustrialisation du pays
Deux stratégies sont à l’œuvre :
L’Etat russe a les moyens de moderniser son économie et d’affirmer sa puissance autrement qu’à travers le secteur de l’énergie.
Conscient du retard accumulé dans l’innovation et de la nécessité de muter industriellement, le Kremlin a défini les secteurs clés à développer dont celui des nanotechnologies, l’un des leviers de sa future croissance.
- Les nanotechnologies : la maitrise de l’infiniment petit
Ce domaine d’activité porte sur l'étude, la fabrication et la manipulation de structures, de dispositifs et de systèmes matériels à l’échelle nanométrique (10-9 m). Elles présentent de nombreuses composantes : nano-mécanique, nano-biologie, nano-électronique, nano-robotique. La plupart des applications sont encore au stade de la recherche, mais quelques-unes ont commencé à émerger comme les nanotubes de carbone.
Les potentialités en termes de domaines d’applications sont réelles et, semble-t-il, imminentes : matériaux, TIC, santé …
Selon la NSF (National Science Fondation), les produits issus des nanotechnologies génèreront un marché de mille milliards de dollars d'ici 2015. Tous les pays, dont les économies reposent sur la technologie, supportent des programmes de recherche et investissent massivement dans ce domaine.
Créé en 2007, ce consortium d’Etat est détenu à 100% par le gouvernement de la Fédération russe, traduisant sa volonté de contrôler les secteurs stratégiques russes. Son objectif est de développer des activités dans les nanotechnologies via 6 clusters : énergie, matériaux, biotechnologie, mécanique, optoélectronique et infrastructure.
A sa tête : Anatoly CHUBAIS, qui a été nommé en 2008 par décret présidentiel (D. MEDVEDEV). Bien connu des russes, il est celui qui a piloté le programme de privatisations russe au long des années 90 sous Boris Eltsine. Il est l’archétype de l’oligarque qui a réussi à se maintenir dans la sphère politico-économique.
RUSNANO sert à coordonner et structurer la politique scientifique et industrielle fédérale pour ces nouvelles technologies. Son objectif affiché est de favoriser le développement de procédés innovants dans le domaine des nanotechnologies et de soutenir leur commercialisation.
Sa vocation principale est de multiplier les partenariats public-privé par le biais du co-investissement. Il intervient comme un fonds et investit à l’étape initiale pour compenser le manque de capitaux privés. Pour cela, il s’appuie sur sa capacité de financement et le savoir russe en matière de sciences dures.
A l’origine, il s’est vu doté de 132 milliards de roubles, une somme jamais accordée dans aucun domaine de recherche en Russie. L’objectif est d’atteindre un chiffre d'affaires annuel de 900 milliards de roubles en 2015. Pour cela, RUSNANO investira annuellement environ 30 milliards de roubles jusqu’à cette date.
Un outil …
RUSNANO ne cache pas ses ambitions : «Mettre en œuvre les intérêts du gouvernement. […], le groupe agit en ligne avec les intérêts de la fédération de Russie, assumant le rôle-clé de coordinateur des politiques d’innovation […].»
Cela s’exprime notamment par le biais d’accords de coopération. C’est le cœur de la stratégie de réindustrialisation : les sociétés russes multiplient les accords avec des entreprises occidentales et développent ainsi une domination sur le terrain de l’économie dématérialisée (brevets). En voici quelques exemples :
Enfin, grâce au salon Rusnanotech, RUSNANO et la Russie se dotent d’un outil d’influence pour peser sur l’établissement des normes.
La Russie envisage de reconstituer sa puissance militaire. Cela nécessite au préalable de retrouver une puissance industrielle. Ainsi, à l’aide des nanotechnologies, elle donnerait une nouvelle orientation à son programme de développement militaire pour concevoir des armements de nouvelle génération. Toujours engagée avec les Etats-Unis dans un processus de non prolifération nucléaire, les nanotechnologies lui offrent l’opportunité de prendre une longueur d’avance dans le développement des armes.
En intégrant dans ces armes des produits issus de la recherche nanotechnologique, elle améliorerait sa technologie militaire (équipements du soldat, équipements électroniques au service de la neutralisation ou du codage).
Selon le directeur de l'Independent Scientific Research Institute de Genève A. GSPONER, les nanotechnologies peuvent contribuer à la miniaturisation des bombes nucléaires en créant des matériaux résistant à la chaleur et au rayonnement. En ligne de mire, la création de la quatrième génération d'armes nucléaires, c'est-à-dire une bombe à fusion nucléaire qui ne contiendrait que peu, voire pas du tout, de matière fissile.
D’autres armes de type chimique ou biologique seraient réalisables grâce aux nanotechnologies. La capacité de nanoparticules de pénétrer l'organisme humain aurait pour effet de faciliter la guerre chimique ou biologique, de la gérer et de directement cibler des groupes ou des individus.
Enfin, la sécurité du territoire n’est pas exclue des potentialités. Des nanocapteurs sensibles aux quantités infimes d’agents mortels pourraient détecter et neutraliser des composants d'armes chimiques, biologiques ou radiologiques. Placer dans des lieux publics, ils serviraient aussi à décontaminer des zones ou des individus atteints par des armes d’une nouvelle génération.
Au travers du consortium RUSNANO, la Russie démontre sa maîtrise de ce qui relève de sa suprématie technique et militaire. En l’état actuel des connaissances et de l’avancement des projets nanotechnologiques, il est cependant difficile de différencier les applications civiles des applications militaires.
L’accès programmé au pouvoir de V. POUTINE en mars 2012 marquera le retour d’une politique de puissance affirmée. S’appuyant sur ses réserves de change, l’État russe a les moyens financiers de lancer des projets stratégiques et de concurrencer les entreprises étrangères.
BIBLIOGRAPHIE