Si les médias aussi bien français et étrangers, entraînés dans la morosité de bon aloi de l’époque, attirent surtout l’attention de l’opinion internationale sur les questions d’endettement de l’Europe et de la France, le vieux continent n’en demeure pas moins une zone clé, témoin muet et absent d’une nouvelle forme de confrontation économique posée sur de nouveaux rapports de force idéologiques.
L’Europe réunit en effet tout à la fois de nouveaux enjeux et instruments stratégiques dont les Etats qui la constituent n’ont peut-être pas encore su se saisir mais qui n’ont pas échappé aux grandes puissances que sont les Etats-Unis ou la Chine. La confrontation des modèles de pensée, dans une résurgence nouvelle possible des modèles idéologiques revisités comme instruments de puissance, joue un rôle majeur dans ce rapport de forces.
L’Europe présente pour ces pays de nombreux attraits : stabilité politique, marchés potentiels notamment en Europe de l’Est dans les secteurs par exemple de l’énergie et de l’environnement, et surtout, points d’entrée pour certains vers le Proche, le Moyen-Orient, et le continent africain dans son ensemble, objet de toutes les convoitises.
Ces opportunités économiques revêtent une importance géopolitique et géostratégique majeure dans une période post crise 2008 où de nouveaux enjeux et alliances se dessinent entre grandes puissances ainsi que de nouveaux rapports de force.
On le sait, la conquête des marchés passe aussi par la conquête de zones d’influence. La Chine et les Etats-Unis qui s’affrontent économiquement sur la question de la dette et de la convertibilité du yuan l’ont bien compris : la donne change et les mouvements d’influence également. De nouveaux repositionnements s’opèrent via notamment l’Europe, zone affaiblie mais cruciale pour les deux puissances dans leurs ambitions économiques.
Ainsi, début 2011, la Chine a lancé un premier mouvement en implantant en quelques mois cinq filiales de la banque ICBC (à Paris, Bruxelles, Amsterdam, Milan et Madrid), prémices des investissements qu’elle va consacrer aux zones Europe et Afrique à plus ou moins long terme. On peut penser que les mouvements sur les ports européens notamment grecs sont autant de signes précurseurs d’une volonté de s’ouvrir aussi bien l’Europe centrale que le continent africain sur des zones portuaires moins sensibles que sur la rive opposée de la Méditerranée, tout en contournant les zones d’influence directes américaines. Dans le même temps, la Chine tente habilement de réactiver les relations historiques tissées avec les « pays frères » de l’ancien bloc communiste, sous un angle idéologique réinventé, ne pouvant toutefois proposer à l’opinion publique de modèle de société réellement porteur et abouti (cf écarts croissants de niveau de vie au sein de la population chinoise).
Ces mouvements n’échappent certainement pas aux Etats-Unis qui semblent tenter actuellement de réinventer également de son côté le modèle de pensée américain, soutien de ses ambitions économiques et géopolitiques. Ainsi, on peut citer son Minority Engagement Strategy, relayé à Paris qui vise à s’attirer les faveurs des minorités en relai potentiel de ses ambitions.
On peut regretter le silence de la France et de l’Europe qui semblent depuis de nombreuses années s’autocensurer et s’auto-neutraliser, prises elles-mêmes dans les raies d’une culpabilité historique auto-entretenue dont beaucoup pourtant souhaitent sortir, alors qu’il existe bel et bien un modèle humaniste européen reconnu par tous : tradition démocratique ancienne, modèle de tolérance, tradition d’accueil qui permet une ouverture et un brassage culturel unique au monde.
Alors qu’une guerre de modèles s’ouvre sur les ruines d’un passé dont les uns et les autres n’arrivent pas à s’extraire, faut-il laisser passer cette chance historique de tourner une page pour repartir sur de nouvelles bases communes avec des valeurs éprouvées, en remisant les rancoeurs du passé dont beaucoup souhaite sortir ?
Audacieusement, osons dire que beaucoup attendent de la France qu’elle reprenne confiance pour renouer avec les idéaux qui ont nourri ce continent capable d’attirer la plus grande diversité de populations au monde, que nous avons les clés entre nos mains d’un modèle prometteur où l’être humain est au cœur du modèle économique.
Ce modèle humaniste multiculturel audacieux, réinventé et réaliste, ne doit pas cependant s’interdire des ambitions économiques dynamiques sur les zones traditionnelles d’échanges que sont l’Afrique, le Moyen-Orient et l’Europe dans son ensemble, sur la base des nombreux ponts d’échanges qui ont été construits par la proximité géographique, facteur et atout unique de relation approfondie entre continents.
Alors que le modèle purement capitalistique et financier semble vaciller et que les deux principales super puissances cherchent à réinventer ce nouvel espace avec des modèles peu aboutis d’un point de vue droits humains, notre modèle humaniste appliqué dans de nombreux pays européens avec succès à l’économie, réinventé, dynamique, sans arrière-pensées hégémoniques après les leçons du passé, nourri des nouvelles influences des multiples brassages culturels, n’est-il pas le plus légitime pour ré-occuper son propre territoire de pensée et proposer un modèle universel enrichi ?
Il y va aussi du sauvetage d’une certaine humanité économique, efficace et réaliste, qui a depuis longtemps conquis pacifiquement les esprits, et qui sera, si suffisamment de bonnes et fermes volontés savent s’en saisir, la bannière européenne.