ESA et la puissance spatiale européenne

La naissance de l’Europe spatiale est le fruit d’une erreur stratégique américaine qui en conditionnant le lancement de satellites de télécommunications Franco-Allemand à une non-utilisation commerciale a conduit l’Europe à accélérer son programme spatiale et à s’engager le 31 Juillet 1973 dans le programme Ariane. L’Europe dispose alors de capacités qui font d’elle une puissance spatiale de premier rang.
L’Agence spatiale européenne est une agence intergouvernementale fondée le 31 mai 1975. Sa mission consiste à façonner les activités de développement des capacités spatiales européennes et à faire en sorte que les citoyens européens continuent à bénéficier des investissements économiques et stratégiques réalisés dans le domaine spatial. Ces activités couvrent l'ensemble du domaine spatial, tel que l’exploration du système solaire, l'étude et l'observation de la Terre (GMSE), les lanceurs (Arianespace), les vols habités (participation à la Station spatiale internationale), la navigation par satellite (Galileo),  les télécommunications,  et la recherche dans le domaine des technologiques spatiales.
L'ESA compte 18 États membres et son budget en 2011 est de 3,994 Md€, soit environ 4 fois moins qu’aux USA pour le spatial civil. L’UE participe à hauteur de 20 %, et les Etats membres contribuent au prorata de leur PIB. Néanmoins, la participation aux programmes facultatifs représente 75% du budget, ce qui fait de la France son premier contributeur (18,8 %) devant l’Allemagne (17,9) et l’Italie. L’ESA élabore la politique industrielle appropriée et fonctionne sur la base d'un retour géographique, c'est-à-dire que la somme versée par un État membre est approximativement affectée à l'industrie spatiale de ce pays.
Par ailleurs, ce n’est pas une agence communautaire, et tous les participants ne font pas partie de l’UE. Toutefois, les accords UE/ESA ont apporté des progrès significatifs concernant leur coopération dans le domaine de l'élaboration des politiques. L'UE intervient en tant que chef de file dans les programmes stratégiques relatifs à ses propres politiques (GALILEO et GMES, etc), tandis que l'ESA représente l'Europe pour les programmes concernant la science, les lanceurs, la technologie et les vols spatiaux habités.
Cependant, malgré une certaine réussite opérationnelle, la puissance spatiale européenne subit, par sa faiblesse institutionnelle, une stratégie peu ambitieuse, et doit faire face à de nouveaux concurrents issus des pays émergents.

 


I L’ESA au service de la puissance commerciale, scientifique et industrielle de l’Europe

 

 

La puissance spatiale comme vecteur de croissance

 

la Commission, « à une époque où apparaissent de nouvelles puissances affichant des ambitions et capacités élevées en matière spatiale, l’Europe ne peut pas se permettre de faire figure de perdante, ni de laisser échapper les avantages économiques et stratégiques potentiels de l’espace pour ses citoyens ».
L'Europe cherche à se doter d'une véritable politique spatiale lui permettant d'exercer un leadership mondial dans ce secteur source de croissance et d'emploi représentant un marché mondial de 90 milliards d'euros et de 7% de croissance annuelle.
D’un point de vue commercial, l’opérateur de systèmes de lancement Arianespace est le symbole de la réussite de l’Europe spatiale. Début 2012 Arianespace disposera d'une gamme de trois lanceurs complémentaires, soit l’offre la plus étendue au monde. Le lanceur lourd Ariane 5 se chargera essentiellement des gros satellites de télécommunications, jusqu’à 10 Tonnes (12 en 2017) pour 160 millions d'euros. Le lanceur intermédiaire Soyouz, est destiné à des charges utiles réduites à 3 tonnes pour un forfait de 75 millions d'euros. Vega lancera les charges inférieures à 1.500 kg pour 20millions d’euros, de quoi rivaliser avec tous les concurrents en attendant Ariane 6 prévue vers 2025.
De plus, le système mondial de radionavigation par satellites GALILEO, initiative lancée par l'UE et l'ESA, représente une infrastructure stratégique pour l'Europe. Plus précis et efficace que les systèmes russe et américain, il devrait rapporter 90 milliards d’euros à l’économie européenne en 12ans environ sur un marché représentant 124 milliards d'euros dans le monde et 244 milliards d'euros en 2020. Sans compter le gain d’indépendance vis-à-vis du GPS pouvant être coupé par les américains à tout moment. Rappelons que le guidage des missiles français reste en parti dépendant du GPS américain.
En outre, le programme GMSE doit garantir l’accès autonome aux informations relatives à l'environnement, au changement climatique et à la sécurité en améliorant les capacités de surveillance, d’observation, d'évaluation et de prise de décision dans plusieurs domaines pour optimiser la sécurité des européens. Pour la commission.
L’Europe est également très bien positionnée, grâce à son industrie performante (EADS Astrium, Thales Alenia Space, etc) dans le domaine des satellites de communications qui représentent 40 % des revenus actuels du secteur spatial en Europe et seront caractérisées par une forte croissance selon Eutelsat.
Enfin, pour la Commission, en termes de sécurité « l’Europe [est] confrontée à des menaces en constante évolution, plus variées, moins visibles et moins prévisibles ». Elle propose de recourir à une combinaison de solutions civiles et militaires qui passent par des moyens spatiaux.

 

 

La Puissance spatiale en tant qu’outil de prestige et d’innovation

 

 

Par ailleurs, l’espace continue d’être un outil politique de prestige, comme le montre la politique chinoise par exemple. L’Europe, malgré des faibles moyens mais une meilleure gestion de ses ressources, a relevé le défi d’être une puissance spatiale crédible grâce aux succès de Rosetta, Mars Express, Venus Express, Colombus ou encore Cassini-Huygens sur Titan qui ont contribué à d’importantes découvertes scientifiques et de nombreuses innovations technologiques. Néanmoins, par manque de moyens, et surtout d’ambition,  elle se refuse à utiliser la carte la plus prestigieuse : le vol habité.
L'accès indépendant et rentable à l'espace reste un objectif stratégique pour l'Europe, mais pour elle, l’envoi autonome de spationautes n’en fait pas partie. La Transformation progressive du vaisseau ravitailleur ATV, en vaisseau capable de ramener du Fret sur terre (ARV), pourrait en être le premier pas.

 


II Une agence victime, comme souvent en Europe, de sa faiblesse institutionnelle

 

 

Un outil d’indépendance européenne mis à mal par les intérêts nationaux de ses membres

 

Autrefois régie par l’ESA au niveau intergouvernemental et par quelques Etats au niveau national, le fonctionnement de la politique spatiale européenne est de plus en plus défini (en particulier depuis 2007) par l’UE. Cependant, comme souvent en Europe, la faiblesse institutionnelle et les intérêts divergeant des nations disposant également de leurs propres programmes nationaux (CNES en France) fragilisent cette stratégie.
La France, dans le prolongement de la doctrine gaullienne, a largement participé à la montée en puissance de l’Europe dans le domaine spatial depuis son origine, jusqu’à sa consécration juridique dans le Traité de Lisbonne. Quant à l’Allemagne, l’aspect pratique a plus souvent pris le dessus sur la recherche de l’indépendance stratégique qui ne fut guère explicite qu’en France. Alors que la priorité de l’Allemagne est  l’ISS et qu’elle veut que l’Europe y consacre 3,8 milliards, la priorité française va à Arianespace. De même concernant le programme Galileo. L’Allemagne, craignant une domination du consortium Thales-Alcatel-EADS, a tout fait pour faire échouer le partenariat public/privé afin de favoriser ses entreprises moins puissantes que les grands groupes italiens ou français. Dès lors, la Commission a dû morceler le projet en six lots, pour limiter leur participation à 40% maximum.
Les Britanniques quant à eux, après être devenus une nation spatiale en 1971, n’ont plus jamais eu une politique spatiale ambitieuse. Enfin les Etats neutres européens ont longtemps été réticents aux possibles applications  militaires que pourraient revêtir Galileo et GMES. On ne peut donc pas parler d’une gouvernance d’ensemble mais simplement de gouvernances plurielles, aussi nombreuses qu’il y a de programmes. Les batailles budgétaires sur fond d’enjeux industriels et politiques sont le quotidien de l’ESA.

 

 

L’ESA : entre nouveaux partenariat et émergence de nouveaux concurrents

 

 

Ensuite, malgré sa position de leader dans de nombreux domaines, l’ESA doit affronter de nouveaux concurrents à l’ambition de plus en plus forte. Pour Galileo et Arianespace, la concurrence est Américaine (GPS,  SpaceX start-up soutenue par la NASA), Russe (GLONASS, ILS, et SeaLaunch, rescapé de la faillite et Russe depuis), ou Chinoise avec sa LongueMarche qui espère conquérir 10 à 15% du marché en 2015 malgré ITAR. Vega aura par exemple fort à faire face aux anciens missiles soviétiques modifiés. De plus, d’ici à 2015, trois nouveaux lanceurs devraient émerger : Atlas par Lockheed, Delta par Boeing, et le lanceur Indien  GLSV Mark III.
La conclusion de partenariats est l’une des stratégies de riposte. En 1996, Arianespace a acquis 15% des parts de la société Starsem, opératrice des lanceurs Soyouz. Néanmoins, la réussite de la coopération est pour certains une erreur. « Avec Ariane 4, nous disposions d'un lanceur modulaire et parfaitement fiabilisé. Nous avons déboursé 500 millions d'euros pour le remplacer par un engin russe datant des années 1950 sur lequel nous n'avons aucune maîtrise » a indiqué un industriel français. Valerï Miliaev, ingénieur vétéran de Roskosmos s’est quant à lui  réjouit de la dépendance Européenne vis-à-vis de la Russie.

Alexandre Mandil

 

 

Sources :