Rome teste le mouton de Panurge « numérique »

Rome, le mercredi 11 mai 2011. La ville est à moitié déserte. Les habitants de la ville éternelle ont décidé de partir en vacances le même jour. On pourrait croire que c’est pour profiter du soleil radieux du mois de mai, pour bronzer tranquillement sur la plage un jour de semaine ou même pour faire une balade champêtre et respirer l’air pur de la campagne. Mais la raison est toute autre. Si nos amis romains ont préférer quitter leur superbe cité le temps d’une journée, c’est à cause d’un sismologue amateur décédé il y a plus de 30 ans.
Ce sismologue s’appelait Raffaele Bendandi. Il était persuadé que l’alignement de certaines planètes provoquait des oscillations de la croute terrestre et il avait donc élaboré une théorie visant à prédire les tremblements de terre selon la position des astres. La communauté scientifique de l’époque l’ignora  et ce malgré le fait que certaines de ses prédictions se soient réalisées. Snobé par ses pairs, il continua ses travaux dans l’anonymat jusqu’à sa mort en 1979.
L’histoire aurait pu s’arrêter là mais à l’ère d’internet rien ne s’arrête vraiment. En effet, Bendandi aurait prédit, peu avant sa mort, un puissant séisme qui toucherait la région de Rome le 11 mai 2011. Bien qu’il n’y ait aucun manuscrit ou document attestant de cette prédiction, la rumeur s’est vite propagée sur la toile, relayée par les sites spécialistes de la théorie de l’apocalypse. Les autorités scientifiques, ne donnant évidemment aucun crédit à ce genre d’affirmation, n’ont pas jugé bon de démentir rapidement cette information erronée.
Or le terrible séisme de Fukushima ayant donné soudain beaucoup plus d’ampleur à cette rumeur, les démentis officiels, largement diffusés, n’ont eu aucun effet pour désamorcer cette psychose. C’était en effet trop tard : dans l’imaginaire collectif, il était certain qu’un séisme aurait bien lieu le 11 mai à Rome. Et c’est pour cette raison que les romains ont déserté leur ville et que les touristes ont préféré la visiter un autre jour.
Cette histoire pourrait bien faire sourire si son impact économique n’était pas si désastreux pour l’Italie. En effet, les recettes touristiques dans l’économie italienne sont estimées à 40 milliards d’euros par an et il est donc évident que le manque à gagner peut se chiffrer en dizaines de millions suite à une journée sans touristes à Rome. De plus, le ralentissement des activités suite aux absences justifiées ou non des salariés, sera très lourd de conséquences pour l’économie locale (à titre de comparaison, le coût d’une journée de grève en France est estimé à 300 millions d’euros selon le Ministère des Finances).
L’absence de stratégie de communication des autorités scientifiques, qui a laissé le champ libre à une rumeur, va donc avoir un impact négatif sur l’économie réelle. Cela souligne l’importance que prennent aujourd’hui la maitrise de l’information sur le web et la nécessité d’occuper le terrain pour stopper les réactions en chaine souvent incontrôlables. Car il ne faut pas surtout pas oublier que, de nos jours, le mouton de Panurge est devenu « numérique ».

Khaled Baaziz