Les aliments issus d’animaux clonés : une nécessaire traçabilité

L’été dernier, la découverte en Grande-Bretagne, de l’entrée dans la chaîne alimentaire de viande émanant d’embryons d’une vache clonée à l’étranger, ainsi que de lait provenant de descendants d’une vache obtenue par clonage a suscité de vives polémiques et inquiétudes.
En effet, si a priori le clonage alimentaire ne présente pas de problème de sécurité sanitaire, il soulève de nombreuses questions d’ordre éthique. Il fait non seulement disparaître l’identité de l’animal qui devient élément d’un ensemble que l’on ne peut pas distinguer, mais de plus il génère des interrogations quant au bien-être des animaux, qui subissent une forte diminution de leur espérance de vie, sans explication à ce jour. L’information du consommateur européen sur un sujet aussi sensible que l’alimentation est essentielle. Le refus massif du clonage utilisé à des fins de production alimentaire est à prendre en compte.

Une polémique s’installe suite à l’échec des négociations au niveau européen
A ce jour, un flou inquiétant semble s’installer suite à l’échec des négociations qui se déroulaient depuis trois ans à Bruxelles dans le cadre de la mise à jour du règlement de 1997 sur les nouveaux aliments. Pour rappel, le Parlement européen, fortement opposé à autoriser les aliments issus d’animaux clonés, avait proposé un compromis final, acceptant leur entrée sur le marché en contrepartie de leur traçabilité et étiquetage, de même que pour les produits issus de la progéniture de clones. En réponse le Conseil des ministres de l’Union européenne opposa un refus catégorique arguant que l’étiquetage de tous les types de produits serait difficilement applicable, voire peut-être même non conforme aux règles du commerce international. Aussi, le Conseil proposa-t-il une solution transitoire, dans l’attente de l’adoption d’une réglementation globale sur le clonage envisagée pour 2013 et à terme d’un étiquetage pour la seule viande fraîche d’un animal cloné. Cette proposition consistait en un plan en huit mesures prévoyant notamment l’interdiction « temporaire » d’aliments issus d’animaux directement clonés quelle que soit leur origine, et du clonage des animaux voués à la production alimentaire sur le territoire européen. La position du Conseil, qualifiée alors d’ambiguë par ses opposants, risquait d’aboutir à interdire le clonage en Europe tout en autorisant l’importation de produits issus d’animaux clonés.

Un handicap pour les capacités d’innovation de l’industrie agroalimentaire européenne
De l’échec des négociations résulte un statu quo du règlement actuel sur les nouveaux aliments, le temps que la Commission européenne présente éventuellement dans les prochaines années une nouvelle proposition. Toute interdiction ou encadrement de ces pratiques étant abandonnés, le problème reste entier. Le texte en vigueur ne prévoit qu’une simple autorisation préalable avant la commercialisation, ne fait pas référence aux produits provenant des descendants et n’interdit pas la technique du clonage alimentaire.
Comme le souligne à juste titre la Confédération des Industries Agroalimentaires (CIAA), il est fort regrettable que l’absence d’accord et le maintien du cadre réglementaire actuel créent « des goulets d’étranglement pour l’innovation, entraînant une réduction des investissements des entreprises dans la recherche et ralentissant l’arrivée de nouveaux aliments sur le marché ». D’autres volets du projet de règlement sur les nouveaux aliments se voient ainsi paralysés, concernant par exemple les nanomatériaux dans les aliments ou encore une procédure d’autorisation centralisée et plus rapide pour faciliter l’innovation dans l’industrie alimentaire.

L’information du consommateur européen négligée au bénéfice d’intérêts commerciaux
Selon certaines personnes au fait du dossier, il semblerait que les autorités européennes n’aient pas voulu prendre le risque de conflits commerciaux avec des partenaires autorisant le clonage à des fins commerciales et ne disposant pas d’un système de traçabilité, cela au risque d’ignorer les préoccupations des consommateurs et d’une partie de ses élus. Faute d’encadrement de la commercialisation de la viande de la descendance d’animaux d’élevage clonés servant à la reproduction, l’Union européenne aurait été contrainte de facto d'interdire les importations de viande notamment d’Argentine et d’Amérique du Nord. L’ancienne guerre commerciale provoquée par l’interdiction du bœuf aux hormones semble avoir laissé des traces. Une analyse du dessous des cartes de cette négociation s’avère par conséquent nécessaire pour décrypter l’effet final recherché par les multiples forces d’influence en présence. Il est d’ailleurs important de souligner que dès 2008, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) avait émis des réserves sur la commercialisation future d’aliments provenant d’animaux clonés, contrairement à son homologue américaine (FDA) qui n’avait rien trouvé à redire.

L’enjeu de l’alimentation, au fondement même de la société
Ce débat sur la réglementation de la production alimentaire voit le jour dans un contexte déjà en proie à de vives inquiétudes : succession de crises alimentaires et épidémiologiques, industrialisation à l’échelle internationale des acteurs de la filière alimentaire, utilisation d’OGM pour l’alimentation du bétail, éloignement grandissant des espaces de production et de consommation des aliments, ordre alimentaire traditionnel perturbé par une mutation sociale, incorporation de nouvelles habitudes de consommation, augmentation du taux d’obésité dans la plupart des pays, un manquement dans une généralisation de l’éducation des jeunes générations au « goût » et une tendance à porter un choix sur des aliments gras, sucrés et standardisés, etc.
La liste des inquiétudes ne cesse de croître alors que la population prend de plus en plus conscience de l’importance de son rapport avec la nourriture, et met en exergue combien les pratiques alimentaires sont étroitement liées aux espaces relationnels, sociaux, symboliques, culturels et géographiques des individus et de leur groupe d’appartenance. Ainsi, l’affirmation en 1962 de l’anthropologue et ethnologue Claude Lévi-Strauss : « pour que l’aliment soit bon à manger, il faut qu’il soit bon à penser », garde toute sa résonance.
Le progrès scientifique est indispensable à la survie de l’espèce humaine. La question est de veiller à mieux encadrer son impact sur les créations de la nature. La pratique d’un clonage animal à des fins alimentaires et d’un clonage végétal encore plus répandu pourrait-il aboutir à la fragilisation des espèces, à un appauvrissement génétique, contribuant à l’essor de nouvelles épidémies et à une moindre adaptation des espèces à leur environnement ?

Fabien Risterucci