Le jour où Israël a perdu sa bataille d’influence en Côte d’Ivoire

Afin de mieux appréhender toute la symbolique que suggère cette requête, il convient de remonter à la genèse du conflit ivoirien. Si depuis 1999, la diplomatie française se trouve régulièrement accusée des pires maux au sujet de son implication dans ce conflit, cette situation aura au moins permis a de nombreux acteurs étrangers d’étendre leurs influences en toute quiétude. S’il est couramment fait allusion à la Chine ou à la Russie, l’implication d’Israël ne semble pas avoir été estimée à sa juste valeur.

L’ambigüité des relations israélo-ivoiriennes se trouve médiatisée pour la première fois le 9 novembre 2004. Les tensions entre la France, ex puissance coloniale et la population soutenant le président Laurent Gbagbo atteignent leur paroxysme sur l’esplanade de l’Hôtel Ivoire, situé au bord de la lagune abidjanaise, dans le quartier de Cocody. Les éléments de la Force Licorne sécurisent les lieux où de nombreux expatriés se sont réfugiés. Une foule hostile accule les militaires français jusqu’au moment où la situation dégénère. Le Canard Enchainé en date du 02/12/2004 dénoncera la présence d’éléments israéliens au sein des populations pro-Gbagbo durant ces affrontements. Selon la diplomatie française et les représentants de la Force Licorne, « les militaires auraient eu recours à l’usage des armes afin de contenir une foule hostile de civils excités par les forces de l’ordre ivoiriennes. L’emploi des armes se serait alors limité à des tirs de sommation et d’intimidation et éventuellement d’interdiction». Une équipe télévisée de Canal + médiatisera pourtant les images du cadavre d’une jeune femme dont le visage a été littéralement emporté par un tir (le calibre 5,56mm en usage dans les forces armées françaises ne peut être à l’origine d’une telle mutilation). La responsabilité de ce tir meurtrier sera alors attribuée, par les médias ivoiriens, aux Forces spéciales françaises intervenant aux cotés des troupes conventionnels. Les FS attesteront n’avoir eu recours qu’a l’usage d’armes non létales et, de surcroît, les étages de l’hôtel leur étaient interdits…

Interdiction à mettre en parallèle avec la présence d’éléments des services secrets israéliens logés au 21ème étage du dit Hôtel Ivoire. Sans que cela n’émeut le moins du monde, il est rapporté que ces éléments disposaient de moyens hautement sophistiqués afin d’intercepter les communications émanant de Forces françaises stationnées dans le pays, que le commanditaire de ces écoutes n’était autre que la Présidence Ivoirienne. De même, ces « consultants privés » auraient eu pour mission de guider des drones au profit des Sukoi 25 de l’aviation ivoirienne qui venaient de tuer 9 soldats français à Bouaké au centre du pays (Valeurs Actuelles 03.12.2004).

En novembre 2004, la situation sécuritaire dans la capitale avait atteint un niveau de criticité semblable à celle que la Cote d’Ivoire vient de connaitre ces dernières semaines. Cela ne gênera en rien l’extraction aérienne des agents israéliens par un vol italien sans passer par le circuit officiel mis en place par les forces armées françaises qui contrôlent alors l’aéroport Houphouët-Boigny.
A l’issue de ces événements, Gérard Arnault, alors ambassadeur de France en Israël, demandera officiellement à l’Etat hébreu de cesser son assistance militaire à la Présidence Ivoirienne et l’incitera à clarifié sa position. Diplomatiquement, le Général Amos Ayron, Directeur Général de la Défense israélienne annoncera la cessation des livraisons d’armes au profit du gouvernement ivoirien. L’ambassadeur d’Israël Daniel Kedem sera remplacé…Pour mieux revenir en 2006. Il n’y aura plus de collusion officielle entre Israël et le gouvernement Gbagbo mais les relations commerciales entre les diplomates et la famille présidentielle ne cesseront pas pour autant.

Alors comment expliquer qu’un pays comme Israël, rompu au meilleur usage des techniques propres aux services secrets et à la gestion de crise, se retrouve, en 2011 à solliciter un pays tiers afin d’assurer la sécurité de quatre de ses diplomates alors que quelques heures auparavant, ce même Etat, dans une situation similaire a été en mesure d’extraire en toute sécurité et en toute discrétion 46 membres de ses services secrets ?
Pourquoi l’Etat hébreu a-t-il précipité le remplacement de son ambassadeur en Côte d’Ivoire alors que le pays est en proie à de graves troubles ? Daniel Saad évacué le 7 avril 2011 avait été affecté de « manière temporaire » depuis trois semaines. La réponse se trouve peut être dans les relations qu’Israël avait bien voulu tisser avec le Gouvernement Gbagbo. La date du 7 avril 2011 pourrait alors symboliser l’arrêt du soutien israélien à Monsieur Gbagbo et la sollicitation du concours de la Forces Licorne apparait comme un geste d’amende honorable envers l’Etat Français.
Dans la guerre d’influence à laquelle se livrent les puissances occidentales dans les pays d’Afrique, la France se retrouve à tenir un rôle dont elle voudrait se défendre. Le poids de l’histoire plus que celui des velléités diplomatiques l’incite à toujours plus d’engagement. Et les meilleurs détracteurs de la politique France-Afrique en finissent par devenir les premiers promoteurs, sinon pourquoi Monsieur Gbagbo aurait-il décidé de confier sa défense, en vue de son prochain procès, à des avocats…français.

Benjamin Beneteau