Internet offre une tribune planétaire, gratuite et libre d’accès pour la diffusion d’informations, d’idées et d’opinions. A ce titre, elle met pleinement en œuvre l’un des droits fondamentaux reconnus par la convention européenne des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, en son article 10 :
« Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontières. »
L’article 10 de la convention prévoit toutefois des limitations à ce droit : « L’exercice de ces libertés, comportant des devoirs et des responsabilités, peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions et sanctions, prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique,… à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »
L’application de cet article requiert donc un équilibre entre le droit de libre expression et, notamment, la protection des droits d’autrui. Pourtant, beaucoup de ceux qui ont eu à défendre une entité injustement attaquée sur le Net peuvent en témoigner : le droit positif français n’est plus adapté à cette évolution majeure des moyens de communication et ne protège pas suffisamment « la réputation ou les droits d’autrui ».
Les risques de contournement de la loi la diffamation
Pour s’en convaincre, il suffit de considérer le problème de la prescription de l’action publique. L’article 65 de la loi de 1881 édicte une prescription de trois mois en matière de crimes, délits et contraventions commis en matière de presse.
La chambre criminelle de la cour de Cassation a eu l’occasion de juger que « quand les poursuites pour diffamation et injures publiques sont engagées à raison de la diffusion, sur le réseau Internet, d’un message figurant sur un site, le point de départ du délai de prescription de l’action publique doit être fixé à la date à laquelle le message a été mis pour la première fois à disposition des utilisateurs du réseau. »
Imaginez alors un adversaire dépourvu de loyauté : il diffuse un message diffamatoire durant le temps nécessaire à faire constater par huissier sa présence sur la Toile. Puis il l’enlève, attend trois mois et un jour, et le rediffuse : la prescription est alors acquise. Comme l’article 46 de la loi décide que « l’action civile résultant des délits de diffamation ne pourra, sauf dans le cas de décès de l’auteur du fait incriminé ou d’amnistie, être poursuivie séparément de l’action publique », le diffamé est donc privé de tout moyen d’action pour la préservation de ses droits.
S’ajoute à cela une procédure pointilleuse totalement inadaptée à la vitesse de diffusion sur le net : à titre d’illustration, voici la savoureuse rédaction du texte de l’article 54 de la loi de 1881 : « Le délai entre la citation et la comparution sera de vingt et un jours outre un jour par myriamètres de distance… ». Faute de toilettage de ce texte datant du XIXème siècle, le juge doit s’équiper d’un mètre d’arpenteur pour s’assurer du respect de la procédure !
Faut-il réinstaurer une nouvelle forme de pratique du duel ?
Pour s’affranchir des lourdeurs procédurales issues de la loi de 1881 et adapter nos procédures à la communication sur le Net, pourquoi ne pas remettre au goût du jour une façon ancestrale de régler une offense : la provocation en duel !
Dans un monde idyllique où il existerait une autorité de régulation d’Internet, le duel informationnel pourrait revêtir cette forme. La partie offensée saisirait l’autorité de régulation d’une requête aux fins de provocation en duel visant les faits offensants et développant son argumentation. L’autorité rendrait une décision quant à l’admissibilité de la requête, en examinant notamment la nature de l’information incriminée et l’intérêt à agir du requérant.
Si la requête était déclarée admissible, l’autorité enjoindrait le responsable de la diffusion de communiquer sous trois jours les éléments permettant d’identifier la personne physique ou morale ayant la qualité d’offenseur. En cas de refus, elle pourrait ordonner la fermeture de l’espace ayant permis cette diffusion.
L’offenseur aurait la possibilité de présenter des excuses publiques : le texte des excuses serait publié sur son site, ainsi que sur celui choisi par l’offensé et mettrait fin à la provocation en duel. Il serait en outre condamné à une amende procédurale qui abonderait un fonds dédié au fonctionnement de l’autorité.
Si l’offenseur ou l’offensé refusait les excuses publiques, un duel informationnel serait organisé sur un espace dédié du net, sous le contrôle de l’autorité.
Un papillon « Duel informationnel en cours » serait apposé sur le site de l’offenseur, qui renverrait sur le site du duel. L’autorité aurait le pouvoir de fixer un calendrier d’échange des arguments, d’enjoindre une partie à répondre à un argument ou à communiquer des pièces attestant de ses dires. Toutefois, si ces pièces revêtent un caractère confidentiel, un tiers sachant pourrait être saisi par l’autorité aux fins d’examiner les documents et d’en tirer les éléments nécessaires au duel en cours. Au terme du délai fixé, l’autorité déciderait de la réalité de l’offense.
Dans le cas où l’offense serait avérée, l’offenseur aurait l’obligation de cesser définitivement toute diffusion de l’information incriminée. La décision de l’autorité serait soumise au double degré de juridiction mais, sans appel, elle serait revêtue de l’autorité de la chose jugée ; l’offensé pourrait alors saisir les juridictions civiles pour faire reconnaître son préjudice, le principe de la faute étant acquis.
L’instauration de ce duel permettrait l’organisation d’un débat public et contradictoire sur les lieux mêmes de la diffusion de l’information offensante. Les internautes pourraient donc suivre les échanges et se faire leur propre opinion en temps réel. L’atteinte à la réputation et à l’image de l’offensé pourrait être ainsi rapidement jugulée.
Enfin, cette procédure éviterait que les tribunaux judicaires soient, à très court terme, submergés par ce contentieux émergent, au risque d’allonger encore les délais de jugement.
Enfin, l’autorité de régulation pourrait se voir confier en outre la mise en œuvre de toutes les restrictions à la liberté d’expression prévues par le 2° de l’article 10 de la CEDHLF.
Béatrice Thony