L’affaire Wikileaks : un nouvel outil dans la guerre de l’information entre les citoyens et les gouvernants

L’affaire « Wikileaks » illustre un changement de paradigme dans la bataille de l’information que livrent les lanceurs d’alerte (les whislteblowers) aux pouvoirs en place. L’objectif affiché de ces faiseurs d’opinions n’est pas de concurrencer les médias traditionnels. Il s’agit pour ces simples citoyens de mettre sur le devant de la scène des informations généralement cachées qu’ils estiment essentielles et légitimes à la vie de nos démocraties. En apparence, ce travail de vigilance démocratique n’a rien de choquant. Il apparaît même comme une source d’information pour les journalistes censés y puiser la matière de leurs investigations.

Pourtant, lorsqu’on n’y regarde d’un peu plus près, la réalité est toute autre. On assiste à une crispation de nos démocraties face à l’ampleur des révélations de Wikileaks. La raison tient certainement à la nature des informations divulguées. Celles-ci montrent ce qui se joue derrière ce feuilleton médiatique : la mise à nue de la puissance américaine, une certaine forme d’arrogance et d’aveuglement mais aussi paradoxalement ses impuissances et fragilités.

La réaction de nos démocraties ne s’est donc pas fait attendre. Les gouvernants parlent de vol et de recel de vols à propos des informations diffusées par Wikileaks. Aux USA, des entreprises comme Pay-pal ou Mastercard ont mis fin, à la demande du gouvernement, à leur collaboration avec le site de Wikileaks le privant ainsi de toute possibilité de financement de la part les internautes. Naturellement, cette guerre de l’information s’invite en France où l’on cherche à défendre un « internet civilisé » comme si ce monde virtuel était peuplé de « barbares ». La protection de l’enfance et la lutte contre la pédo-pornographie seront utilisées comme un cheval de Troie pour limiter les libertés publiques de nos concitoyens (adoption de la loi LOPPSI prévoyant la possibilité pour le ministère de l’intérieur d’introduire un filtrage administratif d’internet, hors de tout contrôle de la justice, sans décision d’un juge ou d’un tribunal, sans droit de regard de la CNIL, sans évaluation du Parlement….). Certains membres du gouvernement comme Eric Besson iront même jusqu’à prôner l’interdiction d’héberger Wikileaks en France estimant que notre pays ne peut accueillir des« sites Internet qualifiés de criminels et rejetés par d’autres Etats en raison des atteintes qu’ils portent à leurs droits fondamentaux ». De quels crimes parle-t-on? Difficile de ne pas y voir une nouvelle forme de censure des pouvoirs publics.

Des philosophes censés défendre les libertés de nos concitoyens se saisissent de cette question affirmant que Wikileaks n’appartient pas à la démocratie mais à la dictature. En quoi les révélations de Wikileaks sont-elles différentes de celles des « Pentagon Papers » faites en 1971 par le New York Times sur la guerre du Vietnam. Rappelons qu’à l’époque 700 pages de documents classés secret défense avaient été diffusées dans ce journal. Saisie de cette affaire, la Cour Suprême des Etats-Unis avait défendu le journal poursuivi pour vol, conspiration et espionnage selon sa déclaration « Seules une presse complètement libre peut révéler efficacement les manipulations du gouvernement ».

Que faut-il penser de la réaction de certains Etats comme la Russie suggérant que le prochain prix Nobel de la paix soit décerné au fondateur de Wikileaks ? Ou encore des motivations de celui est qui est l’origine de ces fuites de Wikileaks sur la guerre en Irak, le soldat Bradley Maning âgé de 23 ans et qui risque une peine de prison de cinquante ans « J’ai réalisé que j’étais résolument contre ce système auquel je prenais une part active…Suis je juste naïf, jeune et stupide ? Je ne crois plus qu’il y ait des gentils contre des méchants. Nous sommes mieux par certains côtés. Plus subtils, nous utilisons des mots et des techniques juridiques mais il ne suffit pas d’être subtil pour avoir raison ».

Mais pour tenter de comprendre l’affaire Wikileaks, il est nécessaire de placer le débat dans un contexte géopolitique plus large. En effet, la révolution technologique du Net permet aux populations d’entrer instantanément en contact dans une logique de réseau afin d’accéder et partager l’information partout dans le monde. Les révolutions des pays arabes illustrent parfaitement le rôle joué par des organes tels que Twitter et FaceBook dans cette prise de conscience politique globale. Mais, cette révolution technologique offre également aux élites des possibilités infinies pour orienter et contrôler l’opinion publique. Les hommes politiques l’ont bien compris. De ce point de vue, la prochaine campagne présidentielle sera intéressante à suivre. Elle semble se dessiner autour de thématiques telles que la sécurité des personnes, le contrôle des flux migratoires ou encore la protection des œuvres artistiques pour justifier une politique de maîtrise de l’information sur internet. On préférera également parler de ces questions morales axées sur le contrôle des hommes, des opinions et des idées pour éviter des sujets qui fâchent : la crise de nos économies.

Laurie Acensio