Les langues fourchues de l’intelligence économique

Il faut de tout pour faire un monde. Frédéric Lepage, illustre plume de la liste veille, s’est-il  « pacsé » intellectuellement avec Franck Bullinge ? On pourrait le déduire du son de cloche commun qui découle de leur interprétation de l’affaire Renault. Ces deux personnages qui n’en font peut-être qu’un dans leur approche du monde n’existent que par leurs propos moralisateurs sur les écrits des uns et des autres. Mais en dehors du périmètre de leur crachoir virtuel, que veulent-ils nous faire comprendre ? Qu’il n’y a pas d’affaire Renault ? Rappelons pour principe à nos deux compères que la source de cette affaire n’est toujours pas connue et donc que personne (à part eux) ne sait pour l’instant ce qui a déclenché l’affaire Renault et pourquoi ? Certains journalistes ont réussi à cerner la raison qui a incité Renault à rendre l’affaire publique. Un employé de Renault connaît un journaliste de l’AFP et lui rapporte ce qui se passe en interne à savoir une enquête menée à l’encontre de salariés suspectés d’espionnage industriel. Le journaliste de l’AFP s’étonne de ne pas avoir d’éléments sur le sujet et entre contact officiellement avec les représentants de l’entreprise Renault. Les questions qu’il pose sont suffisamment précises pour inciter la direction de Renault à briser la loi du silence (pratique courante des entreprises lorsqu’elles sont confrontées à ce genre d’affaire).

 

Depuis cette date, l’affaire est devenue publique et les éléments parus dans les médias sont plutôt minces. Le Canard Enchaîné a soulevé l’hypothèse que Renault aurait mandaté des prestataires extérieurs pour enquêter sur la trahison éventuelle de trois cadres qui ont été licenciés par la suite. L’enquête privée menée sans l’aide des services étatiques visait notamment à prouver que les trois cadres incriminés auraient touché de l’argent versé sur des comptes à l’étranger. Précisons à ce propos qu’il existe un secret bancaire et qu’il est théoriquement impossible d’y surseoir sans passer par une procédure judiciaire officielle. Or dans l’affaire Renault, aucune procédure judiciaire n’a été déclenchée avant que Renault ne rende l’affaire publique, c’est-à-dire plusieurs mois après avoir initié une enquête interne, éventuellement renforcée par des investigations privées menées par des prestataires extérieurs. Cette précision est importante car elle signifie que les éléments recueillis de cette manière n’ont aucune valeur juridique et n’auraient pas pu être exploités par les défenseurs de Renault lors d’un procès.

Nous en sommes là. L’enquête de la DCRI est en cours et nous ne connaissons pas les résultats transmis au Parquet. En revanche, ce que nous savons c’est que l’entreprise Renault n’a aucun intérêt à voir davantage noircir son image par les erreurs commises dans son traitement de l’affaire (DCRI non contactée, pas de dépôt de plainte lors de la réception des lettres anonymes) et ne souhaite pas non plus que les méthodes de recueil d’informations financières employées par des prestataires extérieurs (si elles ont eu lieu) soient exposées au grand jour.

Tant que la source de l’affaire ne sera pas connue, l’affaire Renault restera opaque. Si c’est le cas, toutes les questions restent posées, y compris la plus incompréhensible : comment une direction générale aurait-elle pu se tromper à ce point à partir d’éléments aussi vagues que le contenu de lettres anonymes ?

Franck Bullinge et Frédéric Lepage ont un leitmotiv en commun. La guerre économique n’existe pas. Il est grand temps, je crois, de se cotiser pour leur offrir quelques ouvrages d’universitaires de référence. La biographie de l’historien français Jean Favier sur Louis XI  fait plusieurs fois référence à la guerre économique menée par Louis XI contre Charles Le Téméraire qu’il n’arrivait pas à battre militairement. David Todd dans son ouvrage sur L’identité économique de la France analyse la manière dont un agent d’influence britannique, John Bowring, a opéré en France sous la Restauration pour briser notre politique douanière à l’égard de la Grande Bretagne. On retrouve quelques années plus tard ce même John Bowring dans un épisode décisif de la guerre de l’opium, aux côtés des troupes britanniques qui combattent les troupes chinoises. L’objectif de ces combats était notamment la cession du territoire  de la ville d’Hong Kong afin de stocker l’opium pour y faire commerce en Chine. Cas exemplaire d’un acte militaire au service d’un objectif économique. Nos deux compères pourront objecter que le XXè siècle est passé par là et que je me nourris de nostalgies passéistes. Alors que dire de la leçon de choses infligée à l’Union européenne par Vladimir Poutine dans son utilisation du gaz comme arme de pression diplomatique et d’accroissement de puissance de la Russie postsoviétique. Quant à la manière dont la Chine (seconde puissance économique mondiale) utilise l’arme économique, il est clair que pour nos deux compères, il s’agit d’un avatar supplémentaire d’un apprenti sorcier sorti des mirages du maoïsme. Seulement celui-là, il s’appelle Deng Xiao Ping. Deng Xiao Ping est le leader communiste chinois qui est à l’origine du changement de cap stratégique de la Chine. Il est mort en 1997.

Christian Harbulot