En 1975, le film de Sydney Pollack, Les trois jours du Condor, donnait déjà un aperçu des manipulations de l’information qu’un service de renseignement comme la CIA pouvait effectuer à partir des sources ouvertes. En 2003, la britannique Frances Stonor Saunders passe de la fiction à la réalité en dévoilant dans son ouvrage Qui mène la danse ? La CIA et la guerre froide culturelle, les rouages d’une vaste campagne de guerre de l’information orchestrée par les services spéciaux américains entre 1947 et 1975. L’intérêt des révélations de Saunders porte sur l’amplitude des moyens mobilisés : une centaine de fondations, une revue d’extrême gauche créée pour leurrer les milieux activistes européens, des intellectuels de renom comme Arthur Koestler dont les services britanniques achètent plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires du livre Le zéro et l’infini pour le diffuser dans les cercles de pensée du monde occidental. L’objectif de cette opération était de contrer l’influence des services de renseignement soviétiques qui avaient noyauté depuis le début des années 20 un certain nombre de représentant prestigieux d’intellectuels et d’artistes de la société européenne et américaine. Les moyens financiers pour mener une telle opération de cette envergure atteignaient la somme de plusieurs centaines de millions de dollars. Plus récemment, les services américains ont recouru à des méthodes similaires afin de légitimer leur intervention lors de la première guerre du Golfe (montage du scandale sur les bébés malmenées par des soldats irakiens de Koweït City) et lors de la guerre en Irak (prétexte inventé à propos des Armes de Destruction Massive détenues par l’armée de Saddam Hussein.
La « Révolution » tunisienne souligne à ce propos plusieurs interrogations. Les fuites organisées par l’intermédiaire du site Wikileaks sont-elles si citoyennes et indépendantes qu’elles en ont l’air ? Wikileaks est-il un produit de la contre culture libertaire d’internautes ou masque-t-il une opération noire de grande envergure des services américains qui agissent ainsi en appui à une redistribution des cartes diplomatiques dans le monde arabo-musulman ? Comme le fait justement remarquer le site Polemia : « la Révolution tunisienne » a suivi curieusement de peu ces révélations sur la condamnation états-unienne du dictateur Ben Ali et de sa clique. Il ne s’est écoulé que trois semaines entre le 28 novembre 2010, date de la publication des notes diplomatiques et le 17 décembre, date du suicide tragique d’un jeune homme diplômé, soudainement privé par la police de son étal qui lui permettait de survivre en faisant du commerce. [...] Et on a appris que le dictateur aurait fait appel à l’armée pour mater ce qui devenait une insurrection populaire, mais que le général en chef Ben Ammar aurait refusé d’obtempérer et de faire tirer sur les manifestants, ce qui lui aurait valu son limogeage. Peu après, le 14 janvier 2011, à la surprise générale des non-initiés, Ben Ali et sa famille prenaient la fuite. Des bruits opportunément distillés ont couru sur un entretien téléphonique entre la secrétaire d’État Hillary Clinton et le général Ben Ammar, un éventuel état d’alerte de la flotte états-unienne en Méditerranée, puis sur la venue d’un émissaire états-unien en Tunisie, premier représentant occidental à entrer dans le pays depuis la chute du dictateur.»
Ce genre de manipulation, si elle est démontrée, n’a pas toujours eu les succès escomptés par les stratèges du Pentagone. La première défaite informationnelle subie par les États-Unis lors de la guerre du Vietnam, le fiasco irakien après le faux prétexte des ADM, l’enlisement afghan face à la propagande talibane, sont autant de limites sur les capacités offensives de la superpuissance américaine en information warfare.
Marc Julien
La « Révolution » tunisienne souligne à ce propos plusieurs interrogations. Les fuites organisées par l’intermédiaire du site Wikileaks sont-elles si citoyennes et indépendantes qu’elles en ont l’air ? Wikileaks est-il un produit de la contre culture libertaire d’internautes ou masque-t-il une opération noire de grande envergure des services américains qui agissent ainsi en appui à une redistribution des cartes diplomatiques dans le monde arabo-musulman ? Comme le fait justement remarquer le site Polemia : « la Révolution tunisienne » a suivi curieusement de peu ces révélations sur la condamnation états-unienne du dictateur Ben Ali et de sa clique. Il ne s’est écoulé que trois semaines entre le 28 novembre 2010, date de la publication des notes diplomatiques et le 17 décembre, date du suicide tragique d’un jeune homme diplômé, soudainement privé par la police de son étal qui lui permettait de survivre en faisant du commerce. [...] Et on a appris que le dictateur aurait fait appel à l’armée pour mater ce qui devenait une insurrection populaire, mais que le général en chef Ben Ammar aurait refusé d’obtempérer et de faire tirer sur les manifestants, ce qui lui aurait valu son limogeage. Peu après, le 14 janvier 2011, à la surprise générale des non-initiés, Ben Ali et sa famille prenaient la fuite. Des bruits opportunément distillés ont couru sur un entretien téléphonique entre la secrétaire d’État Hillary Clinton et le général Ben Ammar, un éventuel état d’alerte de la flotte états-unienne en Méditerranée, puis sur la venue d’un émissaire états-unien en Tunisie, premier représentant occidental à entrer dans le pays depuis la chute du dictateur.»
Ce genre de manipulation, si elle est démontrée, n’a pas toujours eu les succès escomptés par les stratèges du Pentagone. La première défaite informationnelle subie par les États-Unis lors de la guerre du Vietnam, le fiasco irakien après le faux prétexte des ADM, l’enlisement afghan face à la propagande talibane, sont autant de limites sur les capacités offensives de la superpuissance américaine en information warfare.
Marc Julien