Les entreprises otages de la guerre de l’information : le cas Orange et Vodafone en Egypte

Le contrôle d’Internet est l’un des objectifs de la « Guerre de l’Information ». L’affaire des groupes de télécommunication Orange et Vodafone en Egypte illustre comment les Etats autoritaires contrôlent l’information via l’accès au web et les méthodes qu’ils utilisent pour faire taire cet instrument de la contestation sociale.
Fin janvier 2011, afin de limiter la propagation de la contestation sociale qui frappe le pays, les autorités égyptiennes ont décidé de couper tous les accès au web avec le concours des opérateurs du pays. Comme en Tunisie, les opérateurs de télécommunication français et anglais sont apparus tour à tour comme des victimes collatérales de cette censure et/ou comme des acteurs soumis au système du pouvoir en place.

Les risques de la délocalisation

Rappelons que ces dernières années, de nombreuses entreprises, notamment dans le secteur de l'informatique et des nouvelles technologies de la communication, ont délocalisé ou sous-traité leurs centres d'appel en Egypte. Du point de vue des entreprises, le pays offrait des avantages concurrentiels non négligeables : une population active nombreuse et compétente, des salaires bas, des infrastructures techniques puissantes, grâce notamment à la présence de plusieurs câbles à très hauts débits et enfin un gouvernement dit stable politiquement qui soutenait fortement les investissements du secteur (zones franches, exonérations fiscales…).
En coupant les accès internet, les autorités égyptiennes n’ont pas pris de « gants » avec les opérateurs de télécommunication. Elles ont mis au chômage technique des dizaines de milliers d’employés qui ne pouvaient plus répondre aux attentes de leurs clients, essentiellement des entreprises, présentes dans le monde entier. Pour l’opérateur de télécommunication Orange présent sur le marché égyptien à travers l'opérateur local Mobinil et Orange Business Services (OBS) sa filiale dédiée aux entreprises, cette situation a été problématique. Le centre d’appels indien censé prendre le relais des centres égyptiens a été touché au même moment par un tremblement de terre.  Conséquence prévisible de la mondialisation : la délocalisation dans les pays à faible coûts se fait tôt ou tard aux dépens des clients.
Mais, l’histoire ne s’arrête pas là pour Orange et Vodafone. Contraints d’envoyer des messages à caractère sécuritaire dans lesquels l’armée était clairement identifiée comme l’expéditeur, ces opérateurs de télécommunication ont été accusés d’apporter leurs concours au pouvoir en place. Pour faire taire cette rumeur désastreuse pour leur image de marque, ces opérateurs ont indiqué avoir agit en vertu de la législation égyptienne en désapprouvant fermement le procédé qui va à l’encontre des principes de neutralité inscrits dans leur rôle et tradition de leur profession. Victimes collatérales ou gentils collaborateurs dans cette guerre de l’information, la question reste posée.

Les relocalisations nécessaires

En tout état de cause, les grandes firmes doivent prendre leurs distances avec les pouvoirs en place pour se rapprocher davantage de leurs clients. Quelles leçons tirer de cette crise ? Une relocalisation de certains centres d’appels en France ou en Grande Bretagne est aujourd’hui à l’étude chez Orange et Vodafone.  Cette information devrait plaire aux gouvernants français et anglais cherchant désespéramment à lutter comme la hausse du chômage. Mais ces  opérateurs de télécommunication doivent envisager d’aller plus loin : elles doivent revoir intégralement leurs stratégies de délocalisation en intégrant dans leur réflexion économique la dimension sociale et politique des pays dans lesquels ils sont implantés. Les Etats occidentaux qui abritent les sièges de ces grands groupes doivent aussi réfléchir à la mise en place, au niveau des instances internationales, d’un statut plus protecteur des acteurs de télécommunication dans la mesure où une décision locale égyptienne a non seulement des incidences sur la filiale locale mais également sur la société mère établie en France ou en Grande Bretagne. Enfin, il est temps pour ces grandes entreprises de méditer le fameux proverbe de la Fontaine : tel est pris qui croyait prendre. La délocalisation peut devenir coûteuse si on intègre dans le coût du service des charges indirectes telles que l’instabilité politique ou l’image du groupe à se soumettre à un pouvoir local peu respectueux du droit des libertés publiques. Les entreprises qui oublient cette évidence, l’histoire pourrait se répéter dans d’autres zones géographiques mondiales où l’accès à l’information via le web est contrôlé.

 


Laurie Acensio