La guerre économique absente des présidentielles 2012 ?

La France est un pays extraordinaire. L’affaire Renault a été un coup de semonce médiatique au retentissement sans égal depuis vingt ans. Cette attaque contre une des entreprises phares de l’économie française révélait subitement la dimension prise par les affrontements économiques dans le monde d’aujourd’hui. Mais cette affaire risque de passer du cas d’exemplarité à la rubrique des faits divers à cause des méandres d’une enquête privée sans valeur juridique. Faut-il pour autant jeter le bébé avec l’eau du bain ? Le contexte n’a pas changé. L’industrie française ne cesse de céder du terrain. Prenons l’exemple de la région Alsace : à la fin des années 80, cette région était dynamique, presque conquérante sur le plan économique. Aujourd’hui, le bilan est négatif. Les PME alsaciennes ont perdu du terrain, beaucoup sont en posture défensives. La proximité de l’Allemagne n’a pas joué pour permettre à l’Alsace de maintenir ses positions. La sclérose des réseaux locaux, la fascination de certains patrons pour le modèle américain, l’opportunisme des structures régionales à l’égard du Japon n’ont pas compensé l’absence de pensée stratégique au niveau régional.

 

Si des expériences très limitées ont donné des résultats intéressants pour faire revivre des petits territoires en perdition (création d’activités spécialisées dans le domaine du traitement des handicapés dans la région de Colmar), l’Alsace vit sur les acquis du passé. Elle symbolise un peu ce qu’est la France aujourd’hui, notre pays est devant la guerre économique comme un nageur qui a peur de se jeter dans le bassin. Les défis stratégiques que le pouvoir exécutif français doit relever sont pourtant clairs. Le premier d’entre eux est encore un non sujet pour l’ensemble des candidats à la présidentielle de 2012. Il porte sur l’urgence de concevoir un plan stratégique afin de se positionner le maximum d’entreprises françaises sur le plus grand marché du monde. Notre déficit commercial ne cesse de croitre avec cette région du monde. Depuis le retrait de l’Indochine, la France a perdu ses sociétés de commerce en Asie, fil conducteur indispensable au développement des affaires. Cette perte catastrophique dont aucun bilan n’a été tiré à l’époque (détail souligné par les rédacteurs du rapport Martre) n’a pas été compensée par les efforts de l’administration et le réseau UbiFrance. Pour exister commercialement dans une zone aussi stratégique, la France doit changer de braquet. Les voyages présidentiels à l’origine de la signature des grands contrats ne sont plus suffisants pour compenser notre perte de compétitivité. Les maigres tentatives initiées au coup par coup dans le passé n’ont pas donné de résultat significatif (club pays créé par Michel Rocard, plan Longuet).

L’approche de l’Asie exige une refonte de notre vision de la compétition économique. Que peut vendre la France en Asie et comment ? Cette question élémentaire est la base du problème à résoudre. Pour y répondre, il faut avoir une approche globale des points forts et des points faibles de l’économie française. L’état des lieux de nos forces économiques est un exercice d’évaluation qui sort des sentiers battus par l’administration. L’INSEE est centré sur la statistique et n’a pas de grille de lecture sur l’exploitation des chiffres afin de positionner la France en termes d’accroissement de puissance. Autrement dit, il reste à créer un véritable comité de pilotage de nos capacités de projection commerciale vers l’Asie. L’organisation d’un tel système n’est pas une réforme de plus. Il faut inventer un nouveau type de réponse, en ne tombant pas dans le piège des inerties administratives. C’est aux politiques de donner du sens à la mobilisation des forces économiques. Depuis la mise en veilleuse des politiques industrielles, les partis politiques ont perdu les points de repère pour penser la France en termes de stratégie. Ils doivent faire l’effort de les retrouver.

Le couac de l’affaire Renault est le révélateur de l’absence de conduite d’une approche française de la guerre économique. Le contre espionnage français aurait dû être sollicité dès l’origine de cette affaire pour mener à bien les investigations dans un cadre légal. Une telle évidence ne peut devenir réalité et s’appliquer aux autres cas de figure similaires que si le politique sait faire passer ce message essentiel au patronat. Tant que les problématiques de guerre économique seront considérées comme des exceptions qui confirment la règle, l’économie française continuera à prendre des coups sans les rendre. Et la masse des chômeurs de se maintenir ou de croître au gré des défaites économiques que personne ne recense sans omettre au passage la baisse de notre niveau de vie.

Christian Harbulot