La guerre des monnaies et le Brésil

L’expression « guerre des monnaies » a été inventée à l’automne dernier par le ministre Brésilien des finances Guido Mantega qui l’a, le premier, dénoncée à  l’occasion de la hausse de la monnaie Brésilienne (le Real) par rapport au Dollar, accusant les États-Unis de provoquer la baisse de la monnaie américaine afin de stimuler les exportations des États-Unis. Les États-Unis étant l’un des plus grands marchés mondiaux, de nombreux pays ont été tentés de les imiter en dévaluant leurs monnaies afin de ne pas perdre d’avantages concurrentiels.
Les dévaluations risquées de la monnaie brésilienne
Le Real Brésilien s’est apprécié de 40% en deux ans face au Dollar, dopé par un mouvement massif d’importations de capitaux, attirés par des taux d’intérêt très attractifs (10,75%). Ces entrées de capitaux sont dangereuses car il s’agit de mouvements spéculatifs de capitaux à court terme susceptibles de quitter le pays très rapidement, et non pas d’investissements à long terme. Ces mouvements peuvent stimuler une inflation, qui est un danger latent au Brésil. Historiquement, celle-ci a atteint à certaines périodes un taux extravagant (1993 : 2 477%). Depuis 1994, le plan Real décidé par le ministre des finances Cardoso, a réussi à limiter cette inflation qui, dans les années 2000, se situe à un peu plus de 5% l’an. Le traumatisme de l’inflation entraîne néanmoins des taux directeurs de la banque centrale élevés. De 2002 à 2010, la présidence de Lula s’est marquée par une croissance du PIB en moyenne de 5% l’an. Une récession légère d’un semestre a été observée pendant la crise en 2009.
Pendant cette période, le Real s’est apprécié et Dilma Rousseff, le successeur de Lula à la présidence, a dû faire face au défi de freiner l’accélération de la hausse du Real face au Dollar. Cette accélération résulte de l’intensification des opérations de carry trade, menées par des non-résidents qui, empruntant à taux faible aux États-Unis, investissent en titres à hauts revenus au Brésil. Pour y faire face, le Brésil a tenté en 2010 d’établir une taxe sur les investissements étrangers en titres obligataires. En Octobre 2010, la taxe a été relevée à 6%, mais le mouvement de dépréciation du Dollar s’est accentué avec la nouvelle phase de relâchement monétaire décidée par la banque fédérale de réserve américaine, la FED.

La dévaluation tactique du dollar
Le « quantitative easing », appelé QE2 et lancé le 2 novembre 2010, constitue une deuxième vague d’achat de titres publics par la banque centrale américaine, qui contrairement à l’Union Européenne ne s’interdit pas de créer de la monnaie à fins de croissance (l’UE ne le fait que lorsque la dette d’un État insolvable menace la stabilité de la zone Euro). Cette création monétaire aura pour conséquence de lancer des liquidités en principe destinées à stimuler la consommation et l’investissement aux États-Unis. Mais la FED n’est pas « capable » de suivre le chemin que prendront ces liquidités, qui se tournent vers des placements plus rentables dans les pays émergents, notamment au Brésil.
Ce mouvement a été interprété comme une sorte de dévaluation déguisée du Dollar, rien, sinon l’intérêt électoral et celui de gestion d’une puissance située dans leur périphérie immédiate, n’empêchant les USA de taxer leurs propres capitaux sortants.
Cette dévaluation joue surtout à l’égard des monnaies des pays émergents, comme le Real, moins à l’égard de l’Euro qui est attaqué en raison des difficultés propres à l’Union Économique Monétaire.
L’appréciation du Real comporte des avantages pour le Brésil, sur le front de l’inflation, mais cela se traduit surtout par une perte brutale de compétitivité pour les industries. Malgré le cours élevé des matières premières exportées par le Brésil, on observe une chute de l’excédent commercial, ce qui entraîne une détérioration du déficit de la balance des paiements courants, qui devrait dépasser 3% du PIB cette année.
Le Brésil connaît une forte expansion (hausse du PIB de 6,5% en 2010), dopée par une forte consommation intérieure, de nouveaux gisements de pétrole, et l’organisation de la coupe du monde de football et des jeux olympiques. Les pouvoirs publics doivent faire face aux risques inflationnistes liés à cette expansion (inflation en 2010 de 6%), à combattre par une hausse des taux qui renforce encore la « compétitivité » du Real, encourageant l’afflux de capitaux étrangers…
L’augmentation de la taxe sur les investissements étrangers en titres obligataires n’a pas enrayé l’entrée des capitaux. Guido Mantega, le ministre des finances, a déclaré le 6 janvier : « nous ne pouvons permettre que le Dollar fonde, le nombre des mesures que nous pouvons prendre pour intervenir directement sur le taux de change est infini, et nous sommes autorisés par le G20 à prendre de telles mesures ».
Le 8 Janvier, la banque centrale a annoncé qu’elle oblige désormais les banques à déposer une garantie correspondant à 60% de leurs positions vendeuses en Dollars lorsqu’elles dépassent 3 milliards de Dollars. Autrement dit, les autorités veulent éviter les mouvements spéculatifs de vente de Dollars contre des Real sur le marché à terme. La situation du Brésil est d’autant plus difficile que toutes les économies de la région se débattent contre l’appréciation de leurs devises, la Colombie et le Chili ayant lancé des plans d’achat de Dollars.

La contamination asiatique
Ce problème n’est pas seulement un problème de l’Amérique latine. Les pays du Sud-Est asiatique connaissent les mêmes difficultés. La Corée, la Thaïlande ont aussi tenté de mettre en place des taxes à l’entrée des capitaux étrangers. Le FMI vient, début 2011, de recommander aux pays du Sud-Est asiatique de se concerter pour établir un front commun face à ce problème. Sinon, les capitaux se déplaceront d’un pays à l’autre, rapidement, en fonction de la plus ou moins grande force des barrières nationales.
De son côté, le 15 septembre 2010, le Japon a tenté une intervention sur le marché des changes par un achat de Dollars afin d’enrayer la hausse du Yen et d’éviter une appréciation excessive du Yen par rapport au Dollar (l’Endaka). Cependant, la masse monétaire en circulation reste trop importante pour qu’il soit parvenu à ajuster sa monnaie par ce moyen, la solution la plus efficace restant la dévaluation, qui ne représenterait pas de risques d’inflation pour un pays qui recherche précisément.
La Chine reste à l’écart de ce conflit Dollar/monnaies des émergents, puisqu’elle gère le flottement du Yuan par rapport au Dollar à partir d’un PEG (lien) qui, depuis 2008, ne varie que faiblement par rapport au Dollar.

Julien Auba