Quelle stratégie française pour l’Arctique ?

La fonte progressive de la couche de glace qui recouvre le Pôle Nord donne à cette zone un nouvel intérêt stratégique. En effet, l’ouverture et l’exploitation de nouvelles routes maritimes ainsi que l’accès à d’importants gisements de pétrole et de gaz attisent les convoitises des pays riverains mais pas uniquement. Dans ce contexte, la France qui ne possède pas le moindre territoire arctique ne peut rester à l’écart du « grand jeu » si elle souhaite se préserver l’accès à ces nouvelles ressources.

 

Le Grand Nord nouvelle zone de tension
Lors d’une allocution au colloque du Conseil Economique de la Défense le 13 juin 2009, le chef d’état-major des armées du moment, le général GEORGELIN relevait que « l’ouverture des nouvelles routes commerciales par le Grand Nord et les tensions naissantes entre les pays limitrophes de l’Arctique pour l’exploitation des éventuels champs pétrolifères, nous font prendre conscience de l’enjeu que représente la sécurisation des accès aux ressources. A ce propos, le Kremlin n’a pas hésité à déclarer qu’il était prêt à employer la force pour défendre ce qu’il estime être son territoire.» Ainsi, et bien que le livre blanc de la défense n’en parle pas explicitement, la zone arctique est bel et bien considérée comme stratégique pour les intérêts français. Il est vrai que si l’on se réfère aux estimations réalisées par l’institut géologique des Etats-Unis (U.S. Geological Survey), la région contiendrait 13% des réserves mondiales de pétrole, 30% pour le gaz naturel et 20% du gaz naturel liquide.
De plus une grande part du concept de dissuasion français repose sur la capacité des sous-marins nucléaires lanceurs d’engin à manœuvrer librement dans cette partie du globe considérée jusqu’alors comme zone internationale.
Dans ces conditions, les tensions croissantes entre les Etats riverains, Etats-Unis, Norvège, Danemark et surtout Canada et Russie font peser une menace sérieuse de militarisation et donc d’escalade protectionniste entraînant l’exclusion de fait du reste de la communauté internationale. La France veut anticiper ce risque. Pour cela, elle semble vouloir suivre deux axes d’approche qui devrait lui permettre de ne pas être écartée de cette zone stratégique.

Pour une gestion internationale de l’Arctique
La nomination en mars 2009 de Michel Rocard comme ambassadeur pour les questions polaires a mis en exergue, les efforts diplomatiques de la France pour être présent dans le débat autour du cercle arctique. Ce dernier tire sa légitimité du grand intérêt qu’il a porté tout au long de sa carrière à ce domaine. Il est de plus considéré comme « le père politique du traité de Madrid » de 1991 selon la biographie réalisée par l’ambassade de France au Canada. Il s’agit en fait du protocole lié au Traité de Madrid dont la principale disposition est de faire de l’Antarctique une réserve naturelle consacrée à la paix et à la science. Et c’est bien un cadre similaire qui est recherché pour l’Arctique par la France. Cela permettrait, en effet, de conserver l’accès aux nouvelles routes maritimes pour tous. Pour atteindre cet objectif, la démarche diplomatique repose pour une grande part sur la volonté altruiste de protéger l’environnement comme le démontre l’argumentaire de Michel Rocard. Celui-ci s’appuie notamment sur la gestion raisonnable de la réserve halieutique et le risque croissant d’un accident écologique majeur lié à l’exploitation pétrolifère. Cette démarche d’internationalisation de la  gestion de la zone donne alors tout son sens à la participation de la France au conseil de l’arctique en tant qu’observateur ainsi qu’au conseil Euro arctique de Barents. De plus, la France s’est donné les moyens militaires dans chacune des composantes de la défense pour assurer éventuellement la sécurisation internationale du cercle polaire. Elle peut ainsi s’appuyer sur l’expérience acquise sur le théâtre afghan où les conditions hivernales se rapprochent de celle de l’Arctique.
Néanmoins cette stratégie s’avère fragile car les prétendants s’accumulent à l’instar de la Chine qui a annoncé le développement de brise glace pour 2013. Cela provoque l’agacement des pays riverains comme le démontre notamment « l’énoncé de la politique étrangère pour l’Arctique du Canada » du chef de la diplomatie M. Cannon. « Le Canada n’accepte pas l’argument de certains selon lequel l’Arctique requiert un changement majeur de structure de gouvernance et de cadre juridique. Mais il accepte le fait que le Nord subit actuellement une transformation fondamentale. »
La France doit donc se ménager une voie détournée pour se prémunir à moindre frais d’un échec de cette stratégie d’internationalisation du Grand Nord.

Développer des relations privilégiées avec les pays de la zone arctique
Parmi les Etats riverains du cercle arctique, le Danemark via le Groenland est une porte naturelle de la France sur cette région par leur appartenance commune à l’Union Européenne. Néanmoins, la diplomatie française semble faire preuve de pragmatisme en cherchant à développer d’autres relations dans la zone polaire. Ainsi l’année 2010 aurait très bien pu être celle de la Norvège. En effet, de nombreuses démarches ont été menées vers ce pays scandinave comme notamment le séminaire franco-norvégien sur « le Grand Nord, une approche stratégique » qui s’est tenu à Paris le 3 juin 2010. Le compte-rendu de celui-ci stipule qu’ « en marge de ce séminaire, Pierre Lellouche a eu avec le Secrétaire d’Etat norvégien aux affaires étrangères Erik Lahnstein un entretien qui a porté, outre sur l’Arctique, sur les questions énergétiques et financières (...) ».
Ces questions étaient également à l’ordre du jour lors de la visite du Premier Ministre français en Norvège les 13 et 14 juin 2010. M. Fillion a rappelé à cette occasion l’importance énergétique directe pour la France de la Norvège qui est notre premier fournisseur de gaz et le second pour le pétrole. Lors de son discours devant la communauté française à Oslo, il a fait la promotion des relations avec la Norvège dans ce domaine : « J’étais hier à Hammersfest sur le site d’exploitation et de liquéfaction de gaz, où TOTAL et GDF-SUEZ (...) travaillent avec l’entreprise nationale STATOIL. Ce sont des partenariats que nous cherchons à multiplier y compris en pays tiers. »
Ces deux entreprises très implantées dans le pays sont d’ailleurs partenaires de ce projet à hauteur de 30% et elles ont pour le premier ministre français valeur d’exemple puisqu’il insiste dans ce même discours sur « (...) l’importance pour les entreprises françaises de venir investir en Norvège. » . De plus, TOTAL et GDF-SUEZ développent dans l’expérience de l’usine de liquéfaction du gaz naturel de Snohvit une compétence qui doit lui permettre de faire un transfert de technologie lors de nouveaux partenariats. Ce sera le cas dans la conduite du futur projet mené avec la Russie à Chtokman. En effet, les entreprises locales, GAZPROM dans le cas présent, n’ont pas forcément la capacité d’assurer, technologiquement l’extraction des réserves énergétiques dans le cercle polaire. La France et ses entreprises ont donc, semble-t-il, tout à gagner à se rendre indispensables en maîtrisant ces techniques. Cela leur assurerait sans aucun doute un accès viable aux ressources du Grand Nord.