En décembre 2007, Orascom Constructions vend au Groupe Lafarge, dans la plus grande discrétion et sans en aviser (ce qui est parfaitement légal) le gouvernement algérien, l’intégralité de son secteur cimentier (Orascom Building Material Holdings), dont ses actifs cimentiers en Algérie, pour 10.2 Milliards d’Euros. Or Lafarge avait déjà tenté sans succès de s’y implanter.
Des répercussions politiques majeures
Les actifs cimentiers d’Orascom en Algérie sont le résultat de la construction de deux usines importantes financées par des prêts multilatéraux et pour lesquelles le Groupe Orascom a bénéficié de faveurs, en particulier fiscales, du Gouvernement algérien, et de différentes subventions. Orascom a décidé de céder ses actifs cimentiers au niveau mondial sans consulter le gouvernement Algérien en particulier, certains actifs se trouvant être algériens. Il en est résulté un grand sentiment de frustration de la part des autorités algériennes. Celles-ci estimaient qu’il aurait été courtois et diplomatique que le groupe Sawiri, composé d’hommes d’affaires de premier plan en Egypte, ne les mette pas devant le fait accompli. Cette cession posait un double problème : un problème de patriotisme économique et un problème de relations au sein du monde arabe.
Un problème de patriotisme économique :
Les privatisations ont toujours été un sujet très sensible en Algérie. Au sein du Maghreb, autant la Tunisie et le Maroc sont ouverts aux investissements étrangers, qu’ils soient d’origine européenne, américaine ou du monde arabe, autant l’Algérie a toujours été beaucoup plus fermée, par peur de se faire déposséder de certains actifs cruciaux. Le secteur pétrolier y est particulièrement protégé, Sonatrach restant l’acteur incontournable pour tout ce qui concerne les grands projets et Sonelgaz
pour la distribution du gaz. Aussi les gouvernements algériens ont-il toujours été ambivalents dans ce domaine ; ils veulent privatiser, mais tout en gardant un certain droit de regard. De ce point de vue, le secteur bancaire est intéressant car aucune grande banque algérienne n’a pu être privatisée : le Crédit Populaire d’Algérie, qui avait fait l’objet d’un appel d’offres, a été finalement retiré de la vente en 2007 pour des raisons diverses.
Un problème de relations avec le monde arabe
Le gouvernement algérien, qui est quelque peu isolé dans le Maghreb (relations avec le Maroc du fait du problème du Polisario, rétablissement des visas pour se rendre en Libye), s’est senti trahi par un pays ami du monde arabe. Il n’a pas réagi à un problème de droit des affaires, mais a ressenti un problème politique sur le plan national et international. Sur le plan juridique, l’opération était parfaitement légale, celle-ci s’était faite sous forme de cessions des actions d’une holding située hors d’Algérie. Le Gouvernement algérien s’est senti trahi par l’investisseur égyptien du fait de l’aide que le gouvernement algérien avait consenti pour ces projets. Le problème juridique a pris une connotation politique provoquant un discours nationaliste exprimé au plus haut niveau par exemple par le Président Bouteflika. Lors d’un discours prononcé le 26 juillet 2008, il a cité la « déloyauté des investisseurs étrangers qui n’ont pas joué le jeu ».
Des répercussions sur le contexte des affaires et sur ls relations internationales
L’affaire Lafarge a été l’élément déclencheur d’une réaction des autorités algériennes à l’égard des investissements étrangers car il se trouve qu’Orascom possède également en Algérie une filiale de téléphonie mobile via Orascom Telcom holding, appelée Orascom Telecom Algérie (OTA). Cette filiale est communément appelée « Djezzy ». Il s’agit du premier opérateur de téléphonie mobile en Algérie, Orascom Telecom Holding ayant remporté la deuxième licence de téléphonie mobile de type GSM pour 737 millions de dollars. Cette filiale algérienne d’Orascom Telecom est extrêmement importante pour le groupe car elle représente 45 % de son chiffre d’affaires. Ce succès a été un facteur de renforcement très important d’Orascom Telecom et lui a permis de se positionner comme un grand acteur du secteur des mobiles (part de marché de 63 % en Algérie avec 14.7 millions de souscripteurs).
Le succès d’Orascom en Algérie a suscité de la part des autorités algériennes une réaction de rejet globale à l’égard des étrangers. Le fait que Lafarge se soit substitué à Orascom dans le domaine cimentier n’a sûrement pas été apprécié au niveau politique en raison de la façon dont l’opération a été traitée. Le marché algérien a eu tendance à se fermer et il y a eu un retournement brutal des autorités algériennes, qui ont « vendu » à leur opinion publique que les investisseurs étrangers venaient uniquement pour gagner de l’argent rapidement, rapatrier des dividendes et quitter ensuite l’Algérie après avoir profité de ce marché émergent très prometteur. Ceci a eu tendance à inquiéter sérieusement la communauté internationale dont la France. Le Medef s’est rendu en Algérie sans obtenir de résultats notoires.
Causes économiques
L’Algérie est un pays largement dépendant qui importe une grande partie des biens dont elle a besoin grâce à ses recettes pétrolières.
- Le secteur économique interne est donc faible, nécessitant un haut niveau d’importation.
- La main d’œuvre y est généralement peu qualifiée et il n’existe pas vraiment de classe moyenne.
- Les besoins de base de la population et du pays en matière d’infrastructures et de consommation sont énormes.
- Une population jeune et sans emploi représente un élément de pression important et dangereux pour le gouvernement.
- A cela s’ajoute une islamisation rapide de la société et une radicalisation de certains éléments de cette population qui croît sur le terreau d’un faible niveau de vie.
Causes politiques
Une campagne à usage intérieur s’est développée afin de contenir la pression de la population. Les « étrangers » (voir les commentaires antifrançais, antiaméricains et antisionistes voire antisémites sur les blogs locaux) ont été rendus responsables de l’ensemble des maux de l’économie algérienne, les dirigeants politiques et économiques n’ayant rien à se reprocher. Les principales conséquences sur le plan des relations d’affaires de l’Algérie et des relations internationales ont été :
- Une répercussion en matière d’investissements étrangers au point que des juristes se sont demandés si les mesures prises par les autorités algériennes étaient conformes aux principes du droit international et en particulier à ceux de l’organisation mondiale du commerce (OMC).
- Un ralentissement très net des investissements étrangers.
- L’interdiction de certaines cessions de sociétés (Orascom Telecom Algérie n’a pu être vendu au Sud Africain MTN).
- Un climat d’incertitudes avec des décisions juridiques et fiscales semblant très arbitraires. Orascom Telecom Algérie s’est ainsi vu infliger d’énormes amendes fiscales pour des raisons peu compréhensibles (plus de 600 millions de Dollars pour les années 2005, 2006 et 2007) et 230 millions de dollars d’arriérés fiscaux réclamés pour 2008 /2009.
- Les commentateurs se demandent si ces pénalités très lourdes ne sont pas purement arbitraires.
- Une autre conséquence très importante est le nouveau droit de regard que les autorités algériennes s’arrogent en matière d’investissement et de transfert de propriété.
- Sur le plan politique il y a eu un durcissement des relations avec certains pays dont l’Egypte (cf. incidents lors des matches de football).
Une nouvelle législation (très) protectionniste
L’affaire Orascom / Lafarge a été le catalyseur d’un changement législatif par lequel tout nouvel investissement requiert un partenaire algérien pour 51 % au moins (plusieurs contrats signés avec la Sonatrach avec des étrangers en tant qu’actionnaires minoritaires ont été annulés).L’Algérie dispose d’un droit de préemption lorsqu’une cession est effectuée en Algérie par des étrangers. Ces éléments sont incorporés en particulier dans la loi de finances rectificative de 2010.
Conséquences
L’intérêt de l’affaire Orascom / Lafarge est de mettre en évidence l’incapacité d’un pays émergent à se mettre à niveau en termes de normes internationales et d’investissement et à intégrer la réussite sur son territoire d’acteurs étrangers, là où lui-même a failli.
- Une ouverture « brutale » du marché peut créer un malaise et être mal comprise, d’où des tensions politiques internes.
- Dans le cas d’Orascom la partie algérienne s’est montrée généreuse en matière d’avantages accordés, d’où sa sensation de voir des profits importants lui échapper.
- Mais il ne faut pas oublier qu’Orascom a investi pendant la période noire du terrorisme en Algérie, où il n’y avait guère de volontaires pour investir. Le phénomène a été similaire dans le domaine bancaire : un certain nombre de banques arabes et européennes (dont les françaises Natixis, Société Générale) ont ouvert leurs antennes à des moments très difficiles. Maintenant que ces établissements ont très bien réussi face à un secteur algérien bureaucratique, la partie algérienne se trouve frustrée.
- Un processus de maturation politique doit se produire, mais il n’est pas aisé à réaliser dans un pays où la population, refusant d’ouvrir les yeux sur les stratégies et les modalités de gouvernement de ses propres élites, préfère imputer les faiblesses de son pays à des agents étrangers « subversifs ».
- Le facteur politique est toujours primordial dans une économie algérienne toujours « dirigée ». La visite cette semaine du Président Russe Medvedev dans le contexte du rachat d’Orascom Algérie par le russe Vimpelcom en est une preuve éclatante. Celui-ci est venu appuyer l’offre de Vimpelcom au gouvernement algérien de racheter Djezzy, dont le prix demandé, exhorbitant selon l’Algérie, est depuis lundi une source de tensions entre les deux pays.
- De son côté, la France a mandaté Jean-Pierre Raffarin comme facilitateur, notamment dans le dossier des dividendes issus des activités cimentières de Lafarge, dont le gouvernement algérien gèle le transfert.
Les conséquences directes de ce litige ont été là quasi interruption pendant un moment des IDE en provenance de France et d’Egypte. Or ces pays sont deux des principaux (et rares) investisseurs dans un pays représentant peu d’attraits en dehors de ses seules matières premières.
Julien Auba