Offensive allemande sous la Manche: la France sur la défensive

En liaison avec l’ouverture du trafic passager à la concurrence dans l’UE depuis janvier 2010, l’offensive des entreprises allemandes dans le ferroviaire et en particulier sur l’axe clé du tunnel sous la Manche, monte en puissance.
Eurostar a ainsi annoncé le 7 Octobre 2010 son intention d’acheter des trains Siemens pour un montant d’environ 800 millions d’euros au détriment de son fournisseur historique Alstom, ce qui a fait l’effet d’une bombe en France surtout après l’annonce par Alstom d’un plan de restructuration et de la suppression de 4000 emplois. Deutsche Bahn de son coté cherche à profiter de l’ouverture du tunnel géré par Eurotunnel à d’autres opérateurs et est en train de procéder à des tests en vue d’une homologation à terme pour son ICE3 et d’une liaison régulière Allemagne-Londres dès 2013.
Ces prises de positions ne sont pas sans rappeler la stratégie utilisée dans le domaine postal où la Deutsche Post avait anticipe très tôt, dès le milieu des années 90, l’ouverture du marché en grossissant jusqu'à une taille critique de niveau mondial et en diversifiant ses revenus dans la logistique globale (DHL etc) et la banque. De ce point de vue les ambitions française apparaissent limitées et tardives face à la libéralisation des industries de réseau comparée à la stratégie allemande globale et massive, que ce soit dans le domaine postal ou ferroviaire. Cela est moins vrai dans le domaine de l’énergie où des télécommunications mais il reste que l’Allemagne a ou est en train de prendre des positions de premier plan, que les raisons en soient institutionnelles, culturelles, statutaires ou financières.
En outre les positions de Siemens et Deutsche Bahn ne sont pas seulement fortes d’un point de vue technique, financier ou de part de marché. Elles peuvent en plus arguer de la légitimité politique et économique ce qui un facteur décisif dans nos démocraties. En effet elles ont le droit européen pour elles et peuvent mettre l’accent sur le fait que l’ultime décision appartient au client-roi.
Sous cet angle la situation de la France est beaucoup plus délicate. Le gouvernement français a absorbé le choc de l’annonce Siemens puis a détourné l’attaque sur le thème de la sécurité : l’homologation doit être effectuée par une commission franco-britannique de niveau intergouvernemental. La commission européenne ayant déclarée qu’elle n’était pas compétente sur ce point, la composante française de cette commission peut donc en théorie bloquer l’homologation, ce qui fait dire au secrétaire d’état aux transports français, Mr Bussereau que la commande d’Eurostar est « nulle et non avenue ».
Le thème de la sécurité est effectivement porteur pour l’opinion publique mais il sera difficile d’éviter l’accusation de juge et partie ainsi que d’interventionnisme. Cette critique a déjà été émise du coté allemand et fait échos à d’autres limites de la coopération macroéconomique franco-allemande apparues notamment lors de la crise de l’euro.
La riposte reste à développer et en dehors de la stratégie de contournement par les normes (de sécurité), la France pourrait rebondir sur les arguments techniques et le protectionnisme. Siemens accuse les Eurostars d’Alstom d’obsolescence en faisant référence notamment aux problèmes liés aux fortes neiges de l’hiver dernier mais on peut aussi rappeler les problèmes de climatisation des ICE non prévus pour les fortes chaleurs. Quant au protectionnisme, même si la méthode allemande est plus prudente et subtile sur la forme, il suffit de regarder la bataille en cours autour de la prise de contrôle par l’espagnol ACS du groupe de BTP Hochtief. Le maintien du siège en Allemagne est devenu un enjeu politique avec le président du SPD Sigmar Gabriel exhortant la chancelière Merkel à signaler au gouvernement espagnol qu’il ne peut mettre au chômage des salariés allemands ayant versé par leurs impôts des fonds européens à l’Espagne.

Eric Romann