La lutte entre un groupe québécois et une firme étatsunienne sur le marché de la distribution alimentaire
Le 30 septembre 2010, l’entreprise Casey’s General Stores a officiellement remporté la guerre de l’information qui l’opposait à son homologue canadienne Alimentation Couche-Tard (ACT). ACT a en effet annoncé, après de nombreux rebondissements, l’abandon de son offre qui portait sur l’acquisition du réseau Casey’s, pour un montant d’1,9 Milliards de dollars US.
Les ambitions de l’entreprise canadienne ACT
Basée à Laval (Québec), ACT occupe actuellement la 1ère place sur le marché du commerce de proximité au Canada, et la deuxième place aux États-Unis. En constante croissance depuis plusieurs années, l’entreprise a traversé la crise économique sans difficultés, et affiche aujourd’hui une stratégie ambitieuse de développement externe.
La compagnie a ainsi procédé à près de 30 opérations d’acquisition au sud de la frontière au cours de ces 10 dernières années, affichant ainsi clairement ses ambitions de conquête du marché américain qui représente déjà 80% de ses revenus. Alain Bouchard, le président et chef de la direction a annoncé qu’il souhaitait détrôner son principal concurrent sur ce marché, 7-Eleven. Or c’est précisément ce que lui aurait permis de faire l’acquisition de Casey’s General Stores, qui dispose d’un réseau de 1507 magasins aux États-Unis, pour un chiffre d’affaires total de 3,3 Milliards USD.
La guerre de l’information entre ACT et Casey
En avril 2010, ACT a publiquement annoncé son intention d’acquérir l’entreprise Casey’s. L’équipe dirigeante du groupe visé n’est pas majoritaire, mais les Québécois ont l’intention de séduire l’actionnariat de Casey’s, en s’appuyant sur une série d’arguments convaincants : une santé financière solide, un contexte favorable aux opérations de regroupement (crise économique sur un marché très fragmenté) ainsi que de fortes synergies possibles entre les deux compagnies. Mais Casey’s met en place une stratégie de défense basée sur la rétention d’informations, la désinformation et la dégradation systématique de l’image de son potentiel acquéreur.
La première action de la compagnie américaine fut de bloquer l’intégralité des informations en provenance de son potentiel acquéreur. Elle a ainsi refusé jusqu’au bout de communiquer avec ACT et de transmettre les modalités des différentes offres à ses actionnaires, malgré la volonté affichée de certains d’entre eux d’entamer une discussion avec l’offreur. Elle a ensuite procédé à la diffusion répétée d’informations erronées. Casey’s a par exemple semé la confusion en annonçant, peu avant la fin de l’offre d’acquisition, qu’un concurrent (dont elle n’a jamais dévoilé le nom) venait de déposer une offre supérieure à celle d’ACT. Cette annonce a eu pour effet de faire augmenter sensiblement le cours de l’action de Casey’s, et de contraindre ACT à revoir son offre à la hausse. Parallèlement, elle a multiplié les déclarations visant à décrédibiliser l’offre québécoise, la qualifiant de « cheap » et « d’opportuniste ». Un procès a même été engagé : Casey’s reproche à ACT d’avoir spéculé de manière illégale sur le titre Casey’s lors de l’annonce de l’OPA.
Enfin Casey’s s’en est directement pris à l’image d’ACT. La compagnie américaine a notamment affirmé que les Québécois souhaitaient abandonner le nom de Casey’s, procéder à d’importantes réductions salariales, et bouleverser le réseau de fournisseurs. La compagnie est ainsi parvenue à diaboliser ACT, aux yeux des actionnaires mais également des consommateurs américains, pour qui Casey’s représente une marque « historique ».
Par la maîtrise de l’information Casey’s est parvenu à convaincre ses actionnaires de ne pas céder leurs parts. Car si ces derniers étaient prêts à céder pour 20% de leurs part lors de la première annonce d’OPA, ce pourcentage a chuté à 1,9% suite aux différentes actions menées par Casey’s. Ce retournement de situation marque le succès de sa stratégie de défense.
Le patriotisme économique made in USA
Mais s’il est légitime pour Casey’s de se défendre contre une offre d’acquisition non sollicitée, le soutien qu’elle a pu trouver chez ses compatriotes a de quoi interpeller. En effet, on a pu assister à une attaque multilatérale décisive de la part d’entreprises américaines, toutes particulièrement importantes dans différents secteurs d’influence : banque, médias, agence de notation et cabinets de conseil.
Ainsi, Goldman Sachs a tenu un rôle central en tant que conseiller stratégique direct de Casey’s. On lui attribue notamment l’annonce de l’offre concurrente mystère, qui a porté un coup fatal à ACT. Cette rumeur a été alimentée et amplifiée par le Wall Street Journal, qui a déclaré que 7-Eleven était à l’origine de l’offre. Or, à ce jour, l’information reste invérifiée et aucun rapprochement n’a été constaté entre 7-Eleven et Casey’s. On remarquera que la presse américaine n’a en revanche jamais relayé les propos d’Alain Bouchard, notamment lorsque ce dernier tentait de réfuter les différentes rumeurs lancées par Casey’s.
L’agence de notation Moody’s a de son côté contribué à réduire la crédibilité d’ACT, en abaissant la note d’ACT malgré les excellents résultats de l’entreprise. Enfin, les deux entreprises de conseil ISS et Glass Lewis ont simultanément et officiellement recommandé aux actionnaires de Casey’s de ne pas soutenir ACT.
A contrario, et à l’exception d’une timide intervention de son partenaire financier La Banque Scotiz, ACT s’est retrouvée bien seule dans la bataille. Personne, ni parmi les partenaires de l’entreprise ou au sein du gouvernement canadien, n’est venu soutenir l’image de l’entreprise face aux attaques américaines.
En conclusion, nous pouvons raisonnablement déduire que la simultanéité et le caractère particulièrement opportun de ces attaques ne sont pas le fruit du hasard. On peut dès lors s’interroger sur leur origine : qui a orchestré la stratégie de défense de Casey’s ? D’autre part, comment qualifier le manque de réactivité de la part des acteurs canadiens dans une bataille où se jouait le contrôle d’un marché de plusieurs dizaines de milliards de dollars ? Doit-on déceler une crainte de ces derniers à défier leurs puissants voisins, ou simplement un manque de solidarité ? Une chose est sûre, la cohésion américaine a eu raison des ambitions d’ACT.
Lucie Loubet
Sources :
http://lapresseaffaires.cyberpresse.ca/economie/commerce-de-detail/201003/09/01-4258877-le-marche-de-lessence-fait-mal-a-couche-tard.php
http://lapresseaffaires.cyberpresse.ca/economie/commerce-de-detail/201004/09/01-4268787-loffre-de-couche-tard-refusee-net-par-caseys.php
http://online.wsj.com/article/SB10001424052748703453804575480033076542798.html
http://lapresseaffaires.cyberpresse.ca/opinions/chroniques/sophie-cousineau/201004/09/01-4269018-boulimique-couche-tard.php
Les ambitions de l’entreprise canadienne ACT
Basée à Laval (Québec), ACT occupe actuellement la 1ère place sur le marché du commerce de proximité au Canada, et la deuxième place aux États-Unis. En constante croissance depuis plusieurs années, l’entreprise a traversé la crise économique sans difficultés, et affiche aujourd’hui une stratégie ambitieuse de développement externe.
La compagnie a ainsi procédé à près de 30 opérations d’acquisition au sud de la frontière au cours de ces 10 dernières années, affichant ainsi clairement ses ambitions de conquête du marché américain qui représente déjà 80% de ses revenus. Alain Bouchard, le président et chef de la direction a annoncé qu’il souhaitait détrôner son principal concurrent sur ce marché, 7-Eleven. Or c’est précisément ce que lui aurait permis de faire l’acquisition de Casey’s General Stores, qui dispose d’un réseau de 1507 magasins aux États-Unis, pour un chiffre d’affaires total de 3,3 Milliards USD.
La guerre de l’information entre ACT et Casey
En avril 2010, ACT a publiquement annoncé son intention d’acquérir l’entreprise Casey’s. L’équipe dirigeante du groupe visé n’est pas majoritaire, mais les Québécois ont l’intention de séduire l’actionnariat de Casey’s, en s’appuyant sur une série d’arguments convaincants : une santé financière solide, un contexte favorable aux opérations de regroupement (crise économique sur un marché très fragmenté) ainsi que de fortes synergies possibles entre les deux compagnies. Mais Casey’s met en place une stratégie de défense basée sur la rétention d’informations, la désinformation et la dégradation systématique de l’image de son potentiel acquéreur.
La première action de la compagnie américaine fut de bloquer l’intégralité des informations en provenance de son potentiel acquéreur. Elle a ainsi refusé jusqu’au bout de communiquer avec ACT et de transmettre les modalités des différentes offres à ses actionnaires, malgré la volonté affichée de certains d’entre eux d’entamer une discussion avec l’offreur. Elle a ensuite procédé à la diffusion répétée d’informations erronées. Casey’s a par exemple semé la confusion en annonçant, peu avant la fin de l’offre d’acquisition, qu’un concurrent (dont elle n’a jamais dévoilé le nom) venait de déposer une offre supérieure à celle d’ACT. Cette annonce a eu pour effet de faire augmenter sensiblement le cours de l’action de Casey’s, et de contraindre ACT à revoir son offre à la hausse. Parallèlement, elle a multiplié les déclarations visant à décrédibiliser l’offre québécoise, la qualifiant de « cheap » et « d’opportuniste ». Un procès a même été engagé : Casey’s reproche à ACT d’avoir spéculé de manière illégale sur le titre Casey’s lors de l’annonce de l’OPA.
Enfin Casey’s s’en est directement pris à l’image d’ACT. La compagnie américaine a notamment affirmé que les Québécois souhaitaient abandonner le nom de Casey’s, procéder à d’importantes réductions salariales, et bouleverser le réseau de fournisseurs. La compagnie est ainsi parvenue à diaboliser ACT, aux yeux des actionnaires mais également des consommateurs américains, pour qui Casey’s représente une marque « historique ».
Par la maîtrise de l’information Casey’s est parvenu à convaincre ses actionnaires de ne pas céder leurs parts. Car si ces derniers étaient prêts à céder pour 20% de leurs part lors de la première annonce d’OPA, ce pourcentage a chuté à 1,9% suite aux différentes actions menées par Casey’s. Ce retournement de situation marque le succès de sa stratégie de défense.
Le patriotisme économique made in USA
Mais s’il est légitime pour Casey’s de se défendre contre une offre d’acquisition non sollicitée, le soutien qu’elle a pu trouver chez ses compatriotes a de quoi interpeller. En effet, on a pu assister à une attaque multilatérale décisive de la part d’entreprises américaines, toutes particulièrement importantes dans différents secteurs d’influence : banque, médias, agence de notation et cabinets de conseil.
Ainsi, Goldman Sachs a tenu un rôle central en tant que conseiller stratégique direct de Casey’s. On lui attribue notamment l’annonce de l’offre concurrente mystère, qui a porté un coup fatal à ACT. Cette rumeur a été alimentée et amplifiée par le Wall Street Journal, qui a déclaré que 7-Eleven était à l’origine de l’offre. Or, à ce jour, l’information reste invérifiée et aucun rapprochement n’a été constaté entre 7-Eleven et Casey’s. On remarquera que la presse américaine n’a en revanche jamais relayé les propos d’Alain Bouchard, notamment lorsque ce dernier tentait de réfuter les différentes rumeurs lancées par Casey’s.
L’agence de notation Moody’s a de son côté contribué à réduire la crédibilité d’ACT, en abaissant la note d’ACT malgré les excellents résultats de l’entreprise. Enfin, les deux entreprises de conseil ISS et Glass Lewis ont simultanément et officiellement recommandé aux actionnaires de Casey’s de ne pas soutenir ACT.
A contrario, et à l’exception d’une timide intervention de son partenaire financier La Banque Scotiz, ACT s’est retrouvée bien seule dans la bataille. Personne, ni parmi les partenaires de l’entreprise ou au sein du gouvernement canadien, n’est venu soutenir l’image de l’entreprise face aux attaques américaines.
En conclusion, nous pouvons raisonnablement déduire que la simultanéité et le caractère particulièrement opportun de ces attaques ne sont pas le fruit du hasard. On peut dès lors s’interroger sur leur origine : qui a orchestré la stratégie de défense de Casey’s ? D’autre part, comment qualifier le manque de réactivité de la part des acteurs canadiens dans une bataille où se jouait le contrôle d’un marché de plusieurs dizaines de milliards de dollars ? Doit-on déceler une crainte de ces derniers à défier leurs puissants voisins, ou simplement un manque de solidarité ? Une chose est sûre, la cohésion américaine a eu raison des ambitions d’ACT.
Lucie Loubet
Sources :
http://lapresseaffaires.cyberpresse.ca/economie/commerce-de-detail/201003/09/01-4258877-le-marche-de-lessence-fait-mal-a-couche-tard.php
http://lapresseaffaires.cyberpresse.ca/economie/commerce-de-detail/201004/09/01-4268787-loffre-de-couche-tard-refusee-net-par-caseys.php
http://online.wsj.com/article/SB10001424052748703453804575480033076542798.html
http://lapresseaffaires.cyberpresse.ca/opinions/chroniques/sophie-cousineau/201004/09/01-4269018-boulimique-couche-tard.php