L’influence française en Guinée Equatoriale

Omar Bongo en 2009, La position française face à l’Afrique Centrale reste caractérisée par une certaine constance, voire un immobilisme. Pourtant, les logiques de puissance et d’influence en Afrique centrale ont évolué. Les rivalités coloniales entre la France et l’Espagne au 19e siècle ont abouti à la quasi-domination française en Guinée Equatoriale après 1979. Mais l’apparition des hydrocarbures en 1995 dans ce petit pays a fait ressortir une nouvelle problématique : face à la France, la Guinée Equatoriale a su profiter de sa nouvelle puissance financière, de l’entrée de nouveaux acteurs, l’affaiblissement de logique de puissance française pour construire une doctrine de puissance qui lui permet depuis peu d’affirmer un leadership en Afrique Centrale.  La France, qui se trouvait depuis les années 1979 dans un rapport asymétrique face à la Guinée Equatoriale, est confrontée depuis dix ans à une certaine perte d’influence, qu’il s’agit de retrouver. Un tel objectif nécessite au préalable de reposer la question suivante : quelles ont été les logiques sous-jacentes de la construction de l’influence française en Guinée Equatoriale ?

Rivalités coloniales

Entre la Conférence de Berlin en 1884 et le Traité de Paris du 27 juin 1900, la Guinée Espagnole fut réduite de 180.000 km2 à 26.000 km2.  Le 12 octobre 1968, le pays obtint son indépendance pour se rebaptiser Guinée Equatoriale, sous la présidence de Francisco Macias Nguema. Ce dernier adopta une politique de réduction de l’influence espagnole (ancienne puissance coloniale) par : l’adoption du dialecte fang comme langue officielle, la nationalisation de l’économie, l’expulsion des anciens colons espagnols, le rapprochement avec l’URSS.

Construction de l'influence française : 1979-1995

Le 3 août 1979, le Président Teodoro Obiang Nguema cherche à ouvrir son pays, isolé sur la scène internationale depuis l’indépendance. La France renforce alors sa présence de façon rapide dans la décennie 1980, avec une volonté nette d’élargir son influence sur ce pays placé au centre de l’Afrique Centrale. De nombreux accords de coopération bilatérale sont signés en l’espace de seulement dix années : -coopération économique, technique, scientifique et culturelle en novembre 1979, -création de l’Institut culturel Français en 1984, -entrée de la Guinée Equatoriale dans la zone FCFA en 1985, -adoption du Français comme seconde langue officielle et entrée dans l’Organisation Internationale de la Francophonie en 1989.
A la lecture de ces signatures d’accords bilatéraux, il apparaît que la Guinée Equatoriale fut entre 1979 et 1995 un pays ciblé par une stratégie claire de puissance et d’influence de la France, qui s’est attachée, avec succès, à réduire au minimum l’influence espagnole dans la région. Un des piliers de cette stratégie fut de profiter de la conjonction de plusieurs facteurs : l’effacement de l’Espagne sur la scène internationale (les années 1980 en Espagne sont celles d’un recentrement sur le pays : fin de la dictature, début de la monarchie parlementaire, adhésion à l’Espace Economique Européen), des relations difficiles entre la Guinée Equatoriale et son ancienne tutelle coloniale qui sont marquées par des périodes de rapprochement, de défiance, ou d’indifférence, à l’instar des relations entre l’Espagne et l’Amérique Latine. Au milieu des années 1990, la coopération française, profitant du point d’entrée que constitue l’intégration de la Guinée Equatoriale dans la zone CEMAC, se trouve au contact de toutes les fonctions  de l’Etat : -l’armée, -la police, - la gendarmerie, -les douanes, -la justice, -l’éducation, -Ministère de l’économie...

Inflexion de la politique d'influence: 1995-2005

En 1995, d’importantes quantités de pétrole sont découvertes au large des côtes équato-guinéennes. La Guinée Equatoriale est devenue depuis, avec une production avoisinant 350.000 barils/jour, le 3e producteur de l’Afrique subsaharienne, derrière le Nigeria et l’Angola, et devant le Gabon. Mais un évènement fondamental se produisit : l’entreprise française Total fut évincée de l'exploration et de l’exploitation, et ne conserva que la distribution.
Cette éviction est un non-dit fondamental de la présence française en Guinée Equatoriale, et ses raisons restent floues : est-ce du à un manque de coopération entre Total (focalisée à l’époque sur les problématiques du Gabon et de l’Angola) et le Ministère des Affaires Etrangères ? Est-ce le produit du lobbying des entreprises américaines, dans la lignée de la stratégie d’accaparation des ressources par les Etats-Unis dans le Golfe de Guinée ? De facto, depuis 1995, l’exploitation des hydrocarbures est dominée par les USA, Exxon Mobil en premier lieu.
Portée par l’exploitation des hydrocarbures, la croissance économique du pays fut rapide : le PIB par habitant est passé de 2.742 USD en 2000 à 10.439 USD en 2008. De nombreuses entreprises françaises, appuyées par l’Etat (notamment par PROPARCO, la filiale des investissements privés de l’Agence Française du Développement) se sont implantées, complétant les outils institutionnels d’influence de la France : Bouygues, Société Générale, Bolloré, Air France, Groupe Castel, CFAO, France Télécom.
En dépit du renfort que représente l’arrivée des entreprises privées, la perte de l’exploitation des hydrocarbures par Total représente la première faille de l’influence française, qui est depuis cette période soumise à l’intensification de la concurrence des BRICS.

Entrée et intensification de la concurrence internationale : 2005-2010

Depuis le début de la production d’hydrocarbures, la Guinée Equatoriale est passée de statut de pays isolé à celui de puissance régionale en devenir.  Jouant sur l’émergence des BRICS et sa puissance financière, la Guinée Equatoriale s’ouvre à de nouveaux partenaires : -la Russie, -le Maroc, -la Chine présente dans le BTP avec Dahlian Construction notamment...
Les entreprises françaises, arrivées en situation de monopole lors de la décennie 1990, sont aujourd’hui soumises à une forte concurrence : deux banques, Ecobank (Nigeria, Ghana) et Attijariwafa (Maroc) ont obtenu l’agrément bancaire en 2010, menaçant les positions de la Société Générale. Total a été de nouveau évincé des nouveaux blocs d’exploration ouverts en 2009, Orange a perdu son monopole en 2010 avec l’implantation de Hits Telecom (Koweït).

Doctrine de puissance de la Guinée Equatoriale depuis 2005

Surmontant ses handicaps structurels (population peu formée et de moins de 1 million d’habitants, industrie et agriculture en voie de disparition, consommation intérieure dépendante des importations), la Guinée Equatoriale a su profiter de sa puissance financière (plus de 60% des réserves en devises de la zone FCFA),  pour établir une doctrine de puissance clairement établie depuis 2005 : prendre la tête de la zone CEMAC, qui est pourtant la zone d’influence de la France (par le truchement du Gabon).
Le pays joue en conséquence la même partition que d’autres pays africains : mise en concurrence des entreprises françaises dans tous les secteurs où elles sont impliquées, intense lobbying pour contrôler la Banque des Etats d’Afrique Centrale, recadrage de l’influence des Etats-Unis (en 2009, des pourparlers ont été engagés entre l’administration et Exxon
Mobil sur la diminution du torchage.)… tout en bénéficiant de moyens financiers considérables, et d’une volonté de puissance assumée.

Perspectives : repenser l'influence française en Guinée Equatoriale

En matière de puissance, l’avantage est toujours à celui qui possède une doctrine claire et qui la met en œuvre. Dans un rapport asymétrique de faible (Guinée Equatoriale) à fort (France), la possession d’une volonté de puissance permet de renverser les rapports de force : la Guinée Equatoriale a réussi à construire depuis dix ans un leadership en Afrique Centrale, qui est pourtant une zone d’influence historique de la France.
Bien que menacée, l’influence française en Guinée Equatoriale trouverait un avantage certain à se repenser autour de ses partenaires “historiques” d’Afrique Centrale. Car le leadership équato-guinéen pâtit d’un manque de légitimité auprès des pays-membres de la zone, et plusieurs dossiers témoignent des divisions profondes de l’Afrique Centrale: -l’ouverture des frontières ralentie par la Guinée et le Gabon, -l’inflation du FCFA causée par la croissance guinéenne, -le retard pris dans les réformes bancaires, -les litiges commerciaux… A condition que la France se ressaisisse de ces problématiques, l’influence française trouverait une marge de manœuvre pour se repenser en Guinée Equatoriale.

 


Pablo Jaquin