La Chine et les terres rares

Peu de monde en France connaît le jeu de GO, il s’agit donc d’un jeu dans lequel deux joueurs s’affrontent sur un damier (goban) avec des jetons blancs ou noirs appelés « pierres ». Ce jeu datant du deuxième millénaire avant notre ère est né en Asie et plus qu’aucun autre du même genre, il exige une réflexion tactique qui doit s’inscrire dans une pensée stratégique. Le court terme y est présent comme partout ailleurs, mais la vision de long terme a toute son importance, en témoigne la durée parfois très longue de ses parties (pouvant aller jusqu’à plusieurs jours).
En France nous découvrons la problématique des terres rares. Aurions-nous oublié par là ce qu’était la stratégie de long terme  et la notion de dépendance vis-à-vis des matières premières…..? La Chine, elle, connaît le jeu de GO, ses tactiques d’étouffement, de conquête de territoire dans une vision de long terme, et elle connaît aussi très bien les terres rares !

des réserves mondiales de terres rares et est à l’origine de 97% de la production mondiale. Il faut noter néanmoins que les Etats-Unis, l’Australie, l’Indonésie, l’Afrique en sont riches également.
La pensée stratégique chinoise, en position aussi forte, devait s’accompagner d’actions, bien évidemment, car le mouvement est une clé dans le combat. La Chine a donc déplacé ses « pierres ».

La règle du Séki 
Au jeu de GO (basé sur la notion de territoire, de vie et de mort), il arrive parfois que chacun des adversaires possède une partie du terrain et qu’aucun des deux n’ait d’intérêt à vouloir tuer l’adversaire pour s’approprier le terrain. C’est une sorte de statu quo ou de relation gagnant/gagnant. L’Australie possède des terres rares. Une petite société, Lynas en fait l’exploitation, mais ses moyens sont limités et lorsque la crise économique arrive, elle se retrouve ébranlée et son projet d’usine de raffinage en Malaisie en est menacé. Heureusement la Chinoise China Non Ferrous Co est là…. Elle prend le contrôle de la petite société à hauteur de 52% en échange de 184 millions de dollars. Le cas de Lynas n’est pas le seul, Arafura (Australie) est capitalisée par China Non Ferrous Co à 25%, Tek Resources (canada) à 17%  par China Investment Corp. Et voilà que la Chine développe son territoire dans la plus grande discrétion au milieu du tumulte de la crise. Aucune bataille ne peut être correctement menée sans base arrière solide. Dans cet esprit la Chine est en train de renforcer ses positions. En septembre dernier, il semble que la Chine ait interdit l’approvisionnement en terres rares du Japon à plusieurs de ses bateaux. Cette position démentie par Pékin, a certainement  été la réponse chinoise dans le conflit l’opposant au Japon sur les eaux territoriales.

L’arme des terres rares
Le choix de la réponse est un signal fort. Un signal non pas adressé au seul Japon mais bien à la communauté internationale, sur l’importance que porte la Chine à ces matières premières. Dernièrement, la Chine a laissé entendre qu’elle allait limiter ses exportations de terres rares vers les Etats-Unis… Bien évidemment, il s’agit également d’une réponse, et il se pourrait que l’élément déclencheur soit l’ouverture d’une enquête aux Etats-Unis, enquête portant sur les subventions accordées à l’exportation de technologies « vertes » par les autorités chinoises. La réponse américaine et japonaise sera ultra rapide puisqu’ils déclarent le 27 octobre 2010 qu’une coopération entre les deux pays va se mettre en place pour diversifier les sources d’importation.
Au-delà du fond sur les différents, en très peu de temps, la Chine utilise les terres rares comme réponse offensive à deux problèmes l’un territorial, l’autre commercial. Comment ne pas y voir le déplacement de deux pierres sur le jeu de GO que la Chine joue avec le reste du monde ? Comment ne pas y voir que la Chine considère ses réserves et sa production de terres rares comme une arme ?
La Chine par sa stratégie de puissance dans le domaine de l’énergie est en train de rappeler au monde que le jeu de GO est sans doute le plus ancien mais, sans conteste aussi, le plus actuel. Au-delà d’une vision ironique sur les choses et de la pédagogie qu’elle apporte, il est claire que la Chine possède une stratégie forte en matière de terre rares. Cette stratégie passe par des actes forts, elle demande une volonté sans faille, une indépendance solide, une détermination de long terme. Poursuivre une dynamique de monopole des exportations pour ensuite faire planer l’ombre des limitations d’exportations et mettre par-là les industries des pays riches face à leurs dépendances, en est un exemple de taille.
Au regard de la position chinoise et de celle de la France, en particulier, une question mériterait donc réflexion: la notion de vision stratégique des états s’inscrit-elle dans une dynamique de croissance ? Ou en encore, un pays qui subit une croissance faible est-il plus enclin à délaisser sa stratégie de puissance de long terme ?

Olivier Bousquet