Afghanistan : l’arme de l’image en appui de l’intervention militaire

« Ce qu’il se passera si nous quittons l’Afghanistan », c’est en substance le cri d’alarme lancé par le magazine TIME (09/08/10) qui publie en couverture le visage mutilé d’une jeune femme Afghane, Bibi Aisha. Cette image choquante apparaît dans la presse à un moment où les médias font état d’une situation d’enlisement de l’intervention militaire, n’hésitant pas à faire la comparaison avec la guerre du Viêt-Nam. Cette attaque par l’image vise directement les Talibans dont les actes barbares sont ainsi mis en exergue et légitime l’action des forces armées qui luttent contre eux.
Pourtant, certains s’interrogent sur les auteurs véritables de ces mutilations. S’il est admis que c’est le mari, aidé par sa famille, qui a administré la sentence, aucun élément tangible ne vient corroborer l’implication directe des Talibans (tribunal spécial, bourreau…). D’ailleurs, les Talibans eux-mêmes, pressentant l’impact négatif majeur sur leur image ou non impliqués dans l’acte, ont apporté un démenti à ces accusations. Contestation appuyée par une politologue spécialiste de l’Afghanistan, Mariam Abou Zahab, qui se réfère plutôt à une coutume locale ancestrale pour expliquer cette pratique (émission « C dans l’air », 9/08/10). Toutefois, l’attribution de telles pratiques à la coutume n’affranchit pas les Talibans qui ont très bien pu s’en inspirer pour créer la terreur dans la population. Déjà lors de la guerre d’Algérie, le FLN avait retenu cette forme de terreur sur la population civile, pour la punir de ne pas participer à l’effort de guerre (par exemple : amputation du nez pour les fumeurs), de collaborer avec l’armée et /ou pour la rallier à sa cause. Les forces talibanes comprennent un certain nombre de combattants algériens dans leur rang et une inspiration des méthodes d’alors ne peut être exclue.
Dernièrement, les journaux télévisés (France2 le 13/10, BFM TV le 16/10…) se sont intéressés de nouveau au cas de Bibi Aisha. On la voit souriante, affublée d’une prothèse nasale  dans l’attente d’une opération de chirurgie réparatrice gratuite, qui aura lieu en Californie. Le message est clair : ce que certains détruisent, nous (Américains, Occidentaux) le reconstruisons et le protégeons. Cette démonstration par l’image vise, par une approche manichéenne, à opposer deux mondes : celui de la barbarie (destructrice) à celui de l’Humanité (constructive). Elle permet d’identifier le « chevalier blanc » défenseur des faibles face aux barbares sans compassion et de situer le détenteur de la « juste cause ».
Si, comme le souligne le général Georgelin, ancien Chef d’état-major des armées (2006-2010), dans une interview au Figaro (30/01/10) relative à la situation en Afghanistan, la question ne se pose plus en « termes de victoire et de défaite militaire », la guerre de l’information trouve alors toute sa justification.
Malgré tout, une question demeure : cette guerre de l’image parviendra-t-elle à modifier les rapports de force et à influer de façon significative sur l’issue de ce conflit ?

Stéphane Fosse

Sources :
http://www.time.com/time/world/article/0,8599,2007238,00.html#ixzz12hPPIDlx
http://www.thenation.com/article/154020/afghan-women-have-already-been-abandoned?page=0,0,0,1
http://www.arretsurimages.net/contenu.php?id=3262
http://www.radio-canada.ca/nouvelles/International/2010/10/14/009-aisha-afghanistan-visage.shtml
http://www.mediapart.fr/club/blog/rimbus/110810/le-temps-de-la-propagande
http://www.elkalam.com/Terrorisme-L-algerie-oubliee_a26.html
http://www.lefigaro.fr/international/2010/01/30/01003-20100130ARTFIG00170-afghanistan-l-objectif-n-est-pas-une-victoire-militaire-.php