Bataille entre la SNCF et la Deutsche Bahn

Depuis le milieu des années 90, la Commission Européenne a la volonté de libéraliser l’activité de transport par voies ferrées au sein des états membres. Les mises en place successives de directives dites de « paquet ferroviaire » visaient à mettre fin aux monopoles historiques tant au niveau du fret que du transport de personnes.
Tous les pays ne sont pas au même niveau d’avancement quant à la libéralisation du marché :
•    Situation au Royaume-Uni : l’activité ferroviaire est en libre concurrence mais soumise à des octrois de concessions par l’autorité de régulation en ce qui concerne le transport de voyageurs ;
•    Situation en Allemagne : libéralisation effective dans le fret et le transport de voyageurs depuis 1994 ;
•    Situation en France : l’activité de fret est en concurrence. Cependant le transport de personnes n’a été libéralisé que pour les liaisons internationales ne comportant des dessertes locales qu’à titre accessoire (cabotage).
Cette situation ouvre la voie à de nouvelles logiques d’affrontement dans le domaine des transports ferroviaires.

Le contexte porteur
La libéralisation asymétrique du marché entre l’Allemagne et la France est à l’origine de cette situation. La SNCF par sa filiale keolis Deutschland exploite des liaisons régionales en Allemagne. La société Keolis a  fait une demande supplémentaire de sillons horaires pour 2011 dans le cadre de l’accroissement de ses activités en Allemagne. Le marché français quant à lui reste fermé aux entreprises ferroviaires autres que la SNCF en termes de dessertes régionales. La mise en service d’une ligne à grande vitesse (High speed 1) en Angleterre permet de relier beaucoup plus rapidement Londres et le continent. Un projet de liaison entre Londres, l'aéroport d'Heathrow et la ville de Birmingham devrait voir le jour dans les années à venir. De plus cette ligne pourrait être prolongée vers le nord du Royaume-Uni. La société Arriva détient une concession qui lui permet de faire circuler des trains dans le nord de l’Angleterre ainsi qu’au Pays de Galles.

Les acteurs de la confrontation
Arriva
Opérateur britannique intervenant dans le transport urbain et ferroviaire. L’entreprise est présente dans plus d’une dizaine de pays à l’échelle européenne. Elle emploie près de  40 000 personnes et transporte un million de personnes quotidiennement. Arriva est présente en Allemagne et se positionne comme le 3ème opérateur du marché ferroviaire local sur l’activité de transport de personnes.
Opérateur ferroviaire historique allemand, la DB est considérée comme le premier exploitant ferroviaire en Europe (hors Russie). Elle a réalisé un résultat net de plus de 800 millions d’euros en 2009 en dépit d’un recul important dû à  la crise économique. Elle possède des filiales dans 130 pays à travers le monde.
Opérateur historique du transport par voies ferrées en France. ELa SNCF est présente à l’international principalement par l’entremise de sa filiale Keolis, opérateur de transports urbains, présente dans 11 pays (Allemagne et Royaume-Uni compris). La SNCF a enregistrée une perte sèche de près d’un milliard d’euros au cours de l’année 2009 particulièrement sur son activité de fret.

Stratégies de puissance sur le marché du transport urbain et ferroviaire
La prise de contrôle partielle ou totale de Arriva par la SNCF conduirait à l’émergence d’une des plus grosses entreprises du secteur en Europe. En effet avec un résultat net de l’ordre de 119 millions d’euros, elle garantirait une ouverture plus grande des marchés britannique et allemand. La DB quant à elle détient déjà des participations dans des entreprises exploitant des liaisons en Angleterre notamment sur l’axe Londres – Birmingham. Cependant  elle ne détient aucune part dans la compagnie Eurostar  mais a annoncé sa volonté de mettre en place une liaison depuis l’Allemagne à destination de l’Angleterre. La DB se heurte aux restrictions sur le matériel roulant imposées par les gouvernements britannique et français à  Eurotunnel, gestionnaire du tunnel sous la Manche. Toutefois un essai d’un ICE3 (l’équivalent allemand du TGV) est programmé pour octobre 2010. La DB, un peu plus en retrait dans le transport urbain, se verrait grâce à l’acquisition d’Arriva assoir sa domination sur le marché européen.
Les estimations les moins optimistes de la DB chiffrent à un million le nombre de voyageurs potentiels depuis l’ouest de l’Allemagne à destination de Londres, future ville olympique. Une mise en service courant 2012 pourrait concourir à créer un véritable engouement pour cette liaison.

Angles d’attaque
La Sncf par sa volonté d’accroître sa présence à l’international et de faire de sa filiale Keolis, un rival de poids face à la fusion annoncée entre Veolia et Transdev, perturbe la stratégie de DB. La société allemande considère la SNCF comme son rival historique et par la même occasion l’empêcher de s’implanter d’avantage sur son territoire. Dans cette guerre économique, la DB opte pour une double stratégie  d’attaque : détournée et frontale.

Attaque détournée

L’offre initiale de la SNCF consistait en une fusion de Keolis avec Arriva. Des médias britanniques traitant l’affaire ont mis en avant, études et analyses d’experts financiers à l’appui, que cette opération conduirait à une dilution du capital synonyme de perte de pouvoir des actionnaires de Arriva. La DB entame alors une campagne de communication en vue d’influencer les actionnaires de Arriva par l’annonce d’un possible rachat de l’action à plus de 700 pence alors que le cours de l’action fluctuait au environ de 650 pence. Cette campagne va conduire à la fin des pourparlers entre l’opérateur britannique et la SNCF.

Attaque frontale
En février 2010, la Commission Européenne a adressé à l’attention du gouvernement français, un courrier visant à remettre en question le statut d’EPIC de la SNCF au motif que cette dernière bénéficie d’une garantie financière implicite de l’état français. Quelque temps au paravent, le Président de la DB s’est publiquement indigné de cet état de fait et appelait Bruxelles à se pencher sur la question. Une campagne d’influence est livrée et fait pencher la balance en faveur de la DB. La DB se lance par la suite dans la bataille pour la prise de contrôle de Arriva bien que les négociations entre Arriva et la SNCF soient à un stade avancé. La DB engage alors sur Arriva une OPA amicale dont le montant s’est élevé à près de 3 milliards d’euros. De plus en prévision de toute attaque devant la Commission Européenne, elle s’est engagée à céder les activités de Arriva en Allemagne. Actuellement une nouvelle bataille s’engage entre la SNCF et les entreprises Veolia et Transdev pour le rachat des activités de Arriva en Allemagne.

Eric Brou