Les matières premières minérales stratégiques, bien que nécessaires en très petites quantités, sont indispensables au développement de produits technologiques sophistiqués. Elles s’appellent indium, palladium, gallium ou encore antimoine et se trouvent aujourd’hui partout, du simple téléphone portable, de l’iPad jusque dans nos avions en passant par la voiture électrique. Si les pays occidentaux en sont très friands, ils n’ont en revanche aucun contrôle sur leur approvisionnement.
La plupart de ces métaux sont des sous-produits, extraits de gisements d’où sortent d’autres minerais à titre principal, et nécessitent des procédés de raffinage et traitement métallurgique complexes. La difficulté et le coût élevé de production conduisent souvent à une forte concentration du savoir-faire et des installations nécessaires à ces procédés. Il en résulte que les entreprises exploitantes se trouvent souvent en position de quasi-monopole, quand ce ne sont pas les États miniers eux même.
A l’instar de la crise de 2000 du Tantale dont le cours a été multiplié par dix suite à l’explosion des téléphones portables, l’inélasticité de la production des métaux rares ainsi que leur production très concentrée créent deux goulots d’étranglement critiques susceptibles de mener à de graves crises d’approvisionnement futures.
L’Union Européenne s’est penchée sur cette problématique et a nommé un groupe d’experts chargé de plancher sur la question. Leur rapport a été publié début juin avec des résultats alarmants.
Le développement économique de l’Union Européenne menacé par l’approvisionnement en matières premières critiques.
Le comité d’experts, présidé par la commission européenne, a étudié 41 matières premières minérales indispensables au développement des nouvelles technologies à l’horizon 2030, notamment dans l’amorce du virage éco-responsable de l’Europe.
Parmi les matières premières étudiées, 14 ont été qualifiées de critiques car présentant un risque d’approvisionnement élevé en conjonction avec une importance économique croissante. La production de ces matières critiques est concentrée en un nombre restreint de pays producteurs à savoir la Chine, la Russie, la République Démocratique du Congo et le Brésil.
L’Europe se trouve ainsi dans une situation de dépendance quasi-totale avec une moyenne de 95% d’import de ces 14 matières premières critiques en 2006, et avec un faible taux de recyclage et peu d’options de substituabilité.
L’inquiétude est d’autant plus grande que le rapport projette que la demande de ces matières premières va exploser dans les 20 prochaines années, proportionnellement à l’évolution des nouvelles technologies. Ainsi la demande de gallium pourrait être multipliée par 20 et celle de l’indium par 8 d’ici 2030.
La sonnette d’alarme est donc tirée et bien que le groupe d’experts maintienne un discours politique neutre dans son rapport, l’opposant principal dans cet enjeu économique de demain est clairement identifié. Avec une concentration de production de 10 des matières premières critiques sur 14 et des mesures restrictives quant à leur exploitation et exportation importantes, la Chine est sans conteste leur préoccupation principale.
La stratégie offensive chinoise
Plus que préoccupante, la Chine agace, la Chine dérange. Refusant de jouer le jeu du commerce international, la Chine applique une stratégie commerciale, fiscale et d’investissement destinée à se réserver l’exploitation exclusive de ses ressources avec la mise en place de nombreuses mesures restrictives, telles que les taxes, quotas, subsides et règles d’investissements restrictives. Étant donné leur position dominante de fournisseur, ces restrictions influent sur les prix mondiaux mais faussent également la concurrence mondiale des industries en aval.
Les mesures mises en place par la Chine sont en violation de plusieurs articles du GATT, mais également de plusieurs des engagements qu’elle a pris dans le cadre de son protocole d’adhésion à l’OMC. Des consultations y ont été entamées par l’Union Européenne sur ce point avec la Chine.N’ayant pas abouti, l’Union Européenne s’est adressée à l’organe de règlement des différends de l’organisation.
Les demandes de consultation avec la Chine ont été déposées le 23 juin 2009 à l’OMC. Le 29 mars 2010, la composition du groupe spécial de règlement des différends a été arrêtée par le directeur général, soit 9 mois plus tard. Malgré son importance stratégique, Le dossier n’a pas avancé à ce jour.
En revanche, la Chine a depuis annoncé de nouvelles restrictions drastiques concernant les terres rares, matière première critique dont ils détiennent 97% de la production mondiale. L’exploitation sera désormais centralisée et restreinte à quelques grandes sociétés nationales avec des quotas d’exportation ne dépassant pas les 25% de la production et une interdiction de délivrer toute nouvelle licence d’exploitation. En somme, la Chine installe un monopole total sur une matière première indispensable au niveau mondiale, au vu et su de tous.
Une guerre totale à armes inégales
En sus des discussions entamées à l’OMC, l’Union Européenne étudie des pistes de résolution visant à réduire les risques d’approvisionnement en matières premières. Outre la mise en place de mesures stratégiques pour l’amélioration de l’accès aux ressources primaires, leur recyclage et les recherches pour des produits de substitution qui sont très longues et complexes à mettre en place, les deux grands axes passent par la mise en place de pressions sur la Chine via l’OMC et le développement de coopérations bilatérales avec l’Afrique.
Sauf que la Chine ne se bat pas avec les mêmes armes que l’Union Européenne. Les grands champs de batailles d’hier sont les conflits économiques d’aujourd’hui et la Chine l’a bien compris. Aussi ont-ils déjà investis l’Afrique pour la question des matières premières et se jouent-ils des règles internationales, conscients de leurs faiblesses.
La Chine possède aujourd’hui l’avantage du choix des armes et de l’initiative de l’attaquant. Ils s’inscrivent dans une temporalité différente de la nôtre et frappent efficacement lorsque nous peinons à lever le bouclier pour nous défendre, alourdi par le poids de nos structures peu efficientes.
L’Union Européenne, première puissance mondiale par le PIB, avance une fois encore en ordre dispersé, face à une armée disciplinée et formée aux méthodes de combat de notre siècle. Quand les dirigeants européens prendront-ils le temps de lire Sun-Tzu pour comprendre que la lutte est inégale et qu’il faut changer de stratégie?
Eve Pesesse
La plupart de ces métaux sont des sous-produits, extraits de gisements d’où sortent d’autres minerais à titre principal, et nécessitent des procédés de raffinage et traitement métallurgique complexes. La difficulté et le coût élevé de production conduisent souvent à une forte concentration du savoir-faire et des installations nécessaires à ces procédés. Il en résulte que les entreprises exploitantes se trouvent souvent en position de quasi-monopole, quand ce ne sont pas les États miniers eux même.
A l’instar de la crise de 2000 du Tantale dont le cours a été multiplié par dix suite à l’explosion des téléphones portables, l’inélasticité de la production des métaux rares ainsi que leur production très concentrée créent deux goulots d’étranglement critiques susceptibles de mener à de graves crises d’approvisionnement futures.
L’Union Européenne s’est penchée sur cette problématique et a nommé un groupe d’experts chargé de plancher sur la question. Leur rapport a été publié début juin avec des résultats alarmants.
Le développement économique de l’Union Européenne menacé par l’approvisionnement en matières premières critiques.
Le comité d’experts, présidé par la commission européenne, a étudié 41 matières premières minérales indispensables au développement des nouvelles technologies à l’horizon 2030, notamment dans l’amorce du virage éco-responsable de l’Europe.
Parmi les matières premières étudiées, 14 ont été qualifiées de critiques car présentant un risque d’approvisionnement élevé en conjonction avec une importance économique croissante. La production de ces matières critiques est concentrée en un nombre restreint de pays producteurs à savoir la Chine, la Russie, la République Démocratique du Congo et le Brésil.
L’Europe se trouve ainsi dans une situation de dépendance quasi-totale avec une moyenne de 95% d’import de ces 14 matières premières critiques en 2006, et avec un faible taux de recyclage et peu d’options de substituabilité.
L’inquiétude est d’autant plus grande que le rapport projette que la demande de ces matières premières va exploser dans les 20 prochaines années, proportionnellement à l’évolution des nouvelles technologies. Ainsi la demande de gallium pourrait être multipliée par 20 et celle de l’indium par 8 d’ici 2030.
La sonnette d’alarme est donc tirée et bien que le groupe d’experts maintienne un discours politique neutre dans son rapport, l’opposant principal dans cet enjeu économique de demain est clairement identifié. Avec une concentration de production de 10 des matières premières critiques sur 14 et des mesures restrictives quant à leur exploitation et exportation importantes, la Chine est sans conteste leur préoccupation principale.
La stratégie offensive chinoise
Plus que préoccupante, la Chine agace, la Chine dérange. Refusant de jouer le jeu du commerce international, la Chine applique une stratégie commerciale, fiscale et d’investissement destinée à se réserver l’exploitation exclusive de ses ressources avec la mise en place de nombreuses mesures restrictives, telles que les taxes, quotas, subsides et règles d’investissements restrictives. Étant donné leur position dominante de fournisseur, ces restrictions influent sur les prix mondiaux mais faussent également la concurrence mondiale des industries en aval.
Les mesures mises en place par la Chine sont en violation de plusieurs articles du GATT, mais également de plusieurs des engagements qu’elle a pris dans le cadre de son protocole d’adhésion à l’OMC. Des consultations y ont été entamées par l’Union Européenne sur ce point avec la Chine.N’ayant pas abouti, l’Union Européenne s’est adressée à l’organe de règlement des différends de l’organisation.
Les demandes de consultation avec la Chine ont été déposées le 23 juin 2009 à l’OMC. Le 29 mars 2010, la composition du groupe spécial de règlement des différends a été arrêtée par le directeur général, soit 9 mois plus tard. Malgré son importance stratégique, Le dossier n’a pas avancé à ce jour.
En revanche, la Chine a depuis annoncé de nouvelles restrictions drastiques concernant les terres rares, matière première critique dont ils détiennent 97% de la production mondiale. L’exploitation sera désormais centralisée et restreinte à quelques grandes sociétés nationales avec des quotas d’exportation ne dépassant pas les 25% de la production et une interdiction de délivrer toute nouvelle licence d’exploitation. En somme, la Chine installe un monopole total sur une matière première indispensable au niveau mondiale, au vu et su de tous.
Une guerre totale à armes inégales
En sus des discussions entamées à l’OMC, l’Union Européenne étudie des pistes de résolution visant à réduire les risques d’approvisionnement en matières premières. Outre la mise en place de mesures stratégiques pour l’amélioration de l’accès aux ressources primaires, leur recyclage et les recherches pour des produits de substitution qui sont très longues et complexes à mettre en place, les deux grands axes passent par la mise en place de pressions sur la Chine via l’OMC et le développement de coopérations bilatérales avec l’Afrique.
Sauf que la Chine ne se bat pas avec les mêmes armes que l’Union Européenne. Les grands champs de batailles d’hier sont les conflits économiques d’aujourd’hui et la Chine l’a bien compris. Aussi ont-ils déjà investis l’Afrique pour la question des matières premières et se jouent-ils des règles internationales, conscients de leurs faiblesses.
La Chine possède aujourd’hui l’avantage du choix des armes et de l’initiative de l’attaquant. Ils s’inscrivent dans une temporalité différente de la nôtre et frappent efficacement lorsque nous peinons à lever le bouclier pour nous défendre, alourdi par le poids de nos structures peu efficientes.
L’Union Européenne, première puissance mondiale par le PIB, avance une fois encore en ordre dispersé, face à une armée disciplinée et formée aux méthodes de combat de notre siècle. Quand les dirigeants européens prendront-ils le temps de lire Sun-Tzu pour comprendre que la lutte est inégale et qu’il faut changer de stratégie?
Eve Pesesse