Polémique en terrain miné, Greenpeace et Areva au Niger

Dans un rapport publié le 26 Novembre 2009 sur le site Internet de Greenpeace International, le groupe nucléaire français Areva est accusé de mettre en danger la population des villes minières d’Arlit et d’Akokan. Les habitants seraient exposés, selon l’ONG, à des taux de radioactivité excédant les normes en vigueur. Areva avait pourtant anticipé la menace et joué la carte de la transparence en invitant Greenpeace à visiter les sites miniers et à effectuer librement des mesures et des prélèvements. C’est suite à cette visite et donc malgré la volonté de coopérer d’Areva que l’entreprise française s’est retrouvée prise pour cible dans une polémique visant à dénoncer l’irradiation délibérée des populations nigériennes. Sans entrer dans une bataille d’experts concernant la dangerosité des chiffres avancés, il est toutefois intéressant d’étudier la mécanique qui a permis à Greenpeace de déclencher son offensive polémique. Une analyse de la chronologie, des acteurs en présence et de la médiatisation de l’affaire peut en effet laisser penser qu’au-delà des bonnes intentions apparentes de l’ONG, se dissimule en arrière-plan une stratégie élaborée de déstabilisation informationnelle.
La chronologie fournie par Greenpeace dans son rapport et la réponse d’Areva-Niger permettent de comprendre les sources de la polémique et de dresser une cartographie des acteurs menant l’offensive. En effet si Greenpeace est un intervenant bien connu dont le cœur de métier repose sur les campagnes « climat-énergie » (23 millions d’euros dépensés en 2008, un quart des dépenses engagées), d’autres acteurs disposant d’une notoriété plus faible sont intervenus en amont. Début 2003, la question de la dispersion de la radioactivité dans les deux villes minières d’Arlit et d’Akokan est soulevée par deux organisations : la CRIIRAD et Aghir’in Man.

  • La CRIIRAD : Commission de Recherche et d’Information Indépendante sur la Radioactivité est une association loi 1901 créée en 1986 suite à l’accident de Tchernobyl. Présentée par Greenpeace dans son rapport comme un « laboratoire indépendant », il faut rappeler que sa fondatrice, Michèle Rivasi, a été présidente de Greenpeace France (09/2003 – 11/2004), élue depuis député européen d’Europe Ecologie (2009). Les études du laboratoire sont d’autre part la source principale du réseau « Sortir du Nucléaire ». L’objectivité étant le critère primordial de validité de toute démarche scientifique, une telle partialité pose problème et pourrait jeter un certain discrédit sur l’indépendance et donc la qualité de l’étude qui a pu être menée.

  • Aghir’in Man (Le bouclier de l’âme), est une ONG nigérienne créée le 7 janvier 2001 par Almoustapha Alhacen, salarié de la Cominak depuis 1978 (filiale d’Areva). Le registre de cette ONG n’est pas scientifique mais symbolique. Elle cherche à frapper l’imaginaire en utilisant l’image et le parcours d’Almoustapha Alhacen qui se présente comme l’idéal presque biblique du résistant sorti du désert, dénonçant les mensonges d’une multinationale opaque. (Le touareg qui défie Areva, Spiegel 2 avril 2010).


En 2007 la CRIIRAD documente ses relevés de radiation, Areva accepte de prendre en compte l’étude et collabore avec l’association et des ONG locales afin de décontaminer, en 2008, les sites incriminés. En septembre 2009, Areva confirme à la CRIIRAD que le nettoyage a été effectué. C'est dans ce contexte que Greenpeace effectue une mission au Niger du 1er au 9 novembre 2009, à l'invitation d'Areva.
La visite de Greenpeace est préparée à nouveau par la CRIIRAD et un nouvel acteur : ROTAB Niger, le Réseau des Organisations pour la Transparence et l'Analyse Budgétaire qui appartient au réseau Publish What You Pay, lui-même financé par de grandes ONG catholiques anglo-saxonnes (CAFOD, Christian Aid, Oxfam Novib etc.). On peut s’interroger sur la pertinence de la présence d’une telle ONG dans une mission de mesure de la radioactivité. Cependant à la lecture du site internet de ROTAB, il peut paraitre curieux que près de la moitié des « news » publiées sur le site visent directement l’exploitation des mines d’uranium par Areva. Les réelles motivations de l’ONG sont peut-être à chercher dans le titre de leur dernière publication (bulletin du 19 mars 2010) : « Le ROTAB exige la mise en place d’une commission d’enquête et la renégociation des contrats » avec pour sous-titre : « La responsabilité d’Areva dans la souffrance des Nigériens ».
Cette mise en perspective des acteurs permet d’observer que Greenpeace n’est intervenu qu’après un long travail de sape effectué par d’autres ONG mais dont la visibilité internationale était relativement faible. Profitant de la stratégie de transparence et de coopération d’Areva sur le sujet (partenariat gagnant-gagnant), Greenpeace a saisi l’opportunité d’être le porte-voix de cette déstabilisation, catalysant plusieurs conflits de niveau local pour leur donner une audience mondiale. La finalité de l’opération n’est plus tant la décontamination des sites incriminés mais la remise en question de l’exploitation des mines d’uranium par Areva. La polémique, cantonnée au Niger pendant quatre mois n’est survenue en France que le 28 mars 2010 suite à un communiqué de Greenpeace repris presque textuellement par les agences de presse. Il tombait à point nommé, de nombreuses ONG s’étant élevées, suite au putsch survenu au Niger (18/02/2010), pour demander une renégociation des contrats miniers signés par Areva en 2008. En Europe le navire amiral de Greenpeace, l’Esperanza, croisait quant à lui entre le Havre et Cherbourg pour tenter d’empêcher le départ des convois d’uranium vers la Russie. Cette accumulation pourrait paraitre troublante, mais ne dit-on pas que plus on prête attention aux coïncidences, plus elles se produisent ? (Nabokov : L’Enchanteur).

Sources :

Le briefing de Greenpeace :
http://www.greenpeace.org/international/press/reports/briefing-radioactivity-in-ak
Aghir In’Man :
http://www.cooperation.net/aghirinman
Article du Spiegel :
http://www.spiegel.de/international/world/0,1518,686774,00.html
La justification d’Areva dans le journal nigérien Le Sahel :
http://nigerdiaspora.info/journaux/sahel-23-12-09.pdf
ROTAB :
http://www.rotabniger.org/rotab2/index.php
Le communiqué de Greenpeace repris par les médias:
http://www.rfi.fr/contenu/20100329-greenpeace-accuse-areva-mettre-populations-danger-niger
La réponse d’Areva :
http://www.areva.com/FR/actualites-8313/niger-areva-deplore-le-manque-de-transparence-de-greenpeace.html