La contrefaçon n’est pas un phénomène nouveau. Elle touche un nombre croissant de produits français, européens et occidentaux. Les produits contrefaits sont aussi divers que les vêtements, les parfums, les médicaments, les montres, les jouets et même les couteaux artisanaux. Les contrefacteurs s’attaquent aujourd’hui aux produits du terroir (foie gras, vins, sel de Guérande). Les principaux contrefacteurs s’avèrent être la Chine et les pays d’Asie. Le constat est sévère : les PME françaises ne sont pas préparées à cette nouvelle forme de compétition économique.
Les producteurs indépendants sont très vulnérables d’autant plus qu’une partie d’entre eux revendiquent un comportement solidaire à l’égard de leurs interlocuteurs extérieurs. Ils communiquent leur savoir faire et ne se préoccupent guère de la manière dont leurs interlocuteurs étrangers l’utilisent par la suite. Si certaines PME protègent leur innovation et leurs secrets de fabrique, d’autres adoptent un comportement opportuniste en se projetant en Asie dans des recherches de profit à court terme sans mesurer les pertes à moyen et long terme. Les entrepreneurs qui choisissent cette voie s’étonnent ensuite d’être copiés, contrefaits et sortis du marché local.
Ecole de Guerre Economique à Paris de mener une enquête approfondie sur deux dossiers types (le sel de Guérande et le foie gras).
Dans le premier cas, des délégations sud-coréennes sont venues plusieurs fois visiter les paludiers de Guérande ainsi que la coopérative. La relance du sel coréen est à l’origine de démarche de collecte systématique d’information. Aujourd’hui, l’exportation su sel de Guérande dans la zone Asie est menacée de plusieurs manières : mesures protectionnistes (norme sur l’importation du sel), polémique sur la composition du sel et risque sanitaire, dénigrement de la qualité.
Dans le second cas, c’est le foie gras qui est visé. Les trois plus grosses entreprises françaises de foie gras se sont lancées à la conquête du marché chinois sans bien mesurer les risques qu’elle prenait en déployant en Chine une partie de leur savoir faire. Le foie gras chinois commence aujourd’hui à être exporté sur tous les continents. Une partie est contrefaite. Le nom de marques françaises très connues est reproduit intégralement sur les étiquettes ou avec le changement d’une lettre.
La défense des terroirs est un combat qui n’a rien de symbolique. Il représente un enjeu vital par rapport à notre culture, à nos racines et à notre art de vivre. La demande du marché mondial représente une opportunité mais aussi un risque majeur. Les Chinois et les Japonais se sont, par exemple, fortement intéressés à des produits locaux du pays basque français. L’offre locale ne pouvait pas satisfaire la demande asiatique. Cette opportunité a créé un problème complexe à résoudre pour l’économie locale : risque de hausse des prix des produits, possibilité de délocalisation de leur fabrication avec une atteinte très forte à l’image originelle du terroir, contrefaçon éventuelle des labels d’origine. Ce cas n’est pas isolé.
Pour analyser et trouver les parades à ces nouvelles formes d’agression économique, il est important de resituer le débat des idées dans le domaine de la stratégie et de la définition des rapports de force. Contrairement à ce qu’a écrit l’expert en stratégie militaire, Hervé Couteau Bégarie (2030, la fin de la mondialisation, éditions Tempora, 2009), nous assistons depuis la fin de la guerre froide à l’émergence d’une nouvelle mondialisation qui est une juxtaposition de systèmes convergents et divergents.
Le marché mondial est devenue une mosaïque d’économies de marchés plus ou moins organisées et chaotiques. La crise actuelle en montre à la fois les paradoxes (sous évaluation de la monnaie chinoise et endettement abyssal de la première puissance mondiale) et la capacité de survie et de développement des entreprises er des marchés financiers qui s’affranchissent des tentatives de réglementation des Etats. A côté de ce marché mondial surgit un échiquier multipolaire alimenté par les politiques de puissance des nouveaux entrants comme la Chine, la Russie et l’Inde. Sur cet échiquier, les nouvelles formes de protectionnisme, la renaissance des champions nationaux et les impératifs de survie et de développement des territoires se heurtent aux réalités du marché mondial et interfèrent sur son fonctionnement.
Dans cette superposition d’échiquiers où les économistes classiques ont bien du mal à conserver le monopole du discours sur les stratégies à suivre, la question du patriotisme économique est de nouveau posée. Expression carbonisée par la maladresse théorique d’un Dominique de Villepin, le patriotisme économique est un concept mort-né. Il faut donc en reformuler les tenants et les aboutissants avec un nouveau vocabulaire. La notion de territoire social est une piste à envisager sérieusement. On peut la résumer à l’interrogation suivante : comment faire en sorte qu’un peuple puisse vivre sur un territoire exposé aux contraintes du marché mondial, aux jeux antagoniques multidimensionnels des puissances et au parasitage croissant des économies criminelles ?
La défense du territoire social est le plus petit dénominateur commun de feu le patriotisme économique. Expurgée de ses attributs idéologiques plombés par l’histoire des nationalismes, cette politique implique une vision stratégique des territoires et donc de leurs composants élémentaires dont le terroir en fait partie.
Christian Harbulot