La déstabilisation informationnelle du Président du Guatemala

Avec 17 morts par jour dans la capitale, l’assassinat de Rodrigo Rosenberg, avocat d’affaire guatémaltèque renommé, aurait pu passer inaperçu le 10 mai dernier. Mais Rosenberg avait tout prévu pour que ce ne soit pas le cas.  Présentant qu’on cherchait à l’éliminer, l’avocat a tourné une vidéo quatre jours avant son meurtre, dans laquelle il accuse par avance le Président de la République, le social-démocrate Alvaro Colom, et ses proches : "Si vous voyez ce message, cela voudra dire que moi, Rodrigo Rosenberg Manzano, j'ai été assassiné (…) avec l'approbation du (président) Alvaro Colom et de (son épouse) Sandra de Colom", affirme l'avocat dans sa vidéo.
Ces accusations posthumes ont provoqué « la crise politique la plus grave de l’actuelle démocratie» et ont divisé le pays. D’un côté, 50 000 guatémaltèques ont manifesté pour demander la démission du président Colon. Un groupe d’avocats a également réuni plus de 30 000 signatures, remises au président du Parlement pour  demander la levée de l’immunité présidentielle, afin que le Président Colon puisse être traduit en justice. Face à eux, le chef de l’Etat n’a de cesse de clamer son innocence. Il dénonce une conspiration contre son gouvernement et contre la gauche qu’il incarne, et a même menacé de poursuivre pour sédition ceux qui l’accusent de meurtre. Prés de 30 000 guatémaltèques lui ont manifestés leurs soutiens.
Pour lever le doute, et éviter que les conclusions de l’enquête ne soient remises en cause dans un pays où 98% des crimes ne sont pas résolus, l’impartiale Commission Internationale contre l’Impunité au Guatemala, créée en 2007 par les Nations Unies pour lutter contre les groupes criminels infiltrés dans l’Etat,  s’est emparée du dossier. Pendant huit mois, trois cent personnes venues d’Europe et d’Amérique latine, se sont ainsi mobilisées pour analyser 12 000 appels téléphoniques, des milliers de rapports et de témoignages, faire des perquisitions, etc. En janvier 2010, les conclusions de l’enquête de la CICIG ont surpris: le Président Colom et ses proches n’ont absolument rien à voir dans l’assassinat puisque R. Rosenberg n’a pas été assassiné, il a maquillé son suicide !
L’avocat aurait agit par « désespoir et frustration » d’après le rapport de la CICIG : l’un de ses clients et sa fille avait été tué en mai 2009, pour avoir eu connaissance d’actes de corruption impliquant le Président Colom, selon Rosenberg. Désespéré et ne trouvant aucune preuve de ces accusations, il a donc orchestré sa propre mort, afin de mettre en cause le président et de soulever un élan national contre la corruption et l’impunité au Guatemala. « Ils [le gouvernement] ont laissé une fois encore, ce lâche assassinat impuni; comme c’est le cas pour tous les assassinats, vols et violences qui font vivre au Guatemala ses pires moments. (…) Maintenant s’en est assez, débarrassons notre pays des voleurs, des assassins et des narcotrafiquants et (…) mettons-les en prison.» déclare Rosenberg dans sa vidéo.
Cette macabre opération de désinformation a réussi. Un sondage effectué le mois dernier révèle que la moitié des guatémaltèques estiment que la situation du pays a empiré depuis l’arrivée au pouvoir du Président Colom, il y a deux ans. Depuis « l’histoire Rosenberg », le scepticisme et le désamour de la population pour son Président est également palpable sur les blogs et sur les commentaires laissés par les lecteurs sur les sites de presse.

Mathilde Maurin

Sources :
Prensa Libre du 13 mai 2009, http://www.prensalibre.com/pl/2009/mayo/13/opinion.html
http://cicig.org/index.php?page=conferencia-prensa-caso-Rosenberg