Boeing, héros moderne du « Homeland Security », ou hors-la-loi ?

Le 29 février 2008, une joint-venture regroupant EADS et Northrop Grumman remporte l’appel d’offre portant sur le renouvellement de la flotte de 179 avions ravitailleurs de l’US Air Force. Le 18 juin 2008, la Cour des comptes américaine (GAO) donne raison à la demande de Boeing de réinitialiser le processus d’appel d’offre au motif d’un « nombre d’erreurs significatif commis par l’armée de l’air ». Cette manœuvre surprenante de Boeing n’aurait pu se concrétiser si la firme n’avait disposé de solides appuis politiques, et parmi eux du congrès américain, et notamment de John Mc Cain, le candidat républicain à la présidentielle américaine de 2008.
Dépassant les seules considérations techniques et opérationnelles, le débat s’est rapidement orienté vers la scène politique. Républicains et démocrates confondus ont sans vergogne dénoncé les conséquences néfastes pour l’emploi américain du choix d’un ravitailleur européen. Faisant feu de tout bois sur les difficultés rencontrées par l’A380 et l’A400M, et allant même jusqu’à faire de la faible participation en troupes françaises et allemandes sur le théâtre afghan un argument susceptible de peser sur le choix final, le Congrès, par son intervention, a une fois de plus fait la démonstration que sur certains secteurs stratégiques, le libéralisme économique n’est plus une règle d’or.
Cette levée de boucliers protectionniste ne constitue cependant pas une stratégie imparable de la part de Boeing. En effet, l’avantage obtenu par le numéro un américain de l’aviation en jouant cette carte politique peut s’avérer moins solide qu’il n’en a l’air. Déplacer le débat sur la sphère politique et sur la thématique de la préférence nationale place Boeing dans une position difficilement défendable, dans la mesure où une attaque informationnelle qui mettrait en exergue les contradictions entre l’image que la firme souhaite véhiculer et la réalité de son comportement, pourrait faire se retourner la stratégie de Boeing contre elle-même.
Dans ce débat, Boeing endosse volontiers le rôle d’une « entreprise patriotique », fer de lance des industriels du « Homeland Security », servant avant toute chose les intérêts de la nation américaine, à l’inverse des considérations propres à une entreprise européenne « très largement subventionnée ». Cependant, il peut sembler judicieux de souligner que Boeing est également une entreprise qui par trois fois a été condamnée pour avoir enfreint les réglementations relatives aux exportations d’armement en vendant des technologies missilières, des machines outils ou encore des puces gyroscopiques, employées dans les hélicoptères et les missiles, à la Russie et à la Chine, défiant ainsi l’embargo. Une attitude somme toute paradoxale de la part du leader américain du complexe militaro-industriel, d’autant plus que la firme ne semble pas infléchir son comportement. En effet, celle-ci a également été condamnée en 2004 pour avoir violé l’amendement Berry concernant la préférence nationale dans le choix de ses fournisseurs, en achetant à la Russie le titane nécessaire à la construction de ses appareils.
Si les appuis politiques de Boeing s’échinent à exposer les retards dans les programmes d’aviation d’EADS sous les feux des projecteurs, il serait bon de rappeler que le constructeur américain s’est distingué ces dernières années par des fraudes et négligences majeures concernant la maintenance d’appareils vendus à l’US Army et à l’Air Force, mettant dans certains cas la vie de soldats américains en danger. Pour ces fautes graves, Boeing a été condamné à quatre reprises en 2000(US$ 54 millions), 2007(US$ 1 million), en août puis en novembre 2009 (US$ 2 millions et US$ 25 millions). Payer des amendes à répétition suffit-il à Boeing pour se racheter de ces pratiques ? Puisque le débat a glissé vers la sphère politique, ce ne seront pas seulement aux responsables militaires, mais également aux contribuables et électeurs américains d’en juger.

Gwendal Delcros