Kaliningrad est la capitale la plus à l'est des territoires Russes, l'une des 89 régions ou "oblast" de Russie qui a la particularité d'être séparée de sa mère patrie par, au minimum, 3 frontières étrangères, ou une mer (qui reste gelée une partie de l’année).
L'actuel territoire de Kaliningrad (anciennement Königsberg) fut le berceau du peuple prussien. le premier peuple germain à réaliser l'empire Allemand au XVIIiem siècle. Il fut donné à la l'URSS à l'occasion de la conférence de Postdam en juillet 45, lors de la chute du IIIe Reich. Après une dé-germanisation menée parallèlement à une russification systématique mise en œuvre par les soviétiques, ce qui restait de la Prusse orientale est devenue un territoire Soviétique à part entière puis Russe lorsque ses voisins : la Lituanie et la Pologne se sont émancipés. Cette nouvelle géopolitique rendit évidente cette étrangeté territoriale que les géographes pointilleux qualifient d'exclave et qui n'est pas sans évoquer le corridor de Dantzig.
Aujourd’hui, l'oblast de Kaliningrad est une région très intéressante à étudier car c'est un théâtre révélateur des stratégies de puissance des pays environnants.
La question traditionnelle : comment en est on arrivé là ? devient alors : Pourquoi en est on arrivé là ? Et plus précisément : Qu'est ce que nous apprend la situation de Kaliningrad sur les différentes stratégies de puissance des principaux acteurs dans cette région ? La Russie et l'Union Européenne, mais aussi la Pologne et la Lituanie sont les principaux acteurs de cet affrontement et l’on peut comprendre leurs postures en termes de puissance au travers de leurs rapports avec cette région.
Kaliningrad est née allemande et n'est devenue russe qu'au terme de la deuxième guerre mondiale. Outre le démantèlement du Reich Allemand, la décision d'attribuer cette région à l'URSS offrait à celle ci un port à l'ouest : le port de Baltiisk. Au contraire de Saint Petersburg, ce port ne gèle jamais et peut donc rester en activité tout l'hiver. Ce port de Baltiisk était donc essentiel pour la politique de dissuasion nucléaire menée à l'encontre de l'ouest pendant la guerre froide et demeure important aux yeux de la Russie qui voient leurs anciens alliés se détourner d'elle pour se rapprocher de l'OTAN et de l'UE.
Ainsi la base sous marine, la taille importante de la flotte militaire, les restrictions journalistiques, la présence de la onzième armée, ou encore l'incertitude entretenue sur l'existence d'un arsenal nucléaire, sont autant de signes évidents de l'importance stratégique accordée par la Russie, à ce poste avancé. Pour la russie, c'est un rempart en cas d'agression autant qu'un point de contrôle stratégique de la mer Baltique et au-delà de l'océan Atlantique. Bien que les effectifs militaires sur place diminuent régulièrement (les dernières estimations font état de 60 mille aujourd'hui hommes alors qu'ils étaient 200 mille en 1994), certaines décisions russes continuent d'aller dans ce sens.
Ce qui nous amène directement au conflit avec les Etats Unis sur la question de leur « bouclier » anti-missile. Ce bouclier donne à la Russie l’impression d’être visée et place en conséquence la Pologne dans une situation très inconfortable. En effet, la Pologne a accepté d'héberger sur son sol les missiles antimissiles américains qui composent ce bouclier. Les Polonais se sont retrouvés directement visés par les missiles Russes. Le président Medvedev avait récemment surenchéri en prévoyant d'installer des missiles de moyenne porté de type Iskander. Ce débat s'est récemment apaisé avec le renoncement du président Obama à ce projet néanmoins la Russie a eu l’occasion de montrer qu'elle se relève peu à peu de l'écroulement du communisme et cherche à réaffirmer sa puissance militaire déchue.
Dans le domaine économique, de nombreux observateurs prédirent l'avènement d'un grand centre d'affaire « à la Hongkongaise », mais la région n'a pas vu affluer les investissements étrangers prévus et ce, malgré des régimes fiscaux avantageux. La zone fut de 90 à 95 une Zone Économique Franche et est devenue depuis une Zone Économique Spéciale. Ce qui représente des avantages encore plus évidents. En dépit de cela, l'instabilité du statut de cette zone a nuit à son attractivité. Il en résulte que son développement ne décolle pas. Par ailleurs, l'économie de l’exclave s'est tant militarisée que la région, extrêmement polluée, a un besoin vital des importations étrangères pour son approvisionnement en nourriture ou en énergie. Kaliningrad est ainsi l'oblast le plus pauvre de Russie et contraste nettement avec ses voisins Européens puisque en moyenne les Polonais gagnent deux fois plus que leurs voisins Russes. Lors de l'accession de Vladimir Poutine (dont la femme vient de Kaliningrad) au pouvoir en 2000, la région est devenue une région pilote des bonnes relations UE/Russie. Son bon développement est donc un enjeu essentiel pour la stabilité de la région.
L'Union Européenne pour sa part, ne peut pas mettre en œuvre les mêmes leviers de développement de sa puissance autour de Kaliningrad car sa vocation purement économique ne lui en donne pas le droit. Son intervention fut donc limitée à la question du transit entre la Russie et son exclave. Avec l'adhésion de la Lituanie à l'espace Shengen, il est devenu impossible pour les citoyens russes de la traverser sans visa. Possibilité que l'avenement du marché commun a du abrogé au risque de créer des failles dans ses frontières.
Face aux revendications russes de complètement supprimer le besoin de Visa pour traverser l'espace Shengen, un compromis fut trouvé en 2003 pour faciliter les transits réguliers. Le problème est d'autant plus épineux qu'étant complètement dépendant des approvisionnements étrangers, l'oblast doit payer un surcout lié soit aux douanes soit aux taux de change.
Un autre facteur qui gêne l'Europe dans l'établissement d'une position diplomatique unique est la dualité de certains de ses membres qui ne se positionnent pas de la même façon suivant la scène sur laquelle ils sont.
La Pologne par exemple est, et on l'a évoqué avec la question du bouclier, encore très craintive face à la Russie. Il y a des raisons historiques à cette méfiance : la Pologne, longtemps occupée est parmi les pays qui ont eu à travers l'histoire, le plus à lutter pour affirmer leur existence et c'est le précédent de Dantzig qui lui fait refuser un projet d'autoroute reliant directement l'oblast à la Biélorussie. Paradoxalement cette dernière cherche à s'affirmer par rapport aux 26 autres membres de l'Union; que se soit en négociant des aides très importantes lors son adhésion ou en repoussant la ratification du traité de Lisbonne qui va diluer son droit de veto dans une majorité. Finalement signé le 10 octobre dernier. De façon inverse, alors que la Russie redevient inquiétante, le président Lituanien en 98 était le seul à ne pas hésiter à ériger Kaliningrad en « Problème International ».
On comprend aisément qu'en étant le fournisseur de 80% de l'énergie consommée dans l'oblast et en accueillant les principaux axes de communication (notamment ferrés), la Lituanie se sente une plus grande liberté de parole que la Pologne qui a appris à se méfier de se voisin. Ce qui par ailleurs ne l'empêche pas de demander, de concert avec cette dernière, la démilitarisation de la région. Enfin, l'Allemagne, peut être du fait du poids de l'histoire, semble avoir abandonné toute velléité vis à vis de l'ancienne Prusse. Tout mouvement dans ce sens pourrait compromettre des relations commerciales avec la Russie puisque le volume des échanges entre ces deux partenaires représentait déjà en 2006 plus de 40 milliards d'euros et il est toujours en augmentation.
Dans le dossier Kaliningrad, la Fédération de Russie cherche à accroitre son influence dans la région ce qui ne peut se faire qu’à travers le développement économique, face à une Pologne sur la défensive, une Lituanie inquiète mais décomplexée et une Union Européenne sans ambition politique mais déterminée à ne pas céder sur la question vitale des communications à travers l'espace Shengen.
Quentin Logereau