Et l’écologie passa à gauche…

  pouvoir prolétarien pour se réfugier dans la promotion de l’écologie, idée issue du monde conservateur, et les manifestations antinucléaires. Quarante ans plus tard, enferrés dans une attitude contestataire pas toujours raisonnée, ils butent sur le réchauffement climatique et ses conséquences déjà visibles. Le nouveau débat interne qui propose de revoir leur position sur le nucléaire touche à un héritage politique profond qui fait leur identité. Retour sur leur basculement idéologique initial.

Brève approche historique

L’écologie politique moderne n’est en effet pas le fruit d’une doctrine unique et claire. Deux sources principales l’ont inspirée : les mouvements anarchistes de la fin du XIXème qui s’effacent en partie avec la Grande Guerre et surtout les réactionnaires antimodernistes. Les catholiques sociaux comme François-René de La Tour du Pin (1834-1924) ou Albert de Mun (1841-1914) sont à l’origine d’une réflexion nouvelle au tournant du siècle précédent. Ils estiment d’une part que la première révolution industrielle participe à détruire la création qui est l’œuvre de Dieu et par ailleurs qu’elle s’oppose à leur conception de l’homme en dénaturant son environnement, les conditions de vie des ouvriers étant alors particulièrement difficiles. Liés aux mouvements contre-révolutionnaires et attachés aux valeurs traditionnelles, ils sont les promoteurs d’idées novatrices qui visent entre autre à protéger le milieu naturel. Peu influents en politique, leur approche sera cependant utilisée pendant la Seconde Guerre dans une certaine mesure par la Révolution Nationale dans son aspiration de retour à la terre « qui ne ment pas ». Ces idées, assimilées au « régime de Vichy », demeurent en filigrane et en sourdine pendant les Trente Glorieuses, toujours défendues par quelques conservateurs indépendants comme le journaliste Bertrand de Jouvenel (1903-1987) ou Henri-Charles Geoffroy (1895-1981), le fondateur de la Vie Claire.

A l’opposé, les partis de gauche français de la fin du XIXème sont très influencés par les doctrines progressistes et l’héritage des Lumières. Ils défendent alors une vision matérialiste souvent associée au positivisme : la connaissance scientifique porte en elle les solutions d’avenir et doit permettre d’organiser l’humanité d’une meilleure manière, comme le théorise notamment Ernest Renan (1823-1892). La libération des illusions métaphysiques et théologiques au moyen de l’éducation est alors leur cheval de bataille et se traduit en particulier par la lutte anticléricale virulente des années 1880-1906. Cette approche doit rendre possible une gestion rationnelle de la société et un perfectionnement de l’homme qui dépasse la simple amélioration du confort matériel des ouvriers ou la fin de leur exploitation qui sont la base de leur combat. Le respect de l’environnement est alors non seulement étranger à leurs préoccupations mais jugé rétrograde et assimilé à la culture de la bourgeoisie.

Une inversion née d’une déception

Par la suite, la vision marxiste et ses multiples dérivés deviennent le fondement idéologique des groupes contestataires qui se développent en opposition au régime gaullien dans les années 60. Ils débordent d’ailleurs souvent le PCF dans sa vision révolutionnaire. Schématiquement et sans entrer dans une analyse complexe, leur argumentaire repose en grande partie sur une idéalisation d’un prolétariat exploité, avide et capable de prendre le pouvoir tant dans l’usine que dans les différents rouages de la société voire à la tête de l’Etat.

Ces divers mouvements, sans unité formelle, pensent triompher au cours des émeutes nées dans les universités parisiennes au mois de mai 1968. Derrière un vocabulaire révolutionnaire et quelques slogans de type communiste, les étudiants lancent en fait un mouvement de contestation antiautoritaire et d’émancipation des mœurs. Or le monde ouvrier qui se méfie d’eux ne suit pas cette impulsion initiale en les rejoignant et lutte de son côté pour obtenir une augmentation des salaires et une baisse du temps de travail au moyen de grèves massives. Les fameux accords de Grenelle sanctionnent d’ailleurs la fin des troubles.

Or, si à long terme, Mai 68 marque la fin d’une certaine société « bourgeoise » avec un changement des comportements, une remise en cause des valeurs et un rejet des cadres traditionnels, il est un échec politique immédiat. Les contestataires et leurs meneurs avaient développé une sorte de passion pour l’ouvrier et ont connu une déception profonde quand ce dernier a rejeté leur combat idéaliste au profit de revendications très matérielles. Ils connaissent alors une sorte de « passage à vide ».

Leur désillusion les conduit à chercher de nouveaux combats qui s’éloignent des utopies précédentes : le tiers-mondisme, le féminisme, le régionalisme ou l’écologie deviennent de nouveaux champs qu’ils occupent. Ils développent une réflexion qui remet en cause la société de consommation et veut limiter l’empreinte de l’être humain sur le milieu. Cela explique pourquoi l’écologie politique en France ne se limite pas à la défense de l’environnement mais inclut, au sein de multiples tendances, des thématiques liées au marxisme et à l’opposition au capitalisme, aux luttes pour la reconnaissance des minorités ou l’égalité des droits, la solidarité entre les peuples et le refus des guerres…

Cependant, pour cristalliser un combat, il faut un thème puissant qui rassemble. Or il en est un que l’actualité leur apporte de façon évidente : la lutte anti-nucléaire.

Une cause et un étendard

 Le nucléaire ! Un symbole tout trouvé et pratique. Il permet de s’inscrire dans les slogans antimilitaristes en vogue, d’utiliser pour la propagande l’image forte de l’explosion d’Hiroshima et de s’opposer à la politique de construction de centrales si visibles lancée par le pouvoir. L’ignorance assez répandue de ce qu’est foncièrement le nucléaire autorise toutes les accusations, insinuations de menaces et outrances à son encontre. Les réponses apportées par les autorités sont par nature jugées suspectes et donc rejetées.

Ainsi, les premières manifestations qui s’organisent après Mai 68 ont lieu en 1971 contre les centrales nucléaires de Fessenheim et de Bugey. Elles permettent enfin de donner un objectif à des militants radicaux déboussolés depuis trois ans. En outre, elles offrent une visibilité médiatique légale aux groupes contestataires au moment où d’autres utilisent le terrorisme. L’accentuation du programme nucléaire après le choc pétrolier de 1973 par le gouvernement de Pierre Mesmer nourrit naturellement ce mouvement et l’encourage. La France devient en effet en quelques années la plus forte concentration de réacteurs au monde (58). Les antinucléaires dénoncent sans relâche le risque d’accident et le danger que représentent la gestion des déchets.

Cette mouvance hétéroclite s’incarne en 1974 avec la candidature aux élections présidentielles de l’agronome René Dumont (1904-2001). L’écologie gagne alors véritablement le terrain politique et s’y développe de façon erratique au sein de la gauche.

Ainsi en quelques années un courant de pensée a basculé sur l’échiquier politique. Cette origine permet d’expliquer son positionnement actuel et les thèmes défendus parfois sans lien apparent avec la défense de l’environnement mais issus d’un ensemble de combats contestataires ou libertaires des années 70.

Dominique THIRION

 Sources :

          Bertrand de Jouvenel, Olivier Dard, Perrin 2008 ;

          Le sens du progrès. Une approche historique et philosophique, Pierre-André Taguieff, Flammarion 2004 ;

http://www.academie-francaise.fr;

René Dumont, une vie saisie par l’écologie, Jean-Paul Besset, Stock 1992 ;

Histoire lacunaire de l'opposition à l'énergie nucléaire en France, collectif, éditions La Lenteur, 2007 ;

          Dictionnaire de la science politique et des institutions politiques, collectif, Armand Colin, 6e édition, 2005.