Google et les enjeux de la numérisation

En décembre 2004, Google dévoile un projet ambitieux de bibliothèque numérique. Il propose de numériser à grande échelle les collections de cinq universités partenaires : celle de Harvard, de Stanford, du Michigan aux USA, d’Oxford en Grande Bretagne et de la bibliothèque publique de New York.
Le deal prévoie que chaque bibliothèque dispose d’une version numérique des ouvrages, tandis que Google met en ligne, de son côté, une autre copie. Concernant les éditeurs, Google propose de mettre en ligne des extraits d’ouvrage de façon à en assurer la promotion en vue de leur vente via des services de librairies en ligne.
Or, à y regarder de plus près, il semble bien que les deux volets ne soient que les deux faces d’une même médaille : les fonds des bibliothèques sont dans leur grande majorité encore couverts par le copyright ; la numérisation, nécessairement industrielle à cette échelle, supporte mal les traitements individuels générateurs de surcoûts et donc d’une part, il n’y a qu’un seul programme de numérisation, et, d’autre part, seule une minorité d’ouvrages dans le domaine public sont accessibles en totalité, tous les autres sont présentés sous forme d’extraits de quelques pages correspondant aux mots de la requête.
Quelque mois suivant l’annonce de Google, le président de la Bibliothèque nationale de France de l’époque, Jean-Noël Jeanneney, appelle à riposter par la création d'une bibliothèque numérique européenne, à même de préserver l'identité culturelle et le patrimoine de l'Europe. Deux ans après, la BnF présentait le prototype « Europeana », bibliothèque numérique européenne lancée en novembre 2008 par la Commission européenne.
Depuis, la justice fédérale US et la commission européenne se penchent sur ce problème très sérieux posé par cette position monopolistique de la numérisation. Cependant, 125 millions de dollars ont été  mis sur la table par Google pour créer un Registre des Droits du Livre permettant aux auteurs et éditeurs d’enregistrer leurs œuvres et de percevoir une rémunération sous forme de droit d’auteur. Quant à la France, ou plus exactement à la BNF, elle ferait elle aussi numériser ses livres par Google… gratuitement
Aujourd'hui, la BnF tente de calmer le jeu et tente de minimiser la polémique lancée par son ancien président. Dans un communiqué, Bruno Racine, l'actuel patron de l'Institution donne son point de vue. "Il est tout à fait normal que la Bibliothèque ait des échanges avec des entreprises engagées dans la numérisation telles que Google", affirme-t-il, reprenant d'ailleurs les propos de Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'Etat à l'économie numérique. "Aucune décision n'est prise à ce stade quant à une coopération éventuelle. Les options envisageables font l'objet d'une réflexion commune entre la Bibliothèque nationale de France et le Ministère de la Culture et de la Communication". Et de préciser : "Cette réflexion intègre pleinement la question capitale du respect du droit d'auteur. La BnF n'entend pas entrer dans des polémiques, surtout quand elles prennent un tour personnel". Le message a le mérite d'être clair et confirme la différence de vue entre les deux hommes.
Mais au-delà des questions de copyright et de droits d'auteur, cette décision de justice aura de "profondes conséquences sur notre culture", écrit John Naughton dans le quotidien britannique « The Guardian ». L'enjeu ? "Comment, dorénavant, nous aurons accès aux livres. Une seule entreprise peut-elle avoir la mainmise sur le patrimoine littéraire de l'Humanité ?" interroge le journaliste.
Mais Google semble incontournable sur les problématiques de numérisation d'une telle quantité d'ouvrages. C'est un travail long, coûteux que la firme américaine est prête à faire gracieusement contre le monopole du référencement. Ce monopole est-il, d'un point de vue culturel, dangereux ? "Google a clairement les moyens de rendre accessible tout ce qui a été publié de telle manière que quiconque possédant une connexion Internet pourrait, en principe, et parfois moyennant finances, lire des livres qui, autrement, moisiraient dans les bibliothèques universitaires réservées à l'élite", poursuit John Naughton. "Il y a clairement un bénéfice social à tirer de cela".
Dans la pratique c’est vrai qu’il y a un bénéfice social à tirer de cette situation cependant, deux questions sérieuses se posent : l’argument financier est-il recevable devant l’importance d’un tel enjeu ? Devons nous prendre le risque majeur que Google ait le monopole de la numérisation (surtout celui de notre patrimoine culturel) ?

Sources :
Revue « Regard sur l’actualité »
http://www.lexpansion.com/
http://owni.fr/
http://www.zdnet.fr/
http://laweberaie.blogs.courrierinternational.com