Cet article fait suite à une première analyse post-décision de l’ICANN du 30 Septembre 2009 publiée sur Knowckers : /2009/10/controle-d’internet-par-les-etats-unis-vers-une-nouvelle-donne/
Il a été rédigé avec pour base une interview de Loïc Damilaville, adjoint au directeur général de l’AFNIC (Association Française pour le Nommage Internet en Coopération). L’AFNIC est le centre d'information et de gestion des noms de domaine internet pour le France (.fr) et la Réunion (.re).
A deux mois de la décision d’ouverture de l’ICANN l’encre n’est pas encore sèche et l’on distingue peu de changements en matière de gouvernance d’internet. Soyons clair, les Etats-Unis ne s'en trouvent guère affaiblis, car ils n'ont lâché du lest qu’en apparences. Ils avaient clairement déclaré au sommet Mondial sur la Société de l'Information de Tunis en Juin 2005 être hostile à tout changement de situation et pour l’instant aucun autre pays n’est en voie d’acquérir quelconque contrôle sur l’attribution des noms de domaine.
Pour obtenir un réel pouvoir en Europe il faudrait que l’Union Européenne signe un AoC (Affirmation of Commitments) avec l’ICANN tout comme l’a fait le DoC (Department of Commerce Américain). Si l'UE signait cet AOC, l'ICANN ne pourrait plus se reorganiser serieusement sans son aval et/ou cela donnerait à l'UE le même pouvoir de supervision sur l'ICANN que celui dont dispose le DoC actuellement. L'acte serait probablement plus symbolique qu'autre chose, mais important, en cassant "l'unilateralisme" de la relation DoC - ICANN.
Mais si l’ICANN casse son bilatéralisme avec le DoC pour s’ouvrir à l’Europe elle ne devrai aussi le faire avec d’autre puissances. L’entrée de l’UE entrainerait inéluctablement la Chine dans la brèche mais peut être aussi l’Inde, le Japon, le Brésil, la Russie… En ce sens Viviane Reding, commissaire européenne chargée de la société de l’information et des médias, avait directement proposé la création d’un G12 de la gouvernance d’internet.
Afin de mettre un pied dans le pré carré de l’ICANN une stratégie que l’Europe pourrait adopter serait d'exploiter le plus possible le rôle qu'elle occuper au sein du GAC (Governmental Advisory Committee). Il s’agit du comité consultatif qui prodigue des conseils et formule des recommandations sur les activités de l’ICANN et qui a gagné en puissance avec les réformes du 30 Septembre dernier. Il faut donc s’en servir comme d’un levier stratégique en profitant du fait qu’il s’agit d’une entité bien moins hermétique que peut l’être l’ICANN. Il serait aussi judicieux d’adopter un discours politique et diplomatique affirmant une volonté de devenir cosignataire d’un AoC avec l’ICANN.
Pour Loïc Damilaville, la thèse soulevée dans la partie 1 de cet article, considérant cette ouverture en trompe-l'oeil de l’ICANN comme une stratégie pour mieux garder le contrôle des adresses IP, apparait comme une évidence. Il considère d’ailleurs que la gestion des IP est l’un des enjeux centraux en matière de gouvernance du réseau des réseaux. C'est en 2011 que l'ICANN devra obtenir du DoC le renouvellement de son mandat de gestion de la fonction IANA, qui couvre aussi bien les noms de domaine (Top-level domains) que les adresses IP".
Afin de se prémunir, les Etats-Unis pourraient parfaitement faire sortir l’IANA du giron de l’ICANN et en faire une entité d’état rattaché à un ministère. Ceci leur assurerait un contrôle total et pérenne de l’attribution des adresses IP. De plus cela relativiserait beaucoup le portée de l'AoC, qui étrangement n'évoque pas les adresses IP.
La problématique est d’autant plus critique qu’en 2011, les spécialistes et l’OCDE s’accordent à dire que le protocole IPV4 sera saturé au point de ne plus pouvoir attribuer d’adresses. Bien évidemment le protocole IPV6 est censé être mis en place depuis des années afin de pallier à ce manque. Malheureusement les fournisseurs d’accès à internet et les directions des systèmes d’information des entreprises ont pris énormément de retard sur le déploiement de la technologie IPV6. Mais certaines sociétés ou organismes possèdent, depuis longtemps, d’immenses plages d’adresses IP qu’ils n’utilisent pas. Lorsque cette pénurie, imminente, surgira il faudra avoir le plus possible de contrôle sur une situation qui peut virer à l’inflation avec une spéculation et une monétisation non contrôlée des adresses IP.
Je tenais à remercier Loïc Damilaville pour l’aide précieuse qu’il a apporté à la rédaction de cet article.
Rama Divedi