Le débat sur l’entrée de la Turquie dans l’Union Européenne doit être posé de manière stratégique. Après avoir satisfaisait suffisamment aux critères politiques de Copenhague en 2005, la Turquie peut théoriquement intégrer l'Union dès 2014. Ainsi, ce cadrage effectué par une des participantes au séminaire d’intelligence économique organisé à Dakar par l’Etablissement panafricain d’intelligence économique et stratégique (EPIES), dirigé par M. Diallo, a le mérite de définir les clés d’entrée et de souligner les contradictions de ce sujet complexe et controversé.
DES RAPPORTS DE FORCE PARADOXAUX
LES HESITATIONS DE L’UNION EUROPEENNE
Une pratique embarrassée
Après avoir admis que la Turquie ‘’satisfaisait suffisamment aux critères politiques de Copenhague’’ (03.10.2005), la Commission européenne critiquait en 2007 le ralentissement du processus des réformes turques, en écho à l’inquiétude que suscitent ce grand pays musulman et le risque d’une déferlante islamique.
A titre liminaire, l’opposition marquée par la France semble contredite par le partenariat pour l’adhésion de la Turquie qui a été conclu. sous la présidence française de l’UE.
Des critères conditionnels d’intégration
De la sorte, l’adhésion de la Turquie - théoriquement possible dès 2014 - cristallise les interrogations sur le futur de l’élargissement de l’UE sur les points suivants :
• critère politique : la présence d'institutions stables garantissant la démocratie, le degré d’implication de l’armée dans la gouvernance de l’Etat, la primauté du droit dans la société civile - droits de l’Homme, statut de la Femme, protection des minorités… - , la normalisation des relations avec Chypre ;
• critère économique : l'existence d'une économie de marché viable ainsi que la capacité de faire face à la pression concurrentielle et aux forces du marché à l'intérieur de l'UE ;
• critère de la reprise de l'acquis communautaire : la capacité à assumer les obligations d'un Etat membre et notamment de souscrire aux objectifs de l'Union politique, économique et monétaire.
LA DETERMINATION DE LA TURQUIE
Des raisons géohistoriques
La Turquie souligne son implication dans l’Histoire de l’Europe depuis 400 ans et met en avant que 40% de sa population actuelle a des origines ethniques européennes.
Très tôt, la Turquie a manifesté son souhait d’intégrer l’UE puisqu’elle participé à sa construction à la fois comme membre fondateur de l’Organisation Européenne de Coopération Economique dès 1948 puis d’adhérent au Conseil de l’Europe en 1949. Suite à l’Accord d’Ankara d’association à l’UE en date du 12.09.1963, l’Accord d’Union Douanière du 06.03.1995 faits de la Turquie le seul pays soumis à une telle union. Se considérant donc comme un État européen, ce pays s’est inspiré de l’Occident et s’en est rapprochée en se joignant à des organisations de coopération : l'OTAN (depuis 60ans), l’OCDE, l’OSCE, le Conseil de l’Europe.
Des raisons géopolitiques
Bien que paradoxalement, une faible partie du territoire (3%) se trouve en Europe et sa majeure partie (97%) se situe en Asie, la Turquie, de par sa localisation géographique même - à cheval sur deux continents, au carrefour des axes Russie - Méditerranée et Balkans - Moyen-Orient - , a toujours été un carrefour d'échanges économiques, religieux, culturels (le turc étant la langue officielle écrite en latin)... Elle n’entend pas céder sur la question chypriote qui lui est posée comme une condition impérative à son intégration ni se satisfaire d’un partenariat privilégié et s’offusque du refus qui lui est opposé. Selon Egemen BAGIS, actuel Ministre Turc des Affaires Européennes, ‘’la Turquie est la solution pour 80 % des défis qui se posent à l’UE et cette dernière est la réponse à 80% des défis que doit affronter la Turquie. La Turquie est un pont entre les civilisations, entre l’Europe et l’Asie, le Moyen-Orient et le Caucase’’.
LA PRESSION DYNAMIQUE DES ETATS-UNIS
L’envoi d’un signal fort à un pays musulman
Les USA ont une attitude contradictoire puisqu’ils demeurent alliés des positions israéliennes dans le conflit palestinien.
La recherche du contrôle de l’Union européenne
Dans la proche décennie et à raison des nouveaux alignements monétaires, le dollar pourrait perdre sa place de principale monnaie de réserve au profit de l’Euro, ce que les USA ne sont pas prêts d’accepter.
En redevenant son important allié depuis 2OO5, la Turquie permet aux USA de contrôler :
. les détroits débouchant de la Mer Noire à la Méditerranée et le principal pipeline pétrolier de la Mer Caspienne (de Bakou à Ceyhan) qui permet de réduire la dépendance énergétique de L’AZERBAÏDJAN, du KAZAKHSTAN et du TURKMENISTAN à l’égard de la Russie
. les ressources pétrolières et le marché des hydrocarbures [bataille des gazoducs : projet NABUCCO soutenu par l’Union européenne contre projet de gazoduc russe SOUTH STREAM]
. des tensions liées au problème de l'eau.
Une proximité de terrain de déploiement pour la puissance américaine
L’intérêt géostratégique de la Turquie tient à :
- sa proximité avec le Moyen-Orient, « zone de guerres à outrance » marquée par la participation directe des armées occidentales et dans laquelle se trouvent les plus grands gisements pétroliers et gaziers actuels,
- l’utilisation par l’armée américaine de la gigantesque base militaire turque d’INCIRLIK qui couvre tout le Moyen-Orient dans un rayon d’action de proximité et qui permet l’encerclement de la Russie et la Chine.
LE SILENCE ACTIF DE LA RUSSIE
Une stratégie multipolaire à l’encontre de diverses menaces
Réveils indépendantistes, menaces de ses voisins de l'Ouest, d'Asie mineure, du Japon, de la Chine… , la Russie surveille de près ses portes de sortie, aussi bien le verrou danois pour accéder à l’Océan Atlantique, le verrou japonais pour l'Océan Pacifique et l'Arctique qu’en l’espèce les détroits turcs pour accéder à la Méditerranée.
En ce sens, l’Oléoduc Bakou-Tbilisi-Ceyhan - un des piliers du couloir énergétique Est/Ouest - accueilli par la Turquie- confère à celle-ci une importance géopolitique accrue, conjointement à L’AZERBAÏDJAN et à la GEORGIE, trois pays pro-occidentaux, opposés à l'axe RUSSIE-ARMENIE-IRAN. L'intérêt de cet oléoduc pour les occidentaux est d'accéder au pétrole de la mer Caspienne en contournant la Russie et l'Iran pour atteindre la mer Méditerranée, le golf persique.
Des préoccupations d’influence dans le Caucase
Les enjeux sont énergétiques (gisement de MAÏKOP qui passe à Groznyï en TCHECHENIE) et se posent en termes de revendications nationales (retombées du conflit avec la TCHECHENIE sur les Républiques caucasiennes et Républiques autonomes de la Fédération de Russie). Le Sud Caucase, considéré jadis comme le pré-carré de la Russie, revêt une importance stratégique majeure pour les USA et leurs alliés autant que pour la Russie qui n’accepte pas que d’autres puissances viennent y contrecarrer ses plans tout comme en Asie centrale (pétrole, gaz naturel, eau).
En ce sens, les objectifs russes visent, d’une part, à verrouiller le marché turc pour bloquer le gaz azéri, turkmène et iranien et, d’autre part, à améliorer le développement de ses infrastructures de transport et d’approvisionnement sur son territoire avec la possible aide financière de la CHINE, de L’INDE et du JAPON dont les besoins énergétiques sont croissants.
LES DETERMINANTS STRATEGIQUES
L’UE représente aujourd'hui le troisième ensemble de population après la Chine et l'Inde, son élargissement suscite des interrogations fortes.
GOUVERNANCE POLITIQUE
• La question turque fonctionne comme un révélateur à la fois d’évidentes fractures et/ou d’étranges convergences. Les frontières de l’Europe étant historiquement conventionnelles, et bien que celle-ci bénéficie d’une grande richesse ethno-culturelle, la question de l’élargissement de l’UE est déterminante autant en ce qui concerne l’adhésion de la Turquie que de celle de Chypre.
• Au plan endogène : Ayant grandi rapidement, l’UE n’a pas réussi à obtenir une gestion ‘’satisfaisante et uniforme’’ de ses 27 membres actuels. Cette situation pourrait s’aggraver avec l’adhésion de la Turquie, laquelle - devenant l'une des premières nations de l’UE par sa population et ses députés au Parlement européen - aurait un poids déterminant dans la gouvernance politique de l’UE.
• Au plan exogène : l’élargissement de l’UE est confronté aux intérêts russes.
- La Russie poursuit la construction de son propre espace économique commun en Eurasie tant elle est soucieuse de contrer la pénétration des compagnies et des intérêts occidentaux et américains sur les marchés eurasiatiques, en misant sur ses principaux partenaires commerciaux comme L’UKRAINE et le KAZAKHSTAN et de tenter de recouvrer une zone d’influence. Par ailleurs, elle est tout aussi obligée de maintenir des liens suffisamment étroits avec l’UE pour éventuellement contrer la Chine, dont les intentions stratégiques demeurent incertaines.
- En ce sens, l’UE ne peut être indifférente aux relations russo-turques, tant la Turquie est susceptible de jouer un rôle d’interface modérateur entre l’Europe et l’Asie, surtout dans le contexte de la nouvelle politique de l’UE dans le Caucase. Ainsi, en intégrant la Turquie, l’UE rassurerait ce pays quant à ses angoisses de déstabilisation de ses frontières et, du même coup, en suscitant la transformation de la Turquie en un pays démocratique européen prospère, influencerait la zone du Caucase quant à la propagation des représentations démocratiques.
GOUVERNANCE ECONOMIQUE
• La Turquie présente une économie dynamique et stable, bien intégrée dans l’économie régionale et mondiale ainsi que l’avantage d’être dotée d’une population jeune, formée et active qui pourrait compenser le vieillissement de l’UE. D’un autre côté, les subventions européennes pourraient favoriser une meilleure croissance économique turque et la mise en place d’un gouvernement démocratique, de sorte que, selon la théorie des dominos, elle fournirait un modèle de démocratie économique et politique pour le reste du Proche-Orient.
• D’une part, l’UE dispose de champs pétrolifères en mer du Nord et de quelques lieux de production de gaz naturel mais elle est encore fortement dépendante d’importations, notamment du pétrole brut du Moyen-Orient et d’Iran, du gaz de Russie. D’autre part, la proximité des sources pétrolifères et gazières et son statut de double corridor énergétique (Bakou-Tbilissi-Ceyhan pour le pétrole, Bakou-Tbilissi-Erzurum pour le gaz) positionne la Turquie comme un Centre actif d’intérêt non négligeable.
• Les ressources aquifères souterraines de l’UE destinées à la consommation sont assez abondantes mais très inégalement réparties sur son territoire. Ces ressources sont largement utilisées par l’agriculture et l’industrie ou réservées pour la production hydroélectrique. Dans certaines régions toutefois, quand le détournement et le traitement d’eaux fluviales ne peuvent suffire, il est nécessaire de subvenir aux besoins en eau de consommation par livraison maritime ou par des usines de dessalement d’eau de mer, deux méthodes gourmandes en énergie. De son côté, la Turquie possède un potentiel hydrologique important. En raison de ses réserves d’eau, elle présente beaucoup d’intérêt pour le Moyen-Orient et, à terme, pour l’Europe (projet BLACK SEA INTERCONNECTION de réseau paneuropéen Haut Débit Géant coordonné par le réseau NREN TÜBITAK-ULAKBIM de la TURQUIE connecté aux réseaux régionaux de GEORGIE, D’AZERBAÏDJAN et D’ARMENIE)
GOUVERNANCE SECURITAIRE
L’intégration de la Turquie pourrait :
- d’une part, mettre en évidence que l’UE n’a jamais vraiment abordé le problème de la sécurité de son espace d’un point de vue militaire. Si la puissance militaire turque (une des plus grande armée du monde) est susceptible d’augmenter la puissance diplomatique de l’UE et sa capacité à intervenir dans des opérations internationales, donc d’accroître la sécurité régionale, en tant que membre de l’OTAN, la Turquie est, tout aussi susceptible de renforcer l’alignement militaire sur les USA (à noter toutefois que la Turquie n’a pas suivi les USA sur la question de l’Irak). De la sorte, la Turquie jouerait un rôle décisionnel dans la gouvernance diplomatique de l’UE.
- d’autre part, améliorer les efforts européens de multiculturalisme et contribuer à éviter un clash potentiel de civilisations entre européens chrétiens et musulmans. Elle serait dans la continuité et dans la logique d’élargissement, qui a présidé à l’intégration des pays de l’ancien bloc de l’Est et manifesterait la volonté de stabiliser les flux migratoires, l’ouverture de nouveaux marchés et le maintien de la Turquie hors de la mouvance islamiste.
Nelly Burgaud
DES RAPPORTS DE FORCE PARADOXAUX
LES HESITATIONS DE L’UNION EUROPEENNE
Une pratique embarrassée
Après avoir admis que la Turquie ‘’satisfaisait suffisamment aux critères politiques de Copenhague’’ (03.10.2005), la Commission européenne critiquait en 2007 le ralentissement du processus des réformes turques, en écho à l’inquiétude que suscitent ce grand pays musulman et le risque d’une déferlante islamique.
A titre liminaire, l’opposition marquée par la France semble contredite par le partenariat pour l’adhésion de la Turquie qui a été conclu. sous la présidence française de l’UE.
Des critères conditionnels d’intégration
De la sorte, l’adhésion de la Turquie - théoriquement possible dès 2014 - cristallise les interrogations sur le futur de l’élargissement de l’UE sur les points suivants :
• critère politique : la présence d'institutions stables garantissant la démocratie, le degré d’implication de l’armée dans la gouvernance de l’Etat, la primauté du droit dans la société civile - droits de l’Homme, statut de la Femme, protection des minorités… - , la normalisation des relations avec Chypre ;
• critère économique : l'existence d'une économie de marché viable ainsi que la capacité de faire face à la pression concurrentielle et aux forces du marché à l'intérieur de l'UE ;
• critère de la reprise de l'acquis communautaire : la capacité à assumer les obligations d'un Etat membre et notamment de souscrire aux objectifs de l'Union politique, économique et monétaire.
LA DETERMINATION DE LA TURQUIE
Des raisons géohistoriques
La Turquie souligne son implication dans l’Histoire de l’Europe depuis 400 ans et met en avant que 40% de sa population actuelle a des origines ethniques européennes.
Très tôt, la Turquie a manifesté son souhait d’intégrer l’UE puisqu’elle participé à sa construction à la fois comme membre fondateur de l’Organisation Européenne de Coopération Economique dès 1948 puis d’adhérent au Conseil de l’Europe en 1949. Suite à l’Accord d’Ankara d’association à l’UE en date du 12.09.1963, l’Accord d’Union Douanière du 06.03.1995 faits de la Turquie le seul pays soumis à une telle union. Se considérant donc comme un État européen, ce pays s’est inspiré de l’Occident et s’en est rapprochée en se joignant à des organisations de coopération : l'OTAN (depuis 60ans), l’OCDE, l’OSCE, le Conseil de l’Europe.
Des raisons géopolitiques
Bien que paradoxalement, une faible partie du territoire (3%) se trouve en Europe et sa majeure partie (97%) se situe en Asie, la Turquie, de par sa localisation géographique même - à cheval sur deux continents, au carrefour des axes Russie - Méditerranée et Balkans - Moyen-Orient - , a toujours été un carrefour d'échanges économiques, religieux, culturels (le turc étant la langue officielle écrite en latin)... Elle n’entend pas céder sur la question chypriote qui lui est posée comme une condition impérative à son intégration ni se satisfaire d’un partenariat privilégié et s’offusque du refus qui lui est opposé. Selon Egemen BAGIS, actuel Ministre Turc des Affaires Européennes, ‘’la Turquie est la solution pour 80 % des défis qui se posent à l’UE et cette dernière est la réponse à 80% des défis que doit affronter la Turquie. La Turquie est un pont entre les civilisations, entre l’Europe et l’Asie, le Moyen-Orient et le Caucase’’.
LA PRESSION DYNAMIQUE DES ETATS-UNIS
L’envoi d’un signal fort à un pays musulman
Les USA ont une attitude contradictoire puisqu’ils demeurent alliés des positions israéliennes dans le conflit palestinien.
La recherche du contrôle de l’Union européenne
Dans la proche décennie et à raison des nouveaux alignements monétaires, le dollar pourrait perdre sa place de principale monnaie de réserve au profit de l’Euro, ce que les USA ne sont pas prêts d’accepter.
En redevenant son important allié depuis 2OO5, la Turquie permet aux USA de contrôler :
. les détroits débouchant de la Mer Noire à la Méditerranée et le principal pipeline pétrolier de la Mer Caspienne (de Bakou à Ceyhan) qui permet de réduire la dépendance énergétique de L’AZERBAÏDJAN, du KAZAKHSTAN et du TURKMENISTAN à l’égard de la Russie
. les ressources pétrolières et le marché des hydrocarbures [bataille des gazoducs : projet NABUCCO soutenu par l’Union européenne contre projet de gazoduc russe SOUTH STREAM]
. des tensions liées au problème de l'eau.
Une proximité de terrain de déploiement pour la puissance américaine
L’intérêt géostratégique de la Turquie tient à :
- sa proximité avec le Moyen-Orient, « zone de guerres à outrance » marquée par la participation directe des armées occidentales et dans laquelle se trouvent les plus grands gisements pétroliers et gaziers actuels,
- l’utilisation par l’armée américaine de la gigantesque base militaire turque d’INCIRLIK qui couvre tout le Moyen-Orient dans un rayon d’action de proximité et qui permet l’encerclement de la Russie et la Chine.
LE SILENCE ACTIF DE LA RUSSIE
Une stratégie multipolaire à l’encontre de diverses menaces
Réveils indépendantistes, menaces de ses voisins de l'Ouest, d'Asie mineure, du Japon, de la Chine… , la Russie surveille de près ses portes de sortie, aussi bien le verrou danois pour accéder à l’Océan Atlantique, le verrou japonais pour l'Océan Pacifique et l'Arctique qu’en l’espèce les détroits turcs pour accéder à la Méditerranée.
En ce sens, l’Oléoduc Bakou-Tbilisi-Ceyhan - un des piliers du couloir énergétique Est/Ouest - accueilli par la Turquie- confère à celle-ci une importance géopolitique accrue, conjointement à L’AZERBAÏDJAN et à la GEORGIE, trois pays pro-occidentaux, opposés à l'axe RUSSIE-ARMENIE-IRAN. L'intérêt de cet oléoduc pour les occidentaux est d'accéder au pétrole de la mer Caspienne en contournant la Russie et l'Iran pour atteindre la mer Méditerranée, le golf persique.
Des préoccupations d’influence dans le Caucase
Les enjeux sont énergétiques (gisement de MAÏKOP qui passe à Groznyï en TCHECHENIE) et se posent en termes de revendications nationales (retombées du conflit avec la TCHECHENIE sur les Républiques caucasiennes et Républiques autonomes de la Fédération de Russie). Le Sud Caucase, considéré jadis comme le pré-carré de la Russie, revêt une importance stratégique majeure pour les USA et leurs alliés autant que pour la Russie qui n’accepte pas que d’autres puissances viennent y contrecarrer ses plans tout comme en Asie centrale (pétrole, gaz naturel, eau).
En ce sens, les objectifs russes visent, d’une part, à verrouiller le marché turc pour bloquer le gaz azéri, turkmène et iranien et, d’autre part, à améliorer le développement de ses infrastructures de transport et d’approvisionnement sur son territoire avec la possible aide financière de la CHINE, de L’INDE et du JAPON dont les besoins énergétiques sont croissants.
LES DETERMINANTS STRATEGIQUES
L’UE représente aujourd'hui le troisième ensemble de population après la Chine et l'Inde, son élargissement suscite des interrogations fortes.
GOUVERNANCE POLITIQUE
• La question turque fonctionne comme un révélateur à la fois d’évidentes fractures et/ou d’étranges convergences. Les frontières de l’Europe étant historiquement conventionnelles, et bien que celle-ci bénéficie d’une grande richesse ethno-culturelle, la question de l’élargissement de l’UE est déterminante autant en ce qui concerne l’adhésion de la Turquie que de celle de Chypre.
• Au plan endogène : Ayant grandi rapidement, l’UE n’a pas réussi à obtenir une gestion ‘’satisfaisante et uniforme’’ de ses 27 membres actuels. Cette situation pourrait s’aggraver avec l’adhésion de la Turquie, laquelle - devenant l'une des premières nations de l’UE par sa population et ses députés au Parlement européen - aurait un poids déterminant dans la gouvernance politique de l’UE.
• Au plan exogène : l’élargissement de l’UE est confronté aux intérêts russes.
- La Russie poursuit la construction de son propre espace économique commun en Eurasie tant elle est soucieuse de contrer la pénétration des compagnies et des intérêts occidentaux et américains sur les marchés eurasiatiques, en misant sur ses principaux partenaires commerciaux comme L’UKRAINE et le KAZAKHSTAN et de tenter de recouvrer une zone d’influence. Par ailleurs, elle est tout aussi obligée de maintenir des liens suffisamment étroits avec l’UE pour éventuellement contrer la Chine, dont les intentions stratégiques demeurent incertaines.
- En ce sens, l’UE ne peut être indifférente aux relations russo-turques, tant la Turquie est susceptible de jouer un rôle d’interface modérateur entre l’Europe et l’Asie, surtout dans le contexte de la nouvelle politique de l’UE dans le Caucase. Ainsi, en intégrant la Turquie, l’UE rassurerait ce pays quant à ses angoisses de déstabilisation de ses frontières et, du même coup, en suscitant la transformation de la Turquie en un pays démocratique européen prospère, influencerait la zone du Caucase quant à la propagation des représentations démocratiques.
GOUVERNANCE ECONOMIQUE
• La Turquie présente une économie dynamique et stable, bien intégrée dans l’économie régionale et mondiale ainsi que l’avantage d’être dotée d’une population jeune, formée et active qui pourrait compenser le vieillissement de l’UE. D’un autre côté, les subventions européennes pourraient favoriser une meilleure croissance économique turque et la mise en place d’un gouvernement démocratique, de sorte que, selon la théorie des dominos, elle fournirait un modèle de démocratie économique et politique pour le reste du Proche-Orient.
• D’une part, l’UE dispose de champs pétrolifères en mer du Nord et de quelques lieux de production de gaz naturel mais elle est encore fortement dépendante d’importations, notamment du pétrole brut du Moyen-Orient et d’Iran, du gaz de Russie. D’autre part, la proximité des sources pétrolifères et gazières et son statut de double corridor énergétique (Bakou-Tbilissi-Ceyhan pour le pétrole, Bakou-Tbilissi-Erzurum pour le gaz) positionne la Turquie comme un Centre actif d’intérêt non négligeable.
• Les ressources aquifères souterraines de l’UE destinées à la consommation sont assez abondantes mais très inégalement réparties sur son territoire. Ces ressources sont largement utilisées par l’agriculture et l’industrie ou réservées pour la production hydroélectrique. Dans certaines régions toutefois, quand le détournement et le traitement d’eaux fluviales ne peuvent suffire, il est nécessaire de subvenir aux besoins en eau de consommation par livraison maritime ou par des usines de dessalement d’eau de mer, deux méthodes gourmandes en énergie. De son côté, la Turquie possède un potentiel hydrologique important. En raison de ses réserves d’eau, elle présente beaucoup d’intérêt pour le Moyen-Orient et, à terme, pour l’Europe (projet BLACK SEA INTERCONNECTION de réseau paneuropéen Haut Débit Géant coordonné par le réseau NREN TÜBITAK-ULAKBIM de la TURQUIE connecté aux réseaux régionaux de GEORGIE, D’AZERBAÏDJAN et D’ARMENIE)
GOUVERNANCE SECURITAIRE
L’intégration de la Turquie pourrait :
- d’une part, mettre en évidence que l’UE n’a jamais vraiment abordé le problème de la sécurité de son espace d’un point de vue militaire. Si la puissance militaire turque (une des plus grande armée du monde) est susceptible d’augmenter la puissance diplomatique de l’UE et sa capacité à intervenir dans des opérations internationales, donc d’accroître la sécurité régionale, en tant que membre de l’OTAN, la Turquie est, tout aussi susceptible de renforcer l’alignement militaire sur les USA (à noter toutefois que la Turquie n’a pas suivi les USA sur la question de l’Irak). De la sorte, la Turquie jouerait un rôle décisionnel dans la gouvernance diplomatique de l’UE.
- d’autre part, améliorer les efforts européens de multiculturalisme et contribuer à éviter un clash potentiel de civilisations entre européens chrétiens et musulmans. Elle serait dans la continuité et dans la logique d’élargissement, qui a présidé à l’intégration des pays de l’ancien bloc de l’Est et manifesterait la volonté de stabiliser les flux migratoires, l’ouverture de nouveaux marchés et le maintien de la Turquie hors de la mouvance islamiste.
Nelly Burgaud