Niger : un cas exemplaire de « démocratie de résultats »

Point de vue : Knowckers.org ouvre ses colonnes à des internautes qui prennent position sur des faits géopolitiques.

Les faits et les coïncidences
Arrivé aux commandes du pouvoir depuis 1999, le Colonel Président Mamadou Tandja, 70 ans, devra terminer le 22 décembre 2009 – du moins selon l’ordre Constitutionnel – un second mandat qu’il avait juré être son dernier, la  main sur le Coran, s’engageant aux yeux du peuple nigérien et de la communauté internationale au respect strict de la Loi fondamentale du Niger. Bientôt dix ans après, il réitérait ce serment devant le président Nicolas Sarkozy, notoirement premier Avocat du Patronat français et premier agent commercial de Areva au Niger, venu justement défendre un contrat qui assure 1/3 de la puissance énergétique de la France, avec le vrai sens des affaires comme peut l’être celui d’un homme-orchestre, avocat- politique-business man, et metteur en scène hors pair: le colonel Mamadou Tandja, comme un acteur en répétition, avait déclamé devant Sarkozy : « grandir, c’est partir la tête haute ». Cette scène se jouait le 27 mars à la faveur de la reprise par la renégociation du contrat minier France-Niger, seulement quelques jours après que le président Nicolas Sarkozy ait décrété la mort officielle de la « Françafrique », et regretté que l’Afrique ne soit pas « rentrée dans l’histoire »… A la suite de cet aveu officiel et solennel du président Tandja d’avoir fait le choix de partir par la grande porte de l`histoire, l'Elysée avait renchérit, aussi spontanément que solennellement, toujours par la voix de Nicolas Sarkozy, décomplexé et « result – oriented », que : « la seule période en cinquante ans de démocratie et de stabilité, c'est celle des deux mandats du président Tandja ». C’était le 27 Mars 2009, à la faveur du retour en grâce de Areva au Niger, ou l`objectif opérationnel affiché du Groupe est de triper sa production a l`horizon 20012 …
Moins d’un mois après ces déclarations officielles, la Constitution du Niger fait aujourd’hui l’objet d’un projet que l’opposition qualifie de « putsch », et que les partisans de Tandja nomment patriotisme démocratique, justifiant ce retournement spectaculaire par le « devoir hautement patriotique » de parachever une œuvre dite de construction nationale, chantiers (essentiellement le site d’extraction d’uranium d`Imouraren confié au groupe nucléaire français Areva, la paix, la sécurité sociale …) dont le Colonel Président est jugé seul capable d`assurer la continuité, dans les conditions de « démocratie et de stabilité …) reconnues et saluées par la France.

La démocratie de résultats, ou le patriotisme économique comme alibi
Cette reconnaissance par l`Elysée des progrès réalisés par le Niger (dernier pays au monde par son IDH selon le PNUD) semble servir de caution à une sorte de « démocratie de résultat », qui serait préférable aux incertitudes de l`alternance démocratique, partout ailleurs opérée dans la violence et la paralysie des états Africains. Ainsi donc, le Colonel Tandja insiste et persiste, malgré le verdict de la Cour Constitutionnelle du pays, qui s`est exprimée le 25 mai 2009, a la suite d`une requête introduite par un groupe de députés : «  C`est le peuple qui me réclame, pour continuer ce que j`ai commencé…. » Les Nigériens sont donc convoqués – savamment mobilisés – pour se prononcer le 4 aout par voie référendaire sur un projet de Constitution dont le but déclaré est d`autoriser le Colonel Tandja à briguer un troisième mandat, potentiellement sans aucune élection et ce, nonobstant les multiples condamnations de la communauté internationale, notamment de la CEDEAO (I), des Etats-Unis et du Canada. Quant à la France nouvelle du Président Sarkozy, pourfendeur déclaré de la Françafrique, son silence est perçu par les OCS nigériennes comme hautement approbatrice : « La France est assurément en train de perdre définitivement sa place dans les cœurs des Africains. Mais aussi le respect qu`ils lui témoignaient, malgré les turpitudes néocolonialistes de l`entité Françafrique dont profitent allégrement de  nombreux chefs d`Etat de notre continent et les multinationales qui y sont implantées ».
En réplique immédiate a l`avis défavorable de la Cour Constitutionnelle, le Colonel Président a sorti son joker fatale, mais prévisible ; un décret portant dissolution du Parlement, illico presto, puis création le 3 juin 2009 d`un « Comité technique » dont la mission commando serait la conception et la rédaction de cette nouvelle Constitution, à la mesure du seul homme grâce auquel le Niger doit « la seule période en cinquante ans de démocratie et de stabilité » de son histoire. Il s`en suit aujourd`hui un engrenage dont l`issue reste incertaine, mais dont on peut déjà essayer de comprendre le mécanisme et la logique – ou l`absence de logique, ainsi que les causes et les conséquences possibles de ce refus de l`alternance démocratique pacifique.

Noyer le débat dans le jeu de mots
« Le Président ne touchera pas a la constitution parce qu`il y a la proposition d`une nouvelle Constitution…. On ne l`annule pas, on la remplace. Je crois qu`il y a quand même une certaine nuance. Ce n`est pas un jeu de mots, et puis d`ailleurs, la Constitution en elle-même, c`est un ensemble de mots…. » Ces propos sont de Albadé Abouba, Ministre de l`intérieur, de la Sécurité publique et de la Décentralisation Niamey le 27 mars 2009. Le discours des pro-Tandja tourne souvent à l’absurde, avec comme effet recherché de noyer le débat dans un jeu mot si complexe que le citoyen moyen se trouve complètement hypnotisé par la rhétorique justificative.

Apres une légitimité nationale acquise, conquérir une légitimité internationale :
Autant l`administration Obama tout comme Ottawa n’ont pas caché leur inquiétude face a la situation du Niger et au péril de la démocratie en Afrique, autant le chef de l’Etat Lybien, « le Guide », et président de l’Union Africaine, estime que « Si le peuple juge que le président mérite d'être réélu, il peut le choisir deux, trois ou même dix fois". Mais que vaut la caution politique du Guide de la Révolution Libyenne, sans celle des démocraties occidentales ?

Le capitalisme autarcique n’est pas l’apanage de l’Afrique
Les conflits d`intérêts qui caractérisent la position de certains hommes politiques de la Françafrique (feu Oumar Bongo, Sassou N`Gessou… pris en chasse par la justice française) sont-ils différents de la position de certains hommes d`Etats dans les démocraties occidentales, comme Silvio Berlusconi, à la fois leader d’un parti, entrepreneur, propriétaire de médias ? Mais Tandja n’a pas à rougir sur ce chapitre. L’Afrique a connu pire. Il a même failli susciter l’admiration en affirmant que « Grandir, c`est partir la tête haute » dans un article de RFI publie le 21 juin. Au finish, après plusieurs mois de remous, la campagne électorale se tiendra entre le 29 juillet et le 18 aout. Il renoncerait ainsi à son projet de référendum. Cette nouvelle et sage décision serait-elle un résultat d’une soudaine prise de conscience, d’une prise en compte de la Charte africaine de la démocratie, des électeurs et de la gouvernance qui condamne toute prévision de la constitution portant atteinte aux principes de l`alternance démocratique ? Serait-ce un réalisme face aux hostilités des institutions nationales et internationales, ou plutôt une défection du soutien de la France malgré ses intérêts économiques qui pourraient, de toute façon, être entretenus par un éventuel successeur qui en garantisse la stabilité ?

R D