Afrique : la pire crise n’est ni financière, ni économique

On n’a pas encore fini de décrypter la crise mondiale dans toute sa complexité, mais déjà, on en connaît suffisamment la mécanique globalisante, qui appelle nécessairement, à côté des plans nationaux de relance, des mesures concertées, globales et synchronisées à l’échelle mondiale.

Or, pendant que les tentatives de reprise  mobilisent des initiatives tout azimut au niveau de l’Occident et de l’Europe, une évidence s’impose à l’analyse : l’Afrique est absente du débat, étrangement marginalisée, voire exclue. Au motif qu’ils sont pauvres, tous les pays africains ont été disqualifiés pour participer au dernier sommet du G20 consacré à la crise, à l’exception de l’Afrique du Sud, invitée non pas en qualité de porte-voix de l’Afrique, mais en sa qualité d’ « économie émergeante ». Le message était clair : au banquet des riches et des enrichis, point de couvert pour les pays pauvres –, disons plus exactement les pays « appauvris », car à quelques exceptions près, et c’est une vérité historique indiscutable, la richesse des premiers s’est non seulement construite sur la ruine des derniers, mais elle se maintient aujourd’hui encore grâce à l’exploitation systématique des ressources naturelles de « ces peuples qui ne sont pas encore rentrés dans l’Histoire », selon la formule désormais tristement célèbre du Président Nicolas Sarkozy. D’où l’aberration qu’il ya, dans le discours politique généralement admis à Washington, à l’Elysée, et mimétiquement même à l’Union Africaine,   à qualifier de « pauvres » des pays comme le Niger (dont l’uranium fournirait 1/3 des besoins énergétiques de la France), ou encore la République Démocratique du Congo, soumise à plus d’un demi siècle de pillage par les puissances étrangères, avec la bénédiction des dictatures locales fantoches.

Sur les tribunes internationales, dire aujourd’hui « pays appauvris », et non plus pays pauvres, c’est déjà un minimum d’honnêteté et de courage intellectuel, pour d’abord mettre fin à ce que Aminata TRAORE appelle si justement « le Viol de l’imaginaire », qui reste la pire forme d’aliénation parce que tendant à vouloir faire admettre aux peuples africains, avec la complicité des élites africaines, qu’ils sont éternellement en position de faiblesse et de redevance vis-à-vis de l’Europe et du reste du monde. Restaurer ce minimum de vérité est un préalable à la refondation des relations entre l’Afrique et le reste du monde, sur des bases plus porteuses de justice, et de respect du droit des faibles à l’autodétermination et à dignité.

Quand les riches font leur crise
L’autre vérité est que si les causes du chaos financier et économique sont étrangères à l’Afrique, ses conséquences seront (sont déjà) particulièrement lourdes sur sa croissance qui a chuté à 5,1 pour cent en 2008,  soit un recul net de six pour cent comparativement à 2007, du moins selon le rapport 2009 de la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique. La manifestation la plus perceptible de cet impact est la chute de la demande d’exportation de l’Afrique, des flux d’investissement, des prix des produits de base, des transferts de fonds et, au bout de la chaine, une précarisation générale des populations africaines dont le désespoir a atteint son point d’orgue avec les honteuses émeutes de la faim. Pour paraphraser Sartre, quand les riches font leur guerre(en l’occurrence leur crise), ce sont les ‘’pauvres’’ qui meurent.
L’autre versant de cette crise, moins visible mais encore plus dramatique,  est son  incidence directe sur le portefeuille des investissements socio sanitaires des états africains et par conséquent, sur la santé des populations. Pendant que le Sida, le Paludisme et la tuberculose continuent de faire de ravages dans le monde et particulièrement en Afrique, les donateurs du Fonds mondial contre ces maladies ont déclaré, le 8 novembre dernier, ne plus pouvoir décaisser les 3 milliards de dollars promis dans le cadre de la lutte contre ces pathologies, menaçant du coup tous les progrès réalisées dans ces domaines ces dernières années. Avec cette nouvelle donne financière, ce sont désormais des millions de PVVIH qui n’auront plus accès aux  ARV, et surtout, des millions d’enfants de moins de 5 ans et des femmes enceintes (proie de prédilection du paludisme) qui mourront faute de médicaments et de moustiquaires.

La pire crise est ailleurs
« L’Afrique noire est mal partie », titrait René Dumont déjà en 1962. Au milieu de ce bouleversement mondial, bientôt un demi-siècle après, tout semble indiquer que le pire n’est pas encore derrière nous. Pour autant, les élites africaines en sont encore à quémander puérilement un ticket au prochain G 20 pour faire entendre leur parole, et l’on assiste, sur la scène internationale, à une paralysie générale de la pensée africaine et plus symptomatiquement, à la crise de légitimité des instances dirigeantes du Continent, déconnectés qu’ils sont des aspirations de leurs peuples. Pour les états africains, ce déficit de vision et d’action des élites, leur manque de courage politique et de fibre patriotique ont plus de conséquences que la craque boursière et ses effets sur l’économie, car de toutes les ressources (financières ou naturelles), l’homme est de loin la plus précieuse, et nul ne peut contester que le capital humain est aujourd’hui ce qui fait le plus cruellement défaut aux états africains. Quelques exemples, issus du contexte actuel de crise, suffisent à en convaincre :
Premiers touchés par la crise, les Américains ont massivement pillé leurs contribuables pour sauver ce qui peut l’être, avec un « Plan Paulson » de 700 milliards de dollars, alors qu’on assiste, au même moment, au retour en force des Etats d’Europe dans le capital de leurs entreprises et au cœur du système pour sauver leurs intérêts stratégiques face aux limites avérées du libre marché. En France, on a entendu François Fillon promettre : « nous ne laisserons pas un établissement financier tomber, nous utiliserons tous les moyens qui sont à notre disposition ». Or, depuis plusieurs années, la Banque mondiale et le FMI imposent aux Etats africains de se retirer des secteurs stratégiques et de vendre tout aux multinationales. Aucun Chef d’Etat Africain n’a trouvé à redire face à ce qui apparaît comme de l’arrogance, voire du mépris pour  les populations africaines qui sont les premières à souffrir les conséquences des années d’ajustements structurelles et de bradages des entreprises nationales.
Entamé il ya trois ans, la privatisation d’une entreprise de textile comme la CMDT (qui assurait la survie de plus de 3 000 000 de paysans désormais abandonnés à leur sort) ou celle des  Télécommunications comme la SOTELMA (bradée et livrée à l’appétit vorace des multinationales), continuent son processus normal, sans que le Gouvernement ait le courage de faire entendre raison à la Banque mondiale et au FMI.
En somme, l’injustice du système économique mondial, l’incurie de la classe politique africaine, son déficit de crédibilité et de légitimé sont aussi redoutables que la crise économique. Un simple constat : le destin de l’Union Africaine est aujourd’hui pris en otage d’un côté par un certain Muammar Kadafi, figure ubuesque de la gouvernance en Afrique (reçu à l’Elysée à la pompe en décembre 2007) ;  et  de l’autre par Jean Ping, ex-beau fils d’Oumar BONGO,  avatar de la Françafrique, un système que personne ne définit aussi bien que François-Xavier Verschave, ancien président de l'association Survie : « une nébuleuse d’acteurs économiques, politiques et militaires, en France et en Afrique, organisée en réseaux et lobbies, et polarisé sur l’accaparement de deux rentes : les matières premières et l’Aide publique au développement. La logique de cette ponction est d’interdire l’initiative hors du cercle des initiés. Le système autodégradant se recycle dans la criminalisation. Il est naturellement hostile à la démocratie ». C’est un français qui parle.
Question : l’Afrique peut-elle renégocier  sa place sur l’échiquier international avec une élite qui n’a ni la reconnaissance des Africains, ni celle du reste du monde réellement démocratique?  La réponse est sans ambigüité aucune. Mais quand on est africain ou simplement un citoyen du monde soucieux de justice universelle et de respect des Droits de l’homme, il faut avoir la capacité d’imaginer « Sisyphe heureux » pour continuer à croire encore en la possibilité d’un monde meilleur ; sans que cela ne soit de la naïveté béate.

Sources :
www.verdiverdi.canalblog.com
www.laconscience.com
www.rfi.fr