Les rapports de forces économiques entre le Sénégal et la Gambie

Le Sénégal est indépendant depuis le 4 avril 1960. Il est délimité  au nord par la Mauritanie, au sud par la Guinée-Conakry et la Guinée-Bissau, à l’est par le Mali, à l’ouest par l’océan Atlantique ainsi que  l’enclave de la  Gambie indépendante depuis 1965. Depuis près d’une décennie, la Gambie est créditée d’une croissance annuelle moyenne supérieure à 4%. En 2008, le secteur agricole a représenté 32,7% du PIB et employé 70% de la population. La principale production est  l’arachide, avec une  moyenne annuelle de 90 000 tonnes qui assure 55% des exportations du pays, non compte tenu des réexportations. Les fruits et légumes contribuent, pour environ, un quart des exportations,  alors que le poisson et les conserves de poisson représentent le cinquième.
Pour la même année, le secteur secondaire n’a représenté que 12,5% du PIB. Il devrait cependant profiter de la rénovation de l’aéroport international de Banjul  lancée depuis 2008.
Pour le reste, la grande particularité de l’économie gambienne  est le dynamisme de son secteur tertiaire et plus singulièrement son commerce de transit qui, en 2008, représentait  54,8% du PIB. A cet égard, le  port de Banjul qui joue un rôle essentiel dans le dispositif économique  draine un flux important de  réexportations vers les autres pays de la sous-région, particulièrement  le Sénégal. Ce commerce de réexportation concerne, pour l’essentiel des produits agroalimentaires (Huiles végétales, riz, tomate, thé chinois, etc..). Dans le cas spécifique du Sénégal, les réexportations gambiennes sont surtout favorisées par le contexte géopolitique et la crise casamançaise qui a fini par créer de nombreuses zones d’insécurité  très favorables au  commerce de contrebande.
La configuration géopolitique de la Casamance est très complexe. Son territoire  a la particularité d'être une périphérie largement coupée du reste du Sénégal par la Gambie qui est un important  facteur de discontinuité du territoire national. Cette discontinuité territoriale, chez les séparatistes casamançais, renforce le sentiment d'une différence entre la Casamance et le reste du Sénégal. Aussi,  considèrent-ils le  rattachement au Sénégal comme une aberration ; 90 % des limites de ce territoire étant des frontières internationales. Pour les gambiens, par contre, le sentiment d'encerclement est l’opinion la mieux partagée, d’où l’impérieuse nécessité, pour eux, de trouver sur le territoire national sénégalais des ouvertures et des débouchés, à tout prix, et, par tous les moyens.Sur un autre plan, la circulation des biens et des personnes entre la partie nord et sud du Sénégal est lourdement entravée par le passage obligé du territoire gambien. En effet,  de temps à autres, des difficultés  peuvent survenir et  déboucher sur un blocus à la frontière, dans les deux sens, par le fait des transporteurs sénégalais. C’est le cas,   notamment, à chaque fois que le Gouvernement gambien prend  la décision unilatérale d’augmenter les tarifs de traversée du fleuve Gambie.
L’ancien Premier Ministre Cheikh Hadjibou Soumaré avait qualifié ces difficultés de petites incompréhensions qu’il importe de résoudre par une concertation permanente entre les deux gouvernements. Puisque selon lui  « Le Sénégal et la Gambie constituent un même peuple, avec la même culture, les mêmes langues ». « Le Sénégal ne peut se développer sans la Gambie et la Gambie ne peut se développer sans le Sénégal » déclarait-il, au sortir de sa dernière audience avec le Président gambien.
Au-delà de ce discours politico-diplomatique, la réalité économique du terrain montre que l’évolution des échanges ainsi que la nature des flux commerciaux ne prend pas le chemin d’un  développement mutuellement avantageux. Les Etats,  tout comme les individus d’une même société, ont bien souvent  des intérêts divergents. Aussi le Sénégal, à l’instar des pays qui veulent se développer,  se doit-il  de protéger son territoire et au-delà assurer sa  sécurité économique. Il doit se donner les moyens nécessaires pour intervenir dans les échanges des biens et  services et préserver ainsi les intérêts fondamentaux de la Nation.
En effet, dans cette partie de la région du Sénégal, on assiste à un jeu ambigu fait de complicités et de méfiances. La Gambie surfe sur la grande envie du Sénégal de sécuriser ses frontières et de restaurer la paix, pour se positionner en médiateur de cette paix ; ce que le Sénégal semble accepter, de temps à autre, malgré lui. En même temps et paradoxalement, la Gambie se complait dans cette situation d’insécurité pour le Sénégal qui n’est pas un désavantage pour elle. Ce climat d’insécurité favorise donc la porosité des frontières et permet justement à la Gambie de renforcer son économie en organisant ses échanges commerciaux au mieux  ses intérêts et en s’appuyant notamment sur le Port de Banjul, qui est le moins coûteux et le  plus rapide dans cette partie de la région.
En plus des réexportations, la Gambie profite largement de l’insécurité de cette zone pour mettre la main sur d’autres richesses du Sénégal. On peut citer, entre autres, les fruits, les légumes, le bois et particulièrement, l’anacarde. En 2000, par exemple, 75 % de la production sénégalaise  pour cette filière a été exportée à partir du port de Banjul. La production record de 35000 à 40 000 tonnes attendue pour 2009 risque encore, pour l’essentiel, d’être exportée à partir du port de Banjul.
Ce contexte géopolitique, démontre à suffisance, que finalement,  la Gambie, sans être une puissance militaire supérieure à celle du Sénégal, dispose d’une  capacité de nuisance indéniable et peut,  à tout moment, freiner les velléités de son voisin de l’écarter du processus global de recherche de solutions pour  la paix en Casamance.
Paradoxalement, la stratégie de puissance du Sénégal devrait s’appuyer moins sur l’outil militaire que sur l’avantage économique. En effet, sans occulter l’objectif essentiel de sécurisation de cette zone, il importe, pour le Sénégal,  de faire en sorte que tous les efforts soient tendus vers l’objectif tout aussi prioritaire de rétablissement de la continuité du territoire national. Cet objectif fondamental, est en réalité un problème crucial d’aménagement du territoire qui nécessite le développement des infrastructures nécessaires au recentrage des flux de biens et de marchandises entre les différentes parties du territoire national situées au nord et au sud de la Gambie.

Sada WANE