Les huiles usagées : un gisement national piraté

La France collecte 223 000 tonnes d'huiles usagées et seulement 44% sont régénérées, les 56% restant empruntant le chemin de la "valorisation énergétique" en cimenterie. En langage clair, plus de la moitié des huiles usagées collectées approvisionne les fours des cimentiers qui les utilisent comme combustible à bas prix puisque ces huiles ne sont pas, à l'instar du fioul, soumises à la TIPP.Comment se fait-il qu'avec un prix du baril de pétrole qui avoisine les 100 dollars, on préfère brûler ces huiles plutôt que de les traiter? Pourtant la directive européenne du 16 juin 1975 donne la priorité à la régénération. Alors quelles sont les raisons qui poussent les acteurs de la filière vers la destruction des huiles usagées ?

Est-ce un manque de capacité de traitement ?
Il est vrai qu'il n'existe qu'une seule usine de re-raffinage en France, Eco-Huile, dont la technologie ne permet pas d'obtenir une qualité suffisante pour servir de base à la fabrication d'huiles de haute performance. Mais si l'on y regarde de plus près on s'aperçoit que ce manque de ressource est volontaire puisqu'on a laissé au début des années 90, quand le prix du baril s'est effondré, toutes les sociétés de régénération mettre la clé sous la porte sans rien faire. Et lorsque des investisseurs ont tenté de faire renaître une industrie moderne de régénération, on ne leur a pas donné les garanties indispensables d'approvisionnement. Si la France n'a pas aujourd'hui une industrie de régénération performante c'est uniquement parce qu'elle y a renoncé.

Est-ce une question de rentabilité ?
Grâce aux nouvelles technologies on obtient aujourd'hui avec 3 litres d'huiles usagées, 2 litres d'huile de qualité égale voire supérieure à l'huile de base. De plus il faut sept fois moins d'énergie pour produire de l'huile quand elle est régénérée. Le constat est donc sans appel. Mais ce n'est pas tout. Les collecteurs français déclarent que le coût de la collecte (environ 80€ la tonne) n'est pas couvert par le prix de vente de 45€ la tonne. Aussi, reçoivent-ils une subvention de l'Etat, donc des contribuables français, à hauteur de 35€ par tonne. Pourtant de l'autre coté de nos frontières, les choses sont différentes. En effet, avec la très forte augmentation du prix du baril de pétrole brut, les huiles usagées ont été très recherchées et vendues par les collecteurs au prix de 150€ par tonne dans tous les pays de l'Union européenne. A ce prix et sans subvention, les coûts de collecte sont très largement couverts et la collecte ne cesse d'augmenter, ce qui est très satisfaisant pour l'environnement et pour les entreprises de re-raffinage qui font des bénéfices substantiels. Si l'on considère en plus les avantages indiscutables de la régénération tant sur le plan environnemental et que sur le plan de l'indépendance énergétique, on a du mal à comprendre la position française sur le retraitement des huiles usagées, exceptée la prise en compte possible de la chute du prix du baril ces derniers mois. Et il semble que cette position n'est pas prête de changer puisque les groupes Veolia Environnement et Total ont annoncé au début de l'année 2009, la création d'une filiale commune, Osilub, au coeur du bassin pétrochimique de la Basse-Seine, qui ne produira pas d'huile de base à partir des huiles usagées comme il est dit dans tous les communiqués mais du VGO (Vacuum Gas Oil) c'est à dire du carburant (gazole) et d'autres combustibles.

Mathilde Rougier

Sources :
http://eur-lex.europa.eu : directive européenne 75/439 du 16 juin 1975
http://www.environnement.ccip.fr/dechets/fiches/dechets-huiles-usagees.htm
http://www2.ademe.fr : dossier huiles usagées.
http://www.usinenouvelle.com/article/osilub-prevoit-d-investir-a-gonfreville-l-orcher.159087
http://www.total.com/en/corporate-social-responsibility/Health-1/optimizing-product-life-cycles_12522.htm?template=print.htm