La loi « Création et internet » (dite « Hadopi » pour la « Haute Autorité pour la Diffusion des Œuvres et la Protection des droits sur Internet » qu’elle institue) a finalement été adoptée sans surprise ces 12 et 13 mai 2009 respectivement par l’Assemblée Nationale et le Sénat. Une « riposte graduée » est aménagée pour lutter contre le piratage des fichiers musicaux et vidéo. Les téléchargements des internautes seront donc surveillés. Lors de tout téléchargement de fichier considéré comme illégal, l’internaute recevra un premier email, puis un second et une lettre recommandée. S’il persistait néanmoins dans sa démarche frauduleuse, sa connexion à l’Internet serait coupée.
L’objectif déclaré, et certes louable, de cette loi est de protéger les droits d'auteurs sur Internet dans un contexte de crise majeure de la création. Toutefois, plusieurs de ses dispositions pourraient faire douter qu’il s’agisse de son seul et unique dessein.
« Faire peur » avant tout. De l’aveu même du rapporteur de la loi, le député Franck Riester, l’objectif de cette loi est de dissuader le téléchargement illégal des œuvres sur Internet, au moyen d’une sanction pour le moins sévère : la coupure de l’accès à Internet (et donc à ses e-mails, ses comptes bancaires ou autres, etc) de l’internaute fautif, tout en l’obligeant à s’acquitter de ses factures auprès de son fournisseur d’accès pour une période pouvant aller jusqu’à douze mois. Une disposition qui va à l’encontre d’un « droit à la connexion » permettant au citoyen d’exercer des droits fondamentaux comme la liberté d’expression ou l’accès à l’éducation. Un sujet en cours de discussion au Parlement européen, où un nouveau vote vient de réaffirmer avec force que ces droits ne pouvaient être restreints « sans décision préalable des autorités judiciaires ».
En septembre 2008, les députés européens avaient adopté, à une très large majorité, l'amendement numéro 138 au "Paquet télécom", qui prévoyait qu’ "Aucune restriction aux droits et libertés fondamentales des utilisateurs finaux ne doit être prise sans décision préalable de l'autorité judiciaire." Or la loi Création et Internet prévoit de confier le droit de suspendre un accès à Internet à l'Hadopi, qui est une autorité administrative, et non judiciaire. L’enjeu semblait manifestement de taille pour que le Président de la République française demande en vain à José-Manuel Barroso d’intervenir pour obtenir la suppression de cet amendement N° 138. Un dispositif pour le moins singulier. Outre les nombreuses interrogations que ce texte soulève quant à l’efficacité de son application (notamment compte tenu des techniques toujours plus innovantes permettant de la contourner : cryptage des fichiers téléchargés frauduleusement…), le dispositif adopté est, à y regarder de plus près, assez singulier, puisque la sanction ne vise pas à proprement parler le fait de télécharger illégalement un fichier soumis au droit d’auteur ou la possession d’œuvres contrefaites, mais l’absence de sécurisation par l’abonné de sa connexion à internet ayant entrainé une utilisation (ou une présomption d’utilisation) délictueuse. A cette fin, la loi érige en tant que preuve irréfutable d’identification de l’abonné la seule adresse IP. On peut d’ores et déjà légitimement s’interroger sur les cas de fraudes, d’usurpation, notamment au travers des protocoles sans fil (Wifi, 3G, Bluetooth, etc.) plus ou moins bien sécurisés ou sécurisables ? … Le risque de se voir désigner comme le coupable idéal (et de devoir subir l’ultime sanction de la coupure de sa connexion) aura très vite fait de rendre à la raison n’importe quel internaute craignant de se voir condamné à tort. « Par chance », la loi a d’ores et déjà tout prévu… puisque l’internaute, qui veut justifier de sa bonne foi, est invité à installer sur son ordinateur des logiciels destinés à contrôler, via des organismes privés, l’activité de sa ligne ADSL.
Des risques de dérives… Ce dispositif incitant en quelque sorte l’internaute à se soumettre « librement » à une surveillance de sa vie privée, en dehors notamment de tout contrôle judiciaire, instaure de fait une légalisation du filtrage de l’accès à internet…Il semblait logique dès lors que Mme Christine Albanel, Ministre de la Culture déclare : "L'accès à Internet ne peut pas être considéré comme un droit fondamental. Nous savons bien l'importance qu'il revêt dans tous les secteurs de la vie actuellement, mais avoir chez soi un accès à Internet, sachant qu'on peut avoir accès à Internet partout ailleurs, ne peut pas être qualifié de droit fondamental. Ce serait aller trop loin", déjugeant ainsi par là-même M. Philippe Besson qui avait annoncé en novembre 2008, alors qu’il était secrétaire d'État au développement de l'économie numérique: "Comme l'eau ou l'électricité, cet accès [à Internet] est une commodité essentielle. Chaque Français, où qu'il habite, bénéficiera d'un accès à Internet haut débit à un tarif abordable » :
Compte tenu du nombre d’internautes existants en France, un éventuel contrôle à venir par la CNIL de l’activité des organismes privés chargés de la surveillance des internautes semble par avance voué à l’échec, si l’on en juge le peu de moyens dont elle dispose à ce jour… Certains considèrent même que sous couvert de protection du droit d’auteur et de la relance des marchés musical et cinématographique, la nouvelle haute autorité HADOPI aura, grâce au pouvoir dont elle est investie de labellisation des sites commerciaux privés, la possibilité d’imposer aux moteurs de recherche le sur-référencement de ces sites labellisés. Les mêmes jugent que l’on s’attaque ainsi de fait à la neutralité d’internet par une mise en avant systématique d’acteurs privés sélectionnés. Une extension de cette logique aux sites d’information ou aux blogs, … aurait de quoi faire frémir, car bien loin de la problématique du droit d’auteur, c’est évidemment celle de la liberté de choix du citoyen qui est en jeu.
… et ce, d’autant que la question de fond de la rémunération de la création n’est pas l’objet de cette nouvelle loi. Comment ne pas s’interroger en effet sur le véritable enjeu de cette loi, alors d’une part que nombre d’acteurs (députés, associations de consommateurs notamment, …) stigmatisent le caractère dépassé du dispositif technique, que l’instauration d’une double sanction s’avère injustifiée, le dispositif DADVSI (droit d’auteur et droits voisins dans la société de l’information ) qui prévoit déjà des sanctions pénales et n’ayant pas été abrogé, et d’autre part, qu’il n’est à aucun moment recherché de solution au problème de la rémunération des auteurs, artistes, et plus généralement des titulaires de droits de propriété intellectuelle, dans un environnement totalement dématérialisé : autrement dit, comment un système uniquement répressif créerait-il de la valeur au profit des artistes, et autres titulaires de droit de propriété intellectuelle ? Différentes études menées par des spécialistes dans les pays de l’U.E. tendent à démontrer que l’offre légale serait déjà suffisante pour contrer efficacement le piratage, et que les usagers les plus assidus du partage en ligne sont aussi les plus gros consommateurs de contenus culturels. Cela n’aurait-il pas dû être en principe la seule véritable motivation sous-tendant les dispositions d’une loi relative à la Création et Internet ?
Sources :
http://www.monde-diplomatique.fr/carnet/2009-03-12-Hadopi http://news.bbc.co.uk/2/hi/entertainment/7815396.stm
http://www.monde-diplomatique.fr/carnet/2009-05-06-Hadopi-ou-la-deconnexion
http://www.laquadrature.net/fr/riposte-graduee-une-liste-blanche-annonce-les-heures-sombres-d-internet-en-france
http://www.zdnet.fr/actualites/internet/0,39020774,39381814,00.htm
http://econoclaste.org.free.fr/dotclear/index.php/?2007/11/29/1101-si-nous-ne-sommes-pas-avec-eux-c-est-parce-qu-ils-sont-contre-nous
http://www.iletaitunefoislecinema.com/chronique/2876/la-loi-hadopi-fait-des-siennes
http://www.paroles-musique.com/non_au_controle_du_net.php
http://bruxelles.blogs.liberation.fr/coulisses/2009/05/le-parlement-europ%C3%A9en-torpille-le-projet-de-loi-hadopi.html
http://www.ecrans.fr/Europe-Retour-sur-l-amendement,7107.html
http://www.lemonde.fr/elections-europeennes/article/2009/05/06/telechargement-illegal-les-eurodeputes-votent-contre-la-coupure-internet-arbitraire_1189740_1168667.html
http://www.numerama.com/magazine/12848-L-amendement-Bono-finalement-vote-dans-sa-version-originale-MAJ.html
http://www.zdnet.fr/actualites/internet/0,39020774,39380368,00.htm
http://www.paroles-musique.com/non_au_controle_du_net.php
http://www.agoravox.fr/actualites/citoyennete/article/la-face-cachee-du-projet-de-loi-55085
L’objectif déclaré, et certes louable, de cette loi est de protéger les droits d'auteurs sur Internet dans un contexte de crise majeure de la création. Toutefois, plusieurs de ses dispositions pourraient faire douter qu’il s’agisse de son seul et unique dessein.
« Faire peur » avant tout. De l’aveu même du rapporteur de la loi, le député Franck Riester, l’objectif de cette loi est de dissuader le téléchargement illégal des œuvres sur Internet, au moyen d’une sanction pour le moins sévère : la coupure de l’accès à Internet (et donc à ses e-mails, ses comptes bancaires ou autres, etc) de l’internaute fautif, tout en l’obligeant à s’acquitter de ses factures auprès de son fournisseur d’accès pour une période pouvant aller jusqu’à douze mois. Une disposition qui va à l’encontre d’un « droit à la connexion » permettant au citoyen d’exercer des droits fondamentaux comme la liberté d’expression ou l’accès à l’éducation. Un sujet en cours de discussion au Parlement européen, où un nouveau vote vient de réaffirmer avec force que ces droits ne pouvaient être restreints « sans décision préalable des autorités judiciaires ».
En septembre 2008, les députés européens avaient adopté, à une très large majorité, l'amendement numéro 138 au "Paquet télécom", qui prévoyait qu’ "Aucune restriction aux droits et libertés fondamentales des utilisateurs finaux ne doit être prise sans décision préalable de l'autorité judiciaire." Or la loi Création et Internet prévoit de confier le droit de suspendre un accès à Internet à l'Hadopi, qui est une autorité administrative, et non judiciaire. L’enjeu semblait manifestement de taille pour que le Président de la République française demande en vain à José-Manuel Barroso d’intervenir pour obtenir la suppression de cet amendement N° 138. Un dispositif pour le moins singulier. Outre les nombreuses interrogations que ce texte soulève quant à l’efficacité de son application (notamment compte tenu des techniques toujours plus innovantes permettant de la contourner : cryptage des fichiers téléchargés frauduleusement…), le dispositif adopté est, à y regarder de plus près, assez singulier, puisque la sanction ne vise pas à proprement parler le fait de télécharger illégalement un fichier soumis au droit d’auteur ou la possession d’œuvres contrefaites, mais l’absence de sécurisation par l’abonné de sa connexion à internet ayant entrainé une utilisation (ou une présomption d’utilisation) délictueuse. A cette fin, la loi érige en tant que preuve irréfutable d’identification de l’abonné la seule adresse IP. On peut d’ores et déjà légitimement s’interroger sur les cas de fraudes, d’usurpation, notamment au travers des protocoles sans fil (Wifi, 3G, Bluetooth, etc.) plus ou moins bien sécurisés ou sécurisables ? … Le risque de se voir désigner comme le coupable idéal (et de devoir subir l’ultime sanction de la coupure de sa connexion) aura très vite fait de rendre à la raison n’importe quel internaute craignant de se voir condamné à tort. « Par chance », la loi a d’ores et déjà tout prévu… puisque l’internaute, qui veut justifier de sa bonne foi, est invité à installer sur son ordinateur des logiciels destinés à contrôler, via des organismes privés, l’activité de sa ligne ADSL.
Des risques de dérives… Ce dispositif incitant en quelque sorte l’internaute à se soumettre « librement » à une surveillance de sa vie privée, en dehors notamment de tout contrôle judiciaire, instaure de fait une légalisation du filtrage de l’accès à internet…Il semblait logique dès lors que Mme Christine Albanel, Ministre de la Culture déclare : "L'accès à Internet ne peut pas être considéré comme un droit fondamental. Nous savons bien l'importance qu'il revêt dans tous les secteurs de la vie actuellement, mais avoir chez soi un accès à Internet, sachant qu'on peut avoir accès à Internet partout ailleurs, ne peut pas être qualifié de droit fondamental. Ce serait aller trop loin", déjugeant ainsi par là-même M. Philippe Besson qui avait annoncé en novembre 2008, alors qu’il était secrétaire d'État au développement de l'économie numérique: "Comme l'eau ou l'électricité, cet accès [à Internet] est une commodité essentielle. Chaque Français, où qu'il habite, bénéficiera d'un accès à Internet haut débit à un tarif abordable » :
Compte tenu du nombre d’internautes existants en France, un éventuel contrôle à venir par la CNIL de l’activité des organismes privés chargés de la surveillance des internautes semble par avance voué à l’échec, si l’on en juge le peu de moyens dont elle dispose à ce jour… Certains considèrent même que sous couvert de protection du droit d’auteur et de la relance des marchés musical et cinématographique, la nouvelle haute autorité HADOPI aura, grâce au pouvoir dont elle est investie de labellisation des sites commerciaux privés, la possibilité d’imposer aux moteurs de recherche le sur-référencement de ces sites labellisés. Les mêmes jugent que l’on s’attaque ainsi de fait à la neutralité d’internet par une mise en avant systématique d’acteurs privés sélectionnés. Une extension de cette logique aux sites d’information ou aux blogs, … aurait de quoi faire frémir, car bien loin de la problématique du droit d’auteur, c’est évidemment celle de la liberté de choix du citoyen qui est en jeu.
… et ce, d’autant que la question de fond de la rémunération de la création n’est pas l’objet de cette nouvelle loi. Comment ne pas s’interroger en effet sur le véritable enjeu de cette loi, alors d’une part que nombre d’acteurs (députés, associations de consommateurs notamment, …) stigmatisent le caractère dépassé du dispositif technique, que l’instauration d’une double sanction s’avère injustifiée, le dispositif DADVSI (droit d’auteur et droits voisins dans la société de l’information ) qui prévoit déjà des sanctions pénales et n’ayant pas été abrogé, et d’autre part, qu’il n’est à aucun moment recherché de solution au problème de la rémunération des auteurs, artistes, et plus généralement des titulaires de droits de propriété intellectuelle, dans un environnement totalement dématérialisé : autrement dit, comment un système uniquement répressif créerait-il de la valeur au profit des artistes, et autres titulaires de droit de propriété intellectuelle ? Différentes études menées par des spécialistes dans les pays de l’U.E. tendent à démontrer que l’offre légale serait déjà suffisante pour contrer efficacement le piratage, et que les usagers les plus assidus du partage en ligne sont aussi les plus gros consommateurs de contenus culturels. Cela n’aurait-il pas dû être en principe la seule véritable motivation sous-tendant les dispositions d’une loi relative à la Création et Internet ?
Sources :
http://www.monde-diplomatique.fr/carnet/2009-03-12-Hadopi http://news.bbc.co.uk/2/hi/entertainment/7815396.stm
http://www.monde-diplomatique.fr/carnet/2009-05-06-Hadopi-ou-la-deconnexion
http://www.laquadrature.net/fr/riposte-graduee-une-liste-blanche-annonce-les-heures-sombres-d-internet-en-france
http://www.zdnet.fr/actualites/internet/0,39020774,39381814,00.htm
http://econoclaste.org.free.fr/dotclear/index.php/?2007/11/29/1101-si-nous-ne-sommes-pas-avec-eux-c-est-parce-qu-ils-sont-contre-nous
http://www.iletaitunefoislecinema.com/chronique/2876/la-loi-hadopi-fait-des-siennes
http://www.paroles-musique.com/non_au_controle_du_net.php
http://bruxelles.blogs.liberation.fr/coulisses/2009/05/le-parlement-europ%C3%A9en-torpille-le-projet-de-loi-hadopi.html
http://www.ecrans.fr/Europe-Retour-sur-l-amendement,7107.html
http://www.lemonde.fr/elections-europeennes/article/2009/05/06/telechargement-illegal-les-eurodeputes-votent-contre-la-coupure-internet-arbitraire_1189740_1168667.html
http://www.numerama.com/magazine/12848-L-amendement-Bono-finalement-vote-dans-sa-version-originale-MAJ.html
http://www.zdnet.fr/actualites/internet/0,39020774,39380368,00.htm
http://www.paroles-musique.com/non_au_controle_du_net.php
http://www.agoravox.fr/actualites/citoyennete/article/la-face-cachee-du-projet-de-loi-55085