Affrontements informationnels entre PSA et Nissan sur les cross-overs

Cette semaine, les lecteurs de certains quotidiens Français ont eu la surprise de découvrir un faire-part pour le moins original. Nissan y annonçait en effet l’arrivée – tardive – du 3008, nouveau cross-over de…Peugeot [1]. Approche singulière, pari osé, coup de pub audacieux, et buzz assuré ! Le recours à l’humour portera-t-il un coup fatal au 3008 ? Le Japonais gagnera-t-il les cœurs et les esprits, tout en consolidant sa position de leader sur ce marché très spécifique ? La firme de Sochaux va-t-elle sortir les crocs et préparer une riposte ?

Le contexte
Le marché automobile, déjà hyperconcurrentiel, semble devenir le terrain de luttes encore plus radicales en ces temps de crise. Les acteurs doivent innover sur les aspects technologiques, mais aussi – et plus que jamais – devenir créatifs dans leur stratégie de communication. Il s’agit la plupart du temps de « penser l’automobile » différemment. On ne vend donc plus forcément des produits, mais plutôt des services, des concepts, et des modes de vie. La maîtrise du « story telling » devient alors indispensable, qu’il s’agisse d’environnement et d’écologie, ou encore d’être en phase avec l’air du temps, comme le rappelle la publicité de Renault : « Bien dans son époque, bien dans sa Twingo ».

Marché des cross-overs : Peugeot vs. Nissan
Si l’attaque de Peugeot est classique – sortie d’un nouveau modèle – la contre-attaque de Nissan est en revanche beaucoup plus étonnante. Elle repose d’abord sur un premier effet de surprise, du fait de sa quasi-simultanéité avec le lancement commercial du 3008. Nissan cherche manifestement à utiliser cette occasion pour déstabiliser son concurrent, au moment même – crucial – où le Français dépense des sommes considérables en termes de communication.
Elle joue ensuite sur un deuxième effet de surprise, qui est, lui, davantage lié à l’usage d’une certaine forme de publicité comparative. Si celle-ci est bel et bien légale en France, elle est en revanche très peu utilisée car à priori synonyme de guerre frontale. Or la plupart des marques cherchent à éviter ce genre de situation, la guerre des prix étant un exemple classique d’affrontement direct où les protagonistes courent généralement à leur perte, via des réductions drastiques de leurs marges.
Enfin, usant d’humour, la publicité de Nissan perturbe profondément le camp adverse en le touchant dans son amour propre. Il semble donc bien loin le temps où l’on pouvait considérer les japonais comme de simples copieurs armés d’appareils photos. Ils font désormais preuve d’une imagination redoutable. La France serait d’ailleurs bien inspirée de mettre cet exemple en perspective avec la situation de la Chine d‘aujourd’hui, encore trop souvent caricaturée sur les thèmes de l’environnement ou de la créativité, pour ne citer que ces deux exemples. Il serait naïf de penser que les Chinois vont se contenter de combler leur retard, puis s’arrêter en si bon chemin. Ils feront demain preuve d’autant d’inventivité que les occidentaux, pour tenter de les dépasser sur leur propre terrain.

Quelle riposte pour Peugeot ?
Le Lion de Sochaux n’a visiblement pas su anticiper la contre-attaque de Nissan. Si l’environnement avait été considéré dans sa globalité et sa complexité, si des indicateurs bien ciblés avaient été correctement définis, alors la marque Française aurait sans doute détecté certains mouvements chez son concurrent Nissan, ce qui l’aurait mise en alerte. Mais le mal est fait. Alors quelle communication de crise mettre en œuvre ? Quelle riposte organiser ? On s’attend bien sûr à une réaction sur le fond comme sur la forme, et dans cette optique, les failles de Nissan dans lesquelles le géant Français peut s’engouffrer sont multiples.

Sur le fond
D’abord, la publicité décalée mais néanmoins agressive du constructeur japonais semble en elle-même témoigner d’une peur évidente vis-à-vis du 3008, dont les qualités intrinsèques sont déjà largement reconnues par la presse [3]. Cette peur est certes subtilement habillée d’humour, mais le fait que Nissan engage un budget marketing dédié, pour attaquer un produit concurrent dont la menace ne s’est même pas encore concrétisée, pourrait être interprété comme un aveu de faiblesse. Le constructeur asiatique joue l’attaque comme moyen de défense, mais ses craintes ne sont-elles pas simplement les conséquences de lacunes flagrantes de son modèle, plus vieux et moins bien équipé que le 3008 ? Dans sa réaction, Peugeot pourrait même décider de revendiquer ouvertement son arrivée tardive sur le marché, en la justifiant par une volonté de proposer un modèle mature, positionné en « fast-follower » astucieux plutôt qu’en « early adopter » criblé de défauts de jeunesse. A ce titre, la contre-attaque de Nissan – qui répond avant même d’avoir été réellement attaqué par une quelconque baisse des ventes imputable au 3008 – donne une forme d’avantage à Peugeot, qui pourrait en profiter.
Une autre chance pour le constructeur Français repose sur le fait que la démarche du Japonais vise, et touche d’ailleurs probablement, son amour propre. Le cousin de Renault, de cette façon, s’expose clairement à une riposte, car on peut raisonnablement penser que personne chez Peugeot n’acceptera d’être ridiculisé de la sorte, et que la mobilisation sera donc totale.

Sur la forme
Sur la forme, on peut imaginer une contre-offensive française elle aussi teintée d’humour, et empreinte d’une certaine légèreté, sans quoi le clan sochalien passerait certainement pour un mauvais joueur. Embrayer sur le ton de la dérision, avec une communication vivifiante et pleine d’esprit, pourrait en outre servir l’ensemble du marché du cross-over en faisant monter un buzz qui divertira probablement les observateurs et les acheteurs potentiels. Ainsi, si la perception globale qui ressort de cette prise d’armes correspond à une image de fair-play et de « cool-attitude », Peugeot comme Nissan pourraient sortir tous les deux vainqueurs, évitant alors coups bas et opposition directe. Nos lecteurs pourront en tout cas s’intéresser à la suite des évènements avec un regard amusé, et nous seront quoi qu’il arrive attentifs à la réaction des pères du 3008. Les semaines qui viennent nous diront s’ils savent transformer l’énergie négative reçue cette semaine en énergie positive et créative.

Jean-Christophe Marcoux

Sources :
[1] : http://legalstrategy.canalblog.com/archives/2009/05/19/13781948.html
[2] : http://www.ege.fr/
[3] : http://www.automobile-magazine.fr/essais/matchs/premier_comparatif_3008_qashqai_le_lion_montre_ses_crocs
http://www.businessnews.com.tn/BN/BN-lirearticle.asp?id=1086998