L’enjeu de l’affaire Fortis

Depuis le commencement de l’affaire Fortis fin septembre 2008 et la décision des Etats du Benelux de nationaliser Fortis Banque, ce dossier ne cesse de défrayer la chronique, allant jusqu’à déstabiliser le Gouvernement belge.
Les prémices de cette saga sont pourtant apparues bien avant la crise actuelle. La première sanction des marchés à l’égard de Fortis remonte au 26 juin 2008. En cause, l’annonce d’un plan de refinancement suite au rachat d’ABN Amro en octobre 2007. A cette date, Royal Bank of Scotland, Fortis et Santander mettent la main sur le symbole de la réussite économique des Pays-Bas. Les trois alliés de circonstance annoncent le démantèlement des activités d’ABN Amro et la répartition des activités en fonction de leurs orientations stratégiques et géographiques respectives. Certains analystes expriment à l’époque leurs appréhensions quant au montant record déboursé pour l’acquisition d’ABN Amro. Le 26 juin, en une seule journée, le cours de l’action Fortis clôture 19% sous sa cotation à l’ouverture. Le top management se veut rassurant en réponse à la réaction violente du marché et défend son intention de procéder à une augmentation de capital. Pourtant, très vite, le doute quant aux liquidités de la banque Fortis gagne les marchés.
La crise financière est une réalité mondiale qui n’épargne pas les institutions bancaires les plus fragiles et qui, par effet domino, touche le monde économique et politique de plein fouet. A ce titre, certains Etats sont intervenus de façon massive pour sauver ce qui pouvait encore l’être en renflouant des banques en situation précaire. Le cas Fortis ne déroge pas à la règle. Dans la nuit du 28 au 29 septembre 2008, les autorités politiques belges, hollandaises et luxembourgeoises se précipitent au chevet du malade Fortis pour éviter le pire, la faillite dit-on, et redonner confiance. Par la suite, d’autres états agiront de la même façon, entrant dans le capital des banques pour éviter l’hémorragie et sauver ce qui peut encore l’être. La décision des Etats de nationaliser partiellement Fortis Banque était aisément justifiable aux yeux des observateurs qui voyaient cette banque en situation exsangue. Cependant, cette opération ne suffit pas à convaincre les épargnants et les marchés. Dès le lendemain, confronté à la remise en cause de la stabilité financière de Fortis, le front Benelux se divise quant aux alternatives possibles. Finalement, les Hollandais se ravisent et décident de ne pas suivre les belges et les luxembourgeois dans l’aventure de nationalisation. Les Pays-Bas rachètent l’intégralité des actifs de Fortis sur leur territoire et du même coup, l’essentiel des actifs d’ABN Amro. Quelles que soient les raisons qui ont motivé ce revirement de position, les politiques bataves ne doutent pas de parvenir à justifier leur attitude sans trop de difficultés. On ne peut en dire des autres parties prenantes à ce dossier.
L’ombre de BNP Paribas plane au dessus de Fortis depuis cette fameuse nuit de septembre. La banque française, au même titre que la banque ING, a pris acte de la décision de nationalisation partielle par les Etats du Benelux mais contrairement à ING, les Français gardent un œil attentif sur l’évolution de la situation. BNP Paribas ne cache pas son intérêt pour une participation dans Fortis.
Le revirement de position des Hollandais leur donnera raison puisque cet état de fait change la donne pour ceux qui restent. L’Etat belge, qui se trouve aux commandes de la banque, négocie avec BNP Paribas un plan destiné d’une part à pérenniser les activités de Fortis et d’autre part, à réduire son engagement financier. Ce plan est ensuite avalisé par le Conseil d’Administration de Fortis, mais pas par les actionnaires qui n’ont pas leur mot à dire dans cette transaction.
Les actionnaires, qui s’estimaient déjà lésés depuis la chute du cours de l’action Fortis, jugent que le deal conclu entre l’Etat belge et BNP Paribas leur est défavorable et décident alors de faire valoir leurs droits. La Cours d’appel de Bruxelles se prononcera en leur faveur et précipitera indirectement la chute du Gouvernement belge. Deux clans commencent alors à se constituer, avec d’un côté les partisans de l’adossement de Fortis à BNP Paribas (L’Etat belge, une partie des actionnaires et le Conseil d’administration de Fortis), et de l’autre les opposants à ce deal (Ping An, assureur chinois qui détient 4,81% du capital de Fortis Holding, le cabinet d’avocats Modrikamen, le cabinet de conseils Deminor et l’association de consommateurs Test-Achats notamment) dont certains défendent la thèse d’une grande banque belge.
Le premier vote des actionnaires en Assemblée Générale rejette le premier accord négocié entre l’Etat Belge et BNP Paribas. Ces derniers se rassembleront une deuxième fois autour de la table en vue d’améliorer le contenu de l’accord, essayant de tenir compte de l’avis des actionnaires.
L’incertitude qui subsiste sur les marchés et la volonté de l’Etat belge de privilégier l’option BNP Paribas, ont depuis fait coulé beaucoup d’encre, certaines pointures économiques belges n’hésitant pas à se manifester en faveur ou contre le deal avec BNP Paribas. Le facteur émotionnel joue évidement un rôle important et les querelles communautaires ne simplifient pas l’équation. L’évolution du dossier Fortis n’a sans doute pas amélioré la confiance de la population belge à l’égard de son Gouvernement. Dans tous les cas, on ne leur demandera pas leur avis puisque ce sont les actionnaires présents lors des Assemblées Générales qui décideront.
Du fait de la présence historique de Fortis sur le territoire belge, la population est pourtant concernée à divers titres : épargnants, travailleurs, investisseurs ou entreprises. Il est un fait que l’information distillée par les partisans du « Oui » et du « Non » n’aura pas permis à la majorité des Belges de se forger une opinion. Les représentants de l’Etat belge et de BNP Paribas ont récemment refusé une confrontation télévisée avec les partisans du « Non ». Mais quel enseignement faut-il en tirer ? Après tout, ce vote ne doit pas attester de la confiance des belges dans leurs autorités politiques ou assurer la pérennité des activités de Fortis. Les actionnaires spéculeront sur l’option qui leur permettra de retrouver un maximum de valeur.

Claude LEPERE

http://www.lesechos.fr/info/finance/300329313-chronologie---la-saga-fortis-en-20-episodes.htm
http://www.lesoir.be/actualite/economie/modrikamen-provoque-prot-en-2009-04-23-702534.shtml
http://lapromo.neufblog.com/leveilleur/2009/02/fortis-dossier.html
http://www.lalibre.be/actu/actualite/article/464148/chapitre-7-la-trahison-des-hollandais.html
http://larevue.hammonds.fr/Le-scandale-Fortis,-une-histoire-belge_a815.html
http://www.lalibre.be/economie/actualite/article/430614/fortis-chute-sans-precedent.html
http://www.rtlinfo.be/rtl/archive/article/42734/?&archiveYear=2007
http://www.infomonde.be/im/fr/3008/finances/article/detail/822622/2009/04/17/Modrikamen-et-consorts-exposeront-leur-plan-B-lundi.dhtml