La nécessaire revalorisation du contre espionnage français

Depuis la fin de la guerre froide, les services de sécurité et de renseignement français ont été très fortement réorientés par le pouvoir politique vers les priorités du moment, à savoir la lutte anti-terroriste tous azimuts. La disparition apparente de la menace représentée par le bloc de l’Est a accentué cette évolution dans la perception des priorités en termes de sécurité nationale. Les attentats terroristes commis contre des Français ou des intérêts français génèrent une résonance émotionnelle qui stigmatise la réaction du pouvoir politique. Lorsque ce type de drame fait la une de l’actualité, ce dernier est naturellement focalisé par la préservation de son image dans l’opinion publique et son réflexe est de tout faire pour rassurer la population en appliquant le principe de précaution au monde du renseignement. Toutes les forces disponibles sont réorientées pendant des périodes plus ou moins longues vers cette menace afin de calmer le jeu et d’éviter l’enchaînement d’attentats spectaculaires qui laissent entendre que la France ne sait pas y faire face.

Cette mécanique infernale est accentuée par le fait que le gouvernement de la République est aussi pris à revers par une opposition à l’affût du moindre faux pas, et qui met la pression en tentant sournoisement d’exploiter électoralement la situation, tout en jurant la main sur le cœur qu’elle joue le jeu de l’unité nationale face au péril terroriste. Ce disque rayé des démocraties, et de la démocratie française en particulier qui reste fragilisée de manière récurrente par ce comportement pavlovien, commence aujourd’hui à montrer ses limites. La priorité donnée à la lutte antiterroriste aussi bien à la DCRI qu’à la DGSE ont fait surgir des failles qui ont été longtemps sous estimées par les autorités. La réduction des effectifs et l’appauvrissement des savoirs dans le domaine du contre espionnage ont affaibli notre pays dans les enjeux géopolitiques et géoéconomiques qui conditionnent non pas la sécurité des Français à titre individuel mais le devenir d’une France confrontée à l’évolution complexe des relations internationales du monde d’aujourd’hui.

La résistance aux influences extérieures est un enjeu vital pour garantir à ce pays les chances de son développement et la pérennité de son système politique. Or, force est de constater que nous avons baissé la garde sans vraiment nous rendre compte des dégâts qu’une telle attitude pouvait engendrer. Sur le plan géopolitique, l’affaiblissement éventuel des Etats-Unis aiguise les appétits d’un certain nombre de puissances. Cette hypothèse nous oblige de reposer la question taboue qui conditionne toute stratégie : quels sont nos adversaires ? Contrairement aux idées reçues, le modèle démocratique ne gomme pas la notion d’adversaire (n’oublions jamais à ce propos qu’Adolf Hitler est arrivé au pouvoir par le résultat des urnes) or un affaiblissement des Etats-Unis crée de facto des fenêtres de vulnérabilités dans le monde occidental mais aussi dans beaucoup d’autres endroits du monde où nos intérêts sont directement menacés. Il n’est plus possible de faire abstraction d’une telle éventualité. L’Allemagne est déjà sans le dire dans cette posture stratégique. Les accords gaziers et nucléaires passés avec la Russie en sont l’aveu le plus expressif.

La France en réintégrant l’Otan ne comble pas le trou laissé par cette hypothèse. Notre infrastructure vitale de survie, en tant que pays devant impérativement se développer pour répondre aux besoins de sa population, implique une anticipation des risques que nous encourons dans les évolutions incertaines générées par la crise majeure que subissent le modèle capitaliste et la mondialisation des échanges. Autrement dit, l’orientation prioritaire de nos services de sécurité et de renseignement dans la lutte anti-terroriste est en train de devenir un choix contestable. Les stratégies d’influence offensives des puissances qui vont chercher à tirer profit de l’affaiblissement des Etats-Unis auront des retombées directes sur le devenir de la France et de sa sécurité nationale collective. Il ne s’agit plus dans cette perspective de rassurer les Français lorsqu’ils prennent un moyen de transport ou lorsqu’ils stationnent devant une poubelle susceptible d’abriter un colis piégé mais de parer les tentatives de déstabilisation de nos points d’appui géopolitiques, des positions économiques que nous ne pouvons abandonner pour des raison de cohésion en termes de pérennité des territoires, et de survie des populations qui les peuplent.

Les puissances montantes comme la Chine, la Russie ou l’Iran ne nous feront aucun cadeau. Les autres non plus et c’est logique compte tenu des déséquilibres à venir. Autrement dit, il est devenu vital de repenser notre système défensif et de contre ingérence afin d’être capable de faire face aux opérations nuisibles menées par des puissances étrangères. Le contre espionnage est à cet égard un instrument déterminant à réactiver et à protéger. Réactiver parce que la sous direction A de la DST n’est plus et qu’elle était le bouclier le plus solide dans le seconde partie du XXème siècle. Protéger car la DGSE a perdu une grande partie de son potentiel dans ce domaine et qu’elle continue à en perdre. Comment imaginer une seconde l’impensable, à savoir que sous prétexte d’Union européenne et d’économie des moyens, cet organisme n’ait plus en charge le contre espionnage réactif pour appuyer notre politique et garantir la position de la France dans une construction de l’Europe menacée directement par l’affaiblissement de son parapluie sécuritaire nord-américain. Le pire serait de ne rien faire et d’attendre le coup qui fait mal avant de se pencher enfin sur l’évidence. Quant aux nominations à venir, espérons que le pouvoir politique ne baisse pas la garde. Les chefs nommés doivent être guidés par ce souci de l’intérêt collectif et ne pas avoir de failles liées à des visées personnelles ou corporatistes.


Christian Harbulot