En signant le 3 mars un protocole d'accord devant déboucher sur la création d'une coentreprise dans le nucléaire, Siemens et Rosatom ont choisi de lier leur destin dans un secteur stratégique au potentiel de croissance très fort pour les 30 ans à venir. Pour autant, cette coentreprise est-elle capable de détrôner Areva et de devenir ce leader qu’elle prétend vouloir être ou s’agit-il d’une stratégie opportuniste compte tenu des enjeux politiques liés au secteur énergétique ?Regardons tout d’abord la manière dont ce partenariat a été établi. En rompant unilatéralement (et comme il en a le droit) début février le pacte d’actionnaires qui le lie depuis 2001 à hauteur de 34% avec Areva au sein d’Areva NP, Siemens a choisi de tourner une page de son histoire avec le nucléaire français et d’en ouvrir une autre avec la Russie. Dans ce dossier suivi de très près par la chancellerie, il s’agit d’un signal fort que si le peuple allemand est opposé au nucléaire, son industrie et ses dirigeants n’entendent pas l’abandonner.
Des centrales nucléaires, oui, mais pas chez moi serait-on tenter de conclure. Les risques politiques, juridiques (Siemens est lié par une clause de non-concurrence jusque 2020) et sociétaux qui ont été pris sont néanmoins à la hauteur des enjeux, mais peuvent également se retourner contre Siemens et le gouvernement Allemand. Cette sortie brutale de Siemens fait par ailleurs suite à de nombreuses affaires pour le géant allemand. Remémorons-nous simplement son lobbying auprès de la Commission Européenne afin d’empêcher avec succès la fusion Schneider-Legrand (la décision de la Commission Européenne ayant par ailleurs été jugée illégale), sa tentative de rachat d’une partie des actifs d’Alstom suite à cette fusion avortée ou sa récente condamnation à près d’1 milliard d’€uros dans une gigantesque affaire de corruption aux ramifications mondiales.
La brutalité de cette démarche n’est donc pas une première pour le conglomérat. Rosatom pour sa part est l’Agence Fédérale de l’Energie Atomique, l’équivalent de l’Autorité de Sureté Nucléaire en France. Derrière cet organisme réglementaire se cache Atomenergoprom, la holding qui regroupe depuis 2007 toute la chaine de l’industrie nucléaire russe, et dont le modèle de développement établi par Vladimir Poutine est semblable à celui de Gazprom.
Le Kremlin poursuit donc ici sur le terrain du nucléaire la stratégie de puissance énergétique déjà mise en place avec le gaz et le pétrole. L’alliance avec un industriel allemand doit lui ouvrir d’autres portes et légitimer son industrie nucléaire. Cette dernière souffre toujours d’un manque de crédibilité lié à de nombreux accidents ou risques identifiés : Tchernobyl en 1986, naufrage du sous-marin nucléaire Koursk en 2000 ou récente découverte des risques d’explosion sur une décharge de déchets nucléaires russes dans la baie d’Andreeva, sur la péninsule de Kola au nord-ouest de la Russie (2007).
Au-delà de cette approche concurrentielle qui permet à Rosatom d’adresser de nouveaux marchés - en dehors de pays à risques politiques tels que l’Iran ou la Chine - il s’agit également pour le Kremlin de conforter une stratégie qui vise à affaiblir l’Europe énergétique en divisant ses membres. Il est plus étonnant que l’Allemagne, dont on connait l’attachement européen, ait choisi de valider cette approche.
La signature de ce pacte germano-russe devrait néanmoins appeler une réaction rapide de la part d’Areva. Au-delà du combat juridique et financier qui ne manquera pas de s’ouvrir avec Siemens, il s’agit également de redéfinir la stratégie de partenariat pour l’entreprise d’Anne Lauvergeon.
Si un rapprochement avec Bouygues et Alstom a déjà été évoqué, de nouvelles pistes s’ouvrent pour Areva, qui pourrait bien regarder vers les fonds souverains du Golfe comme l’annonçait récemment le Financial Times. Quoiqu’il en soit, l’échiquier stratégique du nucléaire mondial est en train de se dessiner. L’avenir nous dira si la co-entreprise Siemens-Rosatom pourra atteindre ses objectifs et quel sera l’impact de ce cavalier seul de l’Allemagne.
Sébastien LAMOUR
Des centrales nucléaires, oui, mais pas chez moi serait-on tenter de conclure. Les risques politiques, juridiques (Siemens est lié par une clause de non-concurrence jusque 2020) et sociétaux qui ont été pris sont néanmoins à la hauteur des enjeux, mais peuvent également se retourner contre Siemens et le gouvernement Allemand. Cette sortie brutale de Siemens fait par ailleurs suite à de nombreuses affaires pour le géant allemand. Remémorons-nous simplement son lobbying auprès de la Commission Européenne afin d’empêcher avec succès la fusion Schneider-Legrand (la décision de la Commission Européenne ayant par ailleurs été jugée illégale), sa tentative de rachat d’une partie des actifs d’Alstom suite à cette fusion avortée ou sa récente condamnation à près d’1 milliard d’€uros dans une gigantesque affaire de corruption aux ramifications mondiales.
La brutalité de cette démarche n’est donc pas une première pour le conglomérat. Rosatom pour sa part est l’Agence Fédérale de l’Energie Atomique, l’équivalent de l’Autorité de Sureté Nucléaire en France. Derrière cet organisme réglementaire se cache Atomenergoprom, la holding qui regroupe depuis 2007 toute la chaine de l’industrie nucléaire russe, et dont le modèle de développement établi par Vladimir Poutine est semblable à celui de Gazprom.
Le Kremlin poursuit donc ici sur le terrain du nucléaire la stratégie de puissance énergétique déjà mise en place avec le gaz et le pétrole. L’alliance avec un industriel allemand doit lui ouvrir d’autres portes et légitimer son industrie nucléaire. Cette dernière souffre toujours d’un manque de crédibilité lié à de nombreux accidents ou risques identifiés : Tchernobyl en 1986, naufrage du sous-marin nucléaire Koursk en 2000 ou récente découverte des risques d’explosion sur une décharge de déchets nucléaires russes dans la baie d’Andreeva, sur la péninsule de Kola au nord-ouest de la Russie (2007).
Au-delà de cette approche concurrentielle qui permet à Rosatom d’adresser de nouveaux marchés - en dehors de pays à risques politiques tels que l’Iran ou la Chine - il s’agit également pour le Kremlin de conforter une stratégie qui vise à affaiblir l’Europe énergétique en divisant ses membres. Il est plus étonnant que l’Allemagne, dont on connait l’attachement européen, ait choisi de valider cette approche.
La signature de ce pacte germano-russe devrait néanmoins appeler une réaction rapide de la part d’Areva. Au-delà du combat juridique et financier qui ne manquera pas de s’ouvrir avec Siemens, il s’agit également de redéfinir la stratégie de partenariat pour l’entreprise d’Anne Lauvergeon.
Si un rapprochement avec Bouygues et Alstom a déjà été évoqué, de nouvelles pistes s’ouvrent pour Areva, qui pourrait bien regarder vers les fonds souverains du Golfe comme l’annonçait récemment le Financial Times. Quoiqu’il en soit, l’échiquier stratégique du nucléaire mondial est en train de se dessiner. L’avenir nous dira si la co-entreprise Siemens-Rosatom pourra atteindre ses objectifs et quel sera l’impact de ce cavalier seul de l’Allemagne.
Sébastien LAMOUR