Relecture post mortem d’une guerre de l’information (OPA Mittal contre Arcelor)

Ce sujet traite de la première acquisition d’un groupe industriel européen, né de restructuration et financement européens, par un groupe industriel provenant d’un pays en voie de développement. Bien que le sujet a été traité longuement par la presse, il est intéressant de s’y attarder pour deux raisons ; d’une part parce que les groupes européens deviennent des cibles face aux réserves de liquidité des pays émergents et du golfe (donc des OPA hostiles du même type se reproduiront à l’avenir) et d’autre part d’analyser l’articulation des arguments de Mittal afin de conceptualiser des axes d’attaque des groupes du Tiers-Monde.Lorsque Lakshmi Mittal fit une Offre Publique d’Achat envers Arcelor le 27 Janvier 2006, il joua une partie d’échec digne de Fischer. Il réalisa une attaque à trois niveaux :
Premier Niveau : économique
Il proposa un prix supérieur de 27% à la cotation du titre d’Arcelor ; il s’adressa aux actionnaires divisés et trop nombreux en argumentant sur la complémentarité des deux groupes vis à vis de leurs activités et de leur savoir-faire (Mittal positionné sur la faible valeur ajoutée et Arcelor sur la haute valeur ajoutée).
Deuxième Niveau : politique
Son alliance avec ThyssenKrupp lui accorda un regard bienveillant de la part du pouvoir allemand et par conséquent un soutien auprès de la commission européenne.
Troisième Niveau : éthique
L. Mittal s’est présenté comme un européen, vivant à Londres dont le groupe est basé en Hollande ; il feignit l’incompréhension face aux levées de boucliers français et luxembourgeois.

Arcelor était en très mauvaise posture pour se défendre contre cette triple attaque. Pourtant il existait une possibilité : lancer une contre-attaque informationnelle à chaque niveau.
Premier Niveau : économique
Bien qu’étant la cible de l’OPA, Arcelor était dans un état financier bien meilleur que Mittal. En effet son Chiffre d’Affaire, Résultat Opérationnel, Bénéfice Net et Cash Flow étaient bien supérieurs à ceux de Mittal. D’une part l’offre d’achat à +27% des actions Arcelor sera payée par le cash disponible du groupe, d’autre part la fusion ne conduira qu’au remboursement de l’endettement en fonds propres de Mittal (Ratio de 50% au moment de la fusion) et surtout du pillage du savoir-faire d’Arcelor. Car Mittal, positionné sur la production de faible valeur ajoutée, avait besoin de ces technologies de pointe afin de se positionner sur la production à forte valeur ajoutée et ainsi, survivre. Rappelons que le modèle économique traditionnel dit en « pyramide » disparaît au profit de celui en « sablier » i.e. positionné sur la haute et la faible valeur ajoutée. D’ailleurs, une fois le transfert de technologie réalisé, Mittal n’hésitera pas à la première occasion pour fermer les sites en France et au Luxembourg.
Deuxième Niveau : politique
L’Allemagne était furieuse de voir le groupe ThyssenKrupp perdre contre Arcelor lors de l’acquisition de Dofasco au Canada. De plus Arcelor ne devait sa survie qu’à l’intervention de la France dans les années 80. Au risque de froisser les Allemands, il était possible de mettre en avant l’esprit revanchard  de ThyssenKrupp et l’interventionnisme latent du gouvernement Allemand.
Troisième Niveau : éthique
« Connaissez-vous beaucoup d’entreprises européennes basées à Rotterdam, dont les actions sont suivies avec passion par la presse populaire indienne, qui suscitent l’intervention du ministre de l’industrie indien auprès des autorités françaises et qui entraînent une mobilisation de la presse économique indienne, qui interpelle le président Jacques Chirac lors de son voyage en Inde ? ». Extrait tiré du blog d’Elie Cohen. Le groupe Mittal est un groupe du tiers monde qui cherchait à s’approprier un groupe de pointe Européen issu de restructurations et de lourds sacrifices européens. Désormais les bénéfices de ce groupe anciennement européen partiront chez L. Mittal.