La crise gazière russo-ukrainienne. Un exemple de guerre de l'information

La crise du gaz russo-ukrainienne de 2008-2009 peut être analysée de points de vue économique, politique, géostratégique, etc. Néanmoins, je voudrais attirer l’attention sur la guerre de l’information pendant cette crise. Maintenant, il est évident que l’Ukraine a perdu ce combat. Les réactions assez passives du côté ukrainien comme européen sont assez étonnantes car déjà, en 2003, la Russie avait fait état de ses méthodes en adoptant de manière officielle une stratégie énergétique dans laquelle il était mis l’accent sur l’énergie comme un  instrument de la politique étrangère. Ce fait n’avait pas alors attiré grande attention. Pourtant, en 2003, la Russie a coupé la  livraison en pétrole d’un port letton. Par ce biais, le gouvernement letton avait été puni pour sa politique à l’égard de la minorité russe. Puis se multiplièrent les coupures de gaz à destination du Belarus en 2004 et surtout de l’Ukraine durant les dites guerres du gaz des hivers 2005-2006 et 2008-2009.

Pendant la dernière crise gazière,  la position de la Russie et de Gazprom fut présentée au monde entier de manière positive pendant que les explications ukrainiennes n’étaient pas relayées dans la plupart des médias occidentaux. Les ambassades ukrainiennes restaient assez passives en attendant d’éventuelles consignes de leur ministère de tutelle tandis que les ambassades des pays européens à Kiev ont rencontré des problèmes spécifiques pour appréhender les différentes raisons de la crise. Par exemple, comprendre les aspects techniques de cette crise n’est pas si aisé pour un personnel diplomatique ayant plutôt une formation en sciences humaines, en droit et en économie qu’en sciences exactes. La Russie a vite accusé l’Ukraine de vol de gaz. Cette position russe a pu être relayée par le personnel des ambassades européennes à Moscou avant d’être soutenue par certains hommes politiques européens comme le député français Thierry Mariani qui a écrit que « le transit du gaz russe destiné à l’Europe a aussitôt été entravé et Gazprom n’a eu d’autre choix que de fermer les robinets d’exportation de gaz » [1].

Néanmoins, les besoins de l’Ukraine en gaz pendant la crise furent assurés par sa propre production de gaz et par ses propres stocks créés auparavant. Cela garantit à l’Ukraine une autonomie gazière pendant 6-8 mois. L’accusation portée contre l’Ukraine d’arrêter le transit semble infondée. L’Ukraine n’a pas arrêté le transit du gaz russe de son territoire en direction des autres pays européens. La situation de pénurie serait liée aux actions russes. Le régime des températures hivernales conditionne l’utilisation technologique d’une partie du gaz du transit pour le fonctionnement du système ukrainien des gazoducs et sans cette utilisation d’une partie du gaz du transit, son transport n’est pas possible techniquement. Enfin les experts européens étudiant la situation sur place sont arrivés aux conclusions que l’Ukraine n’a pas volé le gaz, ce qui est le principal.

A noter que cette crise peut aussi montrer l’importance de l’intelligence économique dans le monde actuel. L’Ukraine a dû effectuer la réorganisation de son système de gazoducs pour assurer son chauffage pendant la crise. Cette procédure est un processus très compliqué et difficile à mettre en œuvre, d’où l’idée pour certains que l’Ukraine était prête (ou prévenue ?) à rencontrer ce défi. Dans tous les cas les techniciens ukrainiens ont été à la hauteur. Dans ce sens, il est regrettable que lorsque les techniciens ont assuré le chauffage du pays, les hommes politiques ne furent même pas capables de se réunir pour préparer et réaliser une bonne stratégie de communication.

Selon l’avis de l’ancien attaché de défense français en Ukraine (1999-2001), le colonel (ER)   Jean-Yves Bourhis, « à la différence de la crise énergétique russo-ukrainienne trois ans plus tôt, la Russie a mis, dans celle de 2009, un soin tout particulier à maîtriser sa communication extérieure. Les voies de cette action médiatique en ont été la parfaite campagne d’explication menée conjointement par le premier ministre Poutine et le vice-président de Gazprom Alexandre Medvedev. Ce dernier s’est déplacé dans plusieurs capitales dés les premiers jours de la crise, début 2009. D’autre part, le recours aux observateurs étrangers invités sur les installations russes et ukrainiennes a créé les conditions d’un pseudo-tribunal d’experts dont le jugement a été reconnu, qu’il soit justifié ou non. Avec les mêmes arguments qu’auparavant, mais une communication appropriée, la Russie a gagné. Au niveau de son Parlement, comme de M.Barroso, l’Union européenne a réagi vertement mais en épargnant ni la Russie ni l’Ukraine, alors qu’en 2006, seule la Russie était critiquée ».

La crise actuelle fut provoquée avant tout pour des motifs politiques. L’un des buts russes était de discréditer l’Ukraine comme partenaire fiable, abaisser son poids géopolitique et géoéconomique, obtenir le contrôle du système des gazoducs ukrainiens. Evidemment l’Ukraine a perdu son image de pays de transit du gaz stable et sûr. Par ailleurs, il faut tenir compte que, dans un an, l’Ukraine organisera les élections présidentielles avec le contexte politique interne suivant : la cote de popularité du président actuel Iouchtchenko est en baisse et le leader du  parti d’opposition, le Parti des régions, Viktor Yanoukovitch, l’ancien adversaire d’Iouchtchenko pendant les élections de 2004,  peut présenter sa candidature en rappelant que, lorsqu’il était chef du gouvernement, l’Ukraine avait eu un hiver tranquille en 2006—2007 sans crise du gaz. La Russie est-elle décidée à utiliser des méthodes plus subtiles mais plus sensibles pour favoriser indirectement le choix du président ukrainien ?

A noter qu’en pleine crise du gaz, le ministre français de la défense Hervé Morin a souligné qu’il convient d’examiner la question de la possible adhésion de la Géorgie et de l’Ukraine à l’OTAN en accord avec la Russie [2]. Celle-ci, avec la crise du gaz, fait la démonstration qu’elle peut faire entendre sa voix et pas uniquement par des moyens militaires.

En général, le coup médiatique porté à l’Ukraine est d’autant plus sensible que ce pays avait obtenu la proposition d’élaboration d’un Traité d’association faite au sommet UE-Ukraine du 9 septembre 2008 au cours de la présidence française de l’UE. On peut se poser la question suivante : à qui peut-il être utile d’endommager l’image de l’Ukraine au moment où, pendant plusieurs conférences et symposiums internationaux, se renforcent les appels des Etats-membres de l’UE à l’Ukraine à se concentrer sur la question de l’intégration européenne et de ne pas insister sur son adhésion à l’OTAN ? Cette crise du gaz peut à terme ralentir la coopération UE-Ukraine.

La crise gazière de 2008-2009 a montré que l’Ukraine doit apprendre à mener une guerre de l’information et soutenir ses intérêts nationaux dans le monde entier si elle ne souhaite pas jouer le rôle humiliant de bouc émissaire.

[1] Thierry Mariani (2009), « Crise du gaz en Europe : qui est le vrai responsable ? » Le Figaro,14 janvier.

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Oksana Mitrofanova, docteur en Sciences Politiques, directrice des programmes européens au Centre des recherches stratégiques (Kiev, Ukraine), maître de conférences invité à l’Université Panthéon-Assas Paris II (Paris, France).

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