Huile de palme, prémices d’intérêts conflictuels

En plus de sa fonction nutritive, l’huile de palme est depuis quelques années utilisée comme réponse immédiate à la crise pétrolière à travers la production d’agro-carburants. Une situation qui lui a permis d’atteindre 25 % de parts de marché en 2007 sur un marché mondial de 154 millions de tonnes, notamment grâce à une productivité à l’hectare de 5 à 10 fois supérieure à celle du colza et du soja. Cet engouement s’est accompagné d’une hausse vertigineuse des prix qui ont été multipliés quasiment par trois en trois ans. Une aubaine financière pour l’Indonésie et la Malaisie qui trustent 90 % de la production mondiale d’huile de palme et financent en partie leur développement grâce à cette denrée providentielle. Une denrée qui représente 51 % des huiles exportées dans le monde en 2007, principalement à destination de la Chine et de l’Europe qui sont de très loin les plus gros consommateurs. Deux puissances destinées à une opposition certaine en raison du rapport de force amorcé par certaines ONG afin de limiter l’expansion de cette industrie destructrice.

Peder Jensen de l’Agence Européenne pour l’Environnement : « If you make biofuels properly, you will reduce greenhouse emissions. But that depends very much on the types of plants and how they’re grown and processed. You can end up with a 90 % reduction compared to fossil fuels or a 20 % increase ». Or en 2006, lorsque des scientifiques ont étudié les pratiques utilisées dans les plantations d’huile de palme en Indonésie et en Malaisie, l’épopée verte s’est rapidement transformée en un véritable cauchemar.

Rountable on Sustainable Palm Oil, association qui regroupe la majorité des acteurs concernés et qui a pour but de mettre en place un processus de certification afin de relancer la consommation.

Si l’on tient compte des politiques d’influence des ONG et de l’ONU qui vont freiner l’expansion de l’industrie de l’huile de palme, cette nouvelle variable va inévitablement créer des rapports de puissance importants entre les différentes zones consommatrices, dont les besoins vont augmenter proportionnellement à leur croissance démographique et dépendance énergétique.

Tout d’abord l’Europe envisage, à travers sa directive de 2003, d’utiliser 10 % de biofuels en 2020 dans les transports afin de limiter sa dépendance au pétrole. Elle sera donc obligée de continuer à explorer l’énergie verte malgré la crise alimentaire et climatique sous jacente qu’elle pourrait provoquer. De plus, l’huile de palme est une des rares denrées alimentaires que l’Europe ne produit pas malgré sa nécessité dans la chaîne alimentaire, notamment en raison de conditions climatiques défavorables.

La Chine est quant à elle obligée de trouver des solutions énergétiques capables de soutenir sa croissance économique. Le rapprochement qu’elle opère depuis quelques années avec l’ASEAN pourrait donc faciliter sa prise de position sur le marché de l’huile de palme et l’aider à atteindre son objectif de 16 % « d’énergie verte » fixé pour 2020. Sa consommation pourrait, de plus, très rapidement être revue à la hausse afin de combler d’éventuelles carences alimentaires liées au riz, mais aussi à une sous-estimation de ses réels besoins énergétiques.

D’après l’agence de presse nationale malaisienne Bernama, dans une dépêche du 1er mars 2007, le géant pétrolier chinois CNOOC se serait positionné dans un projet de 5,5 milliards de dollars en Papouasie-Nouvelle-Guinée, île membre du Commonwealth et proche des prises de position militaires anglo-saxonnes dans le Pacifique. Une participation provocante pour l’Europe qui trustait la quasi-totalité de la production « éthique » de cette île, mais aussi menaçante pour les collectivités indigènes locales qui fonctionnent sous le principe d’économie de subsistance et qui pourraient être rapidement dépossédées de leurs terres. Un positionnement contraire à l’engagement du Fonds International de Développement Agricole des Nations Unies qui subventionne la gouvernance locale des zones d’exploitation des palmiers à huile en Papouasie-Nouvelle-Guinée afin de préserver l’un des plus riches écosystèmes de la planète. Considérée comme le nouvel eldorado de l’huile de palme, la Papouasie-Nouvelle-Guinée est aussi l’un des derniers remparts de l’humanité dans sa lutte contre le réchauffement climatique.

Dans ces conditions, la demande va rapidement devenir supérieure à l’offre, d’autant plus si l’Inde, les Etats-Unis ou encore le Japon, dont les consommations sont en constante augmentation, venaient à intensifier leur appétit. Les prémices d’une crise alimentaire pourraient aussi pousser certains pays au sur-stockage afin d’envisager l’avenir plus sereinement. Les rapports de puissance vont donc se durcir sur un marché qui a pour unique solution salvatrice de développer des biotechnologies capables d’augmenter la capacité productive du palmier à huile, déjà très prolifique. Des solutions sont expérimentées et des multinationales controversées tel Monsanto apparaissent. Par exemple, la technologie Modipalm permet aujourd’hui de réduire l’ensemble des coûts de production et d’augmenter les marges financières de 40 à 50 %, mais ne permet d’accroître la quantité d’huile produite que de 5 %, bien insuffisant au regard des futurs besoins sous-estimés à 75 millions de tonnes d’huile de palme d’ici 2050.

Ce marché est donc saturé. Les réserves naturelles ne seront bientôt plus suffisamment conséquentes pour répondre aux besoins d’une croissance démographique ahurissante, d’autant plus si le monde continu à prôner un libéralisme exacerbé et destructeur. La situation est complexe, les intérêts économiques des puissances seront proportionnellement conflictuels au fossé creusé entre la demande et l’offre. La guerre des matières premières est belle et bien lancée.

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