Les retombées contradictoires des class action sur les industries pharmaceutiques

Aux Etats-Unis, une class action est une action judiciaire entreprise par un groupe de personnes qui ont toutes subies le même préjudice. Le terme « class » désigne ce groupe de personnes ayant toutes en commun d’avoir par exemple consommé un même produit ou service. Appliqué au monde pharmaceutique, ceci correspond donc à la consommation d’un médicament dont les effets ont été néfastes à l’organisme des personnes du groupe créé.  D’un point de vue pratique, la « class action » est un procès lancé par ce groupe en vue d’obtenir une indemnisation la plupart du temps financière. Or, poursuivre une action en justice est plutôt onéreux. Les class action trouvent là un premier intérêt. Alors que, seul, ce type de recours est peu abordable financièrement ; il le devient lorsque l’on s’allie avec d’autres personnes pour former un procès unique.
Un second intérêt intervient concernant la crédibilité de la plainte. En effet, l’action devient plus pertinente à mesure que le groupe grandit et que les témoignages se répètent. Ceci démontre le sérieux d’une plainte puisque répétée à outrance. Au-delà de la crédibilité, le pouvoir de persuasion des plaignants vis-à-vis de la cour est plus important, et donc le recours est plus probable d’avoir une issue favorable à ceux-ci. L’entreprise à défaut devra, en cas de perte du procès, débourser une indemnisation importante. Ceci permet de la dissuader de frauder à nouveau, ou encore d’être plus exigeante vis-à-vis des médicaments fournis. Cette somme d’argent est partagée par les plaignants et leur représentant en justice.
Elles sont cependant souvent néfastes pour l’industrie pour les deux raisons suivantes :
- leur multiplication et leur caractère abusif conduisent les compagnies à supporter des primes d’assurance croissantes pour se couvrir contre les risques juridictionnels, et à répercuter le surcoût dans le prix des médicaments.
- elles découragent l’innovation et empêchent l’arrivée de produits nouveaux sur le marché, en amplifiant les craintes de litiges. A cet égard, le rapport Lawyers 2003 mentionne que les procédures judicaires à l’encontre de l’implant contraceptif Norplant dans les années 90, seraient à l’origine du coup d’arrêt donné à la recherche pharmaceutique dans ce domaine aux États-Unis.
Dans le même ordre d’idée, il n’est pas exclu que le retrait récent du Vioxx et la médiatisation autour des procédures judicaires entamées aient des conséquences similaires sur la recherche pharmaceutique. Il est possible en effet que les autorités sanitaires, parfois mises en cause, exigent à l’avenir des études cliniques supplémentaires avant toute mise sur le marché et un suivi plus attentif des effets secondaires rapportés pour les médicaments déjà commercialisés.
Si c’était le cas, les class actions auraient une part de responsabilité à assumer dans l’augmentation à venir des coûts de développement et de pharmacovigilance, le ralentissement possible des procédures d’enregistrement et corrélativement la plus grande difficulté de l’industrie pharmaceutique à rentabiliser ses produits sur une durée de commercialisation raccourcie.
Cette vague de procès a eu un impact particulier sur l’industrie pharmaceutique pour deux raisons principales :
– tout médicament comporte une part de risque d’effet indésirable quels que soient ses avantages et ses bénéfices, ce qui rend l’industrie pharmaceutique plus vulnérable à ce genre d’attaques judiciaires
– l’industrie pharmaceutique dépend énormément de la recherche et du développement de produits innovants et cet effort peut être sérieusement compromis par le risque d’éventuels procès.
Le fait de détourner des budgets alloués à la recherche et au développement pour couvrir les frais colossaux des actions en justice fait prendre un risque direct à l’innovation, mais peut de surcroît décourager les investisseurs ce qui réduirait d’autant les fonds alloués à la recherche. De façon encore plus pernicieuse, la menace de procès potentiels a un effet particulièrement inhibitoire et frénateur sur la recherche et le développement et plus particulièrement pour des produits comme les antibiotiques, les contraceptifs, les thérapies de l’obésité, les analgésiques et bien d’autres. La menace du risque judiciaire est, de ce fait, en train de priver les patients de produits potentiellement innovants et impacte sérieusement les coûts de santé publique.
Le monde du médicament est victime des ravages de cette procédure. Lorsqu'on veut lancer un nouveau médicament, on fait des essais cliniques, qui sont longs et surtout très coûteux. Il y a vingt ans, avant que ne s'épanouissent les "class actions" et les dommages et intérêts considérables octroyés par la Justice américaine, un laboratoire pouvait accepter un échec ou une complication sur 1 000 cas. Si le médicament est utilisé par 10 millions de personnes, cela fait dix mille risques. Si le tribunal accorde un million de dollars par cas, cela peut coûter dix milliards de dollars, c'est-à-dire tuer le laboratoire. On est donc passé à un degré d'exigence d'un échec sur cent mille cas. Cela a multiplié le coût des essais cliniques au moins par dix, et allongé sensiblement leur durée. Les laboratoires ne mettent en essais cliniques que les médicaments qui trouveront le plus sûrement leur rentabilité, c'est-à-dire pour faire court ceux destinés aux malades des pays riches, et ils ne lancent ces essais cliniques que trois à quatre fois moins souvent, diminuant ainsi les chances de découverte majeures. C'est pour cela que certaines firmes pharmaceutiques risquent d'abandonner le segment des maladies de masse du style cholestérol, thrombose, ulcères, pour se focaliser sur des maladies plus graves comme le cancer, le sida ou les maladies virales. Pourquoi ce changement direz-vous ? Parce que les autorités sanitaires sont plus conciliantes avec ce genre de médicament. En effet, quand un traitement permet à un cancéreux de vivre 6 mois de plus, on est moins regardant sur ses effets secondaires pour la simple raison, c'est qu'il n'y a pas d'alternative.
Les class actions dans l’industrie pharmaceutique peuvent dans certains cas se révéler bénéfiques pour le consommateur, en particulier :
- quand elles sanctionnent des pratiques anticoncurrentielles (stratégie anti-génériques, entente sur les prix) qui contribuent à renchérir le coût des médicaments pour la collectivité.
- ou quand elles découragent un manque de transparence dans la publication des essais cliniques, ou la dissimulation d’effets secondaires graves, une fois le produit mis sur le marché.
Mais ce phénomène a, malheureusement, un impact très significatif sur l’économie américaine. L’évaluation du coût total de ces procès est estimée à environ 300 milliards de dollars en 2005, ce qui représente 2.5 % du produit national brut du pays. Moins de la moitié, seulement, des sommes attribuées durant les procès va directement aux plaignants. En réalité, une grande partie des sommes attribuées est absorbée par les coûts du procès dont un pourcentage considérable va directement aux avocats des plaignants. Ces derniers ont en fait développé une véritable industrie qui identifie les zones de vulnérabilité potentielle pour les firmes pharmaceutiques, suscite et organise les plaintes et recrute même des “ experts médicaux ” pour soutenir et défendre leurs théories. De plus, ces activités ne sont pas dénuées de soupçon et peuvent même parfois être frauduleuses. On a vu ainsi des plaignants poursuivis et condamnés pour falsification de données médicales alors qu’ils essayaient d’obtenir des dédommagements financiers de la part des laboratoires pharmaceutiques.