Intégration de la Turquie : l’Europe doit se décider

L’entrée de la Turquie en Europe est un sujet de débat qui semble presque éculé aujourd’hui. La question identitaire a cristallisé toutes les attentions, au détriment des réflexions pragmatiques. L’objectif n’est pas ici de faire un plaidoyer pour l’un ou l’autre des camps, mais d’en appeler à la raison afin que soit clarifié définitivement le statut d’un pays qui espère depuis trop longtemps : européenne ou amie de l’Europe ?

Partager une histoire et des valeurs : clore enfin le débat
Si l’on entame le débat par la question « Qu’est-ce qu’être européen ? », peu d’arguments viennent appuyer la candidature turque. Et  pourtant, du siège de Vienne en 1529, à la Seconde Guerre Mondiale, l’Europe a partagé certains de ses plus illustres chapitres d’histoire avec l’Empire Ottoman. Si être européen consiste au partage d’une histoire et de certaines valeurs, la Turquie laïque qu’a fait naître Mustafa Kemal a peu à envier aux européens.
Cette acceptation pourrait être l’occasion de prouver que démocratie, Islam et laïcité sont conciliables. La scène internationale nous renvoie une image chaotique et galvaudée de « choc des civilisations ». Refuser son entrée à la Turquie uniquement parce qu’elle est musulmane « serait lui dire que Ben Laden a raison. » (Bernard Guetta).
Peut-être aussi faut-il arrêter de se focaliser sur le passé : les disputes et dissonances des 27 y renvoient souvent. Les yeux tournés vers une histoire vécue, l’Europe se voile la face pour ne pas faire un constat douloureux : elle n‘a pas clairement défini de projet d’avenir. Le débat sur l’identité turque renvoie à la question non résolue de l’identité européenne.
C’est pourquoi il faut clore ce débat stérile sur l’identité turque- les deux camps avançant de justes raisons- et ouvrir celui sur l’identité européenne. L’UE ne pourra qu’y trouver le nouveau souffle qui lui fait défaut.

Un équilibre géopolitique très délicat
Si la passion pousse au rejet, il faut, au moins, entendre la raison. La position géopolitique de la Turquie est très délicate. Musulmane et laïque, elle est à cheval entre deux continents. Adoptée ni par les arabes ni par les européens, elle est en première ligne face à la tourmente islamiste.
Son équilibre entre deux mondes est précaire. Elle réussit, et c’est remarquable, à garder un parti modéré : à l’initiative d’un dialogue syro-israëlien, laïque et pourtant tirée vers l’islamisme par une frange de sa population, résistant aux partis pris lors de la guerre en Irak… Lui ouvrir la porte d’une amitié européenne lavée de tous sous-entendus serait le plus sur moyen de ne pas la voir sombrer dans l’islamisme radical. L’hésitation dans son statut ne fait surement que renforcer les difficultés qu’elle a à choisir une voie.

Des efforts qui doivent être payés de retour
La péninsule anatolienne a conduit une politique de modernisation titanesque sur les plans économiques, politiques et sociétaux. Elle est bien plus proche des critères de Copenhague que ne le sont certains pays déjà intégrés. Lui avoir demandé tant d’efforts pour finalement la faire attendre dans l’antichambre des accords d’Ankara  relève de l’humiliation.

Il faut donc se décider car ce pays a un comportement méritoire et a le droit d’être fixé sur son futur statut. Ce n’est pas à l’honneur et encore moins dans l’intérêt de l’Europe de se comporter comme elle le fait. Patienter encore ne sauvera pas une amitié en péril.

JB